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Union économique et monétaire européenne 

Ces Français qui ont ouvert
l’Europe aux financiers anglo-américains

 

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au format PDF

Par Christine Bierre  - "Nouvelle Solidarité - 28 octobre 2005 -

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Robert Marjolin, une vie au service
de l’oligarchie financière anglo-américaine

L’économiste Robert Marjolin constitue l’un des meilleurs fils rouges que nous possédons pour suivre les politiques promues par l’oligarchie financière anglo-américaine et ses alliés continentaux, depuis les années trente jusqu’à sa mort en 1986.

Issu d’une famille très modeste, ce sont les deux représentants de la Fondation Rockefeller en France, Célestin Bouglé, directeur de l’Ecole normale supérieure et fondateur du Centre de documentation sociale, et Charles Rist, économiste de renom international, sous-gouverneur de la Banque de France avant la guerre et fondateur de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), qui l’ont promu à un rôle de premier plan sur la scène internationale.

C’est alors qu’il passait son oral à la Sorbonne que Bouglé «repère» Marjolin. En 1932, il lui obtient une bourse aux Etats-Unis, à la Fondation Rockefeller, pour étudier les rapports entre la culture et la personnalité. En 1933, Bouglé présente Marjolin à Rist qui en fera son principal collaborateur à l’IRES.

Ses liens avec la Fondation Rockefeller propulsent Marjolin dans cet univers glauque d’avant-guerre qui fournira ses troupes à la Révolution nationale de Vichy. Cependant, tous n’ont pas collaboré avec les nazis, certains finissant par choisir, in extremis, d’entrer en résistance avec Churchill, lorsqu’ils se sont aperçus qu’Hitler avait décidé de s’attaquer à l’Europe de l’Ouest avant de s’en prendre à l’Union soviétique.

Bien que se réclamant du socialisme – Marjolin fut chargé de mission auprès de Léon Blum en 1936 dans le premier gouvernement du Front populaire – il pratique le grand écart entre ces idées et les groupes économiques les plus libéraux, voire même avec les milieux planistes inspirés par le néo-fasciste belge Henri de Man.

En tant que principal collaborateur à l’IRES, Marjolin faisait de fréquents voyages à Londres pour travailler avec la London School of Economics, où la Fondation Rockefeller finançait déjà les économistes qui allaient fonder en 1947 l’infâme Société du Mont-Pèlerin, Lionel Robbins et Friedrich von Hayek. Dans son autobiographie*, Marjolin dira tout le bien qu’il pense du «Reform Club» et de ces milieux où il «retrouvait d’excellents amis anglais» dont «Lionel Robbins».

Marjolin sera aussi de ceux qui fondèrent l’organisation qui a préfiguré l’ultra-libérale Société du Mont-Pèlerin. Dès 1938, «Le colloque Walter Lippmann», organisé par le philosophe et économiste Louis Rougier, donna lieu à la création du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme. Lippman, un publiciste américain, venait de publier un livre, The Good Society, qui avait fait fureur, renvoyant dos à dos socialisme et fascisme pour ce qui était du contrôle des moyens de production, mais proposant d’encadrer le libéralisme économique par un cadre juridique et policier tout aussi autoritaire. Sur les vingt-six personnalités présentes à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin, en Suisse, en 1947, seize, dont les principales, avaient déjà participé à ce colloque d’avant-guerre à Paris, dont : Friedrich von Hayek, Ludwig von Mises, Walter Lippmann, M. Polany, et Walter Röpke. Parmi les Français, outre Louis Rougier, on trouvait sans surprise Raymond Aron, Robert Marjolin et Jacques Rueff qui, plus tard, travaillera avec de Gaulle. Notons que l’existence de ce colloque fut longtemps occultée par les fondateurs de la Société du Mont-Pèlerin en raison des liens très étroits entretenus par Louis Rougier avec le régime de Vichy. Lionel Robbins aurait ainsi émis son veto à la participation de Louis Rougier à la première réunion de Société du Mont-Pèlerin, en avril 1947, et ce n’est que dix ans plus tard, à Saint-Moritz, que Rougier réintégrera la Société, avec le soutien remarqué de Friedrich von Hayek.

Marjolin déclare, dans son autobiographie, qu’«il y a trois noms auxquels (sa) pensée s’accroche parmi (ses) contemporains» d’avant-guerre, «Raymond Aron, Eric Weil et Alexandre Kojève. Je leur dois, dit-il, une grande partie de ce que je pense, de ce que je suis. Il existait entre nous, malgré nos divergences, une unité profonde dans la façon dont nous jugions le monde qui nous entourait et le mouvement de l’histoire». C’est également à cette époque qu’il fit connaissance d’Olivier Wormser à qui une grande amitié le liera jusqu'à sa mort. Marjolin participa au séminaire sur Hegel donné par Kojève à l’Ecole pratique des Hautes Etudes et fera entrer l’émigré franco-russe au ministère de l’Economie en 1945.

Notons enfin que, bien que Marjolin, tout comme Raymond Aron, aient participé à la résistance contre le nazisme, ils ont aussi collaboré avec les milieux qui suivirent le maréchal Pétain jusqu’au bout. Marjolin dit lui-même avoir été «un temps séduit» par le groupe du 9 juillet (1934), qui rassembla les «planistes» de tous bords autour d’un programme de corporatisme social et national de type fasciste. C’était une initiative de Jules Romain, un adepte de Jean Coutrot, fondateur, en 1931, du groupe X crise qui rassemblait des planistes «polytechniciens». Il est aussi accusé d’avoir dirigé la Synarchie d’Empire. Le groupe Révolution constructive auquel participa Marjolin était une caisse de résonance du planisme de de Man. Quant à Raymond Aron qui, encore en 1983, écrivait : «Traîtres les collaborateurs, oui ; traîtres les tenants de la Révolution nationale, certainement non», il avait été un assidu des Décades de Pontigny, de Paul Dejardins, autre vivier de formation de la technocratie vichyste entre 1911 et 1939.