Texte publié le 16/12/2004

"Marchamos la mano en la mano"

  

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16 mars 1964

De Gaulle en Amérique latine : l’aboutissement naturel d’une histoire d’amour qui dure depuis 1940, depuis que Soustelle, spécialiste international des civilisations précolombiennes, a convaincu l’Uruguay et le Pérou de reconnaître la France libre, ce qu’ils ont fait avec enthousiasme ; depuis que du Brésil, sa terre d’exil, Georges Bernanos a écrit d’admirables pages sur la France combattante qui ont ému l’opinion internationale ; depuis que Miguel Angel Asturias, écrivain et diplomate guatémaltèque, est devenu le chantre du gaullisme. Asturias retrouve en de Gaulle cet amour de l’indépendance, ce souci de justice et cette lutte contre l’impérialiste américain qui sont au centre de ses préoccupations.

De Gaulle plaît aux Latinos-Américains par son franc-parler. Dans ce continent qui est imprégné de culture française, les élites ont souvent étudié à Paris, et ont conservé de la tendresse pour notre Révolution et de l’admiration pour l’esprit des encyclopédistes. Pour eux, le seul homme d’Etat capable de battre en brèche l’influence linguistique et politique des Etats-Unis, dont la toute-puissance agace leur orgueil hispano-indien, c’est le général de Gaulle. Sous sa responsabilité, la France est devenu une conscience universelle. En Amérique latine, de Gaulle apparaît comme un libérateur et comme le champion du tiers-monde. C’est de plus un « caudillo », un général victorieux. Il entre à merveille dans cette mythologie sud-américaine faite de violence et d’admiration. Sa personnalité gomme les effets néfastes de l’expédition mexicaine de Napoléon III, un siècle plus tôt.

Ce continent, de Gaulle le choie. En habile politique, le général a nommé, en 1962, un des siens à Mexico, Raymond Offroy[1]. Un an plus tard, ce diplomate organise la venue à Paris de Lopez Mateos. Et là, une heureuse surprise attend le président du Mexique : le Général lui offre les drapeaux mexicains pris par les troupes française à celles de Juarez ! Un geste qui émeut le Mexique. Un geste que son peuple n’oubliera pas.

 Une troisième force latine ?

En effet, lorsque le 16 mars 1964, de Gaulle touche la terre du Mexique, c’est le délire. Le service d’ordre est balayé. Sur le Zocalo, place centrale de la capitale, 350.000 personnes hurlent leur joie. Chaque phrase que de Gaulle lance à la foule déclanche les acclamations.

 Le Général exulte. Il parle en espagnole : « Marchamos la mano en la mano… » Tout bascule alors. Le Mexique, pris aux tripes, chante le caudillo sous l’œil inquiet du grand frère américain.

Trois journées de liesse, de bousculades, d’euphorie collective. Trois journées qui sacrent de Gaulle, champion toutes catégories des chefs d’Etats qui refusent l’hégémonie soviétique présente à Cuba et l’américaine qui s’affiche sur les murs de la capitale mexicaine. Trois journées dont le point d’orgue est, sans conteste, sa rencontre avec les étudiants dans l’immense université de Mexico, siège de toutes les contestations. En ce mois de mars 64, le Général est un homme heureux malgré la souffrance qui le tenaille en permanence. Depuis son opération à Cochin, cinq mois auparavant, il porte une sonde dans la vessie, ce qui ne l’empêche pas de prononcer trois ou quatre discours par jour et de se laisser bercer par les cris de la foule. Il a soixante-quatorze ans et la forme d’un junior.

Le Mexique l’a conquis, la France y construira un métro. A l’automne, il a l’intention de retrouver les Latinos-Américains. Son carnet de route est bien rempli. Venezuela, Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie, Chili, Argentine, Paraguay, Uruguay, et enfin Brésil. Il se prend à rêver d’une troisième force latine dont la France serait le leader. Mais ce qui l’intéresse le plus, c’est de s’adresser directement aux peuples sans passer par leurs dirigeants. Les chefs d’Etats qui accueillent de Gaulle ont souvent l’impression de recevoir un colis piégé.

[1] Ancien Ambassadeur, ancien Député, ancien Représentant au Parlement européen, Président d’honneur du Groupe parlementaire France-Pays arabes, Président d’honneur de l’Association européenne pour la coopération euro-arabe