20/12/03

 

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Du désert au pouvoir...

 

   

Le 1er juin, il obtient l’investiture de l’Assemblée.

 

 

Connaissez-vous ?

En mai 1953, de Gaulle met un terme à l’expérience du R.P.F. et donne congé à ses compagnons. Il mène alors un combat victorieux contre la C.E.D. (Communauté européenne de défense), puis le 30 juin 1955, il annonce au cours d’une conférence de presse qu’il n’interviendra plus dans les affaires du pays. L’inauguration d’un monument en l’honneur des maquisards de l’Ain en juin 1956, un discours aux Saint-Cyriens en août de la même année sont les deux seules occasions où il rompt le silence.

A ses proches, il a confié son amertume durant cette période. C’est le temps de la solitude dont il écrit : « Elle était ma tentation. Maintenant elle est mon amie. » C’est aussi le temps du mépris pour les politiciens.

La vie quotidienne à la Boisserie est seulement égayée par les visites, de plus en plus espacées, des fidèles.

A Paris, un secrétariat dirigé par Olivier Guichard s’occupe à remplir son livre agenda de rendez-vous. Le général se rend chaque mercredi rue de Solferino : il y répond au courrier reçu et accorde des entretiens au cours desquels il ne se montre pas très bavard, préférant écouter et poser des questions. Ses interlocuteurs tirent des conclusions opposées des propos recueillis. De Gaulle se dit convaincu qu’il n’a pas de chances sérieuses de revenir « aux affaires », et pourtant il encourage tous ceux qui lui parle de l’avenir.

Pour le présent, il consacre la plus grande partie de son temps à l’écriture. A la Boisserie, la vie quotidienne est simple et laborieuse : de Gaulle écrit ses Mémoires de guerre. Il s’y présente « vieil homme, recru d’épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter, dans l’ombre, la lueur de l’espérance ».

 Publication des Mémoires de guerre

Dès la libération, il a reçu des offres des maisons d’édition. En janvier 1954, le premier tome « L’appel » étant achevé, Georges Pompidou s’informe. Le 8 avril, de Gaulle reçoit à l’Hôtel Lapérouse les directeurs de Plon. Le contrat est signé le 22 avril.

De Gaulle rédige à la main, rature et corrige son manuscrit. Il apporte le même soin à la lecture des épreuves imprimées. Il suit la diffusion des ouvrages et répond aux nombreuses lettres des lecteurs

Les trois tomes paraissent respectivement le 5 octobre 1954, le 29 mai 1956 et le 25 septembre 1959.

Les droits d’auteur de son œuvre sont consacrés à la Fondation Anne de Gaulle, créée à la mémoire de sa fille décédée en 1948.

La retraite du Général de Gaulle ne l’empêche pas de suivre de près l’évolution du régime. Il assiste aux drames nés d’une douloureuse décolonisation. De Gaulle avait prévu et redouté la décomposition de l’Empire. En 1947, il avait exposé une conception globale sur l’Union française : il faut hâter l’évolution des territoires vers une autonomie interne, en conservant à la France la suprématie dans les domaines de la défense, de la diplomatie et de l’économie.

Il accepte les accords de Genève consacrant la perte de l’Indochine Française, estimant que « la paix a été conclue dans les moins mauvaises conditions possibles ». Il ne critique pas non plus la politique menée en Tunisie et au Maroc.

Sur l’Algérie, dont le drame sera l’occasion de son retour au pouvoir, sa position a évolué. Dès 1947, il exposait la nécessité d’un statut « qui la maintienne française et sous la souveraineté de la France » et qui, par ailleurs, organise en Algérie un système représentatif qui lui permette « de faire valoir à l’intérieure d’elle-même ce qui concerne ses propres intérêts ». Il affirme : « le problème essentiel est économique et, corrélativement, social et culturel ». Il n’envisage pas encore la naissance d’un Etat Algérien associé à la république Française », selon l’expression utilisée dans les Mémoires d’espoir publiées en 1970.

 Le drame algérien.

Beaucoup de gaullistes privés de leur chef ne cessent de proclamer, surtout après 1956, leur attachement à l’Algérie française. Peu nombreux au Parlement, une vingtaine, ils restent puissants. Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense dans le gouvernement Félix Gaillard, permet à Léon Delbecque, membre de son cabinet, d’agir à Alger. Il y installe une antenne gaulliste chargée de préparer l’appel au général si les gouvernements « décident de brader l’Algérie ». Edmond Michelet, président des républicains sociaux, fait adopter le 14 février 1958 une motion liant la sauvegarde de l’Algérie française à la formation d’un gouvernement de salut public dirigé par le Général de Gaulle.

Jacques Soustelle, qui s’est éloigné du gaullisme après le RPF, anime de son côté, depuis 1956, « l’union pour le salut et le renouveau de l’Algérie française ». D’autres gaullistes de toujours multiplient les appels au général. Michel Debré publie en 1957 Ces princes qui nous gouvernent, où il préconise les solutions gaullistes. Alexandre Sanguinetti cherche à organiser les anciens combattants. Le 27 mars, il se rend à Colombey-les-deux-églises, où de Gaulle ne se refuse pas à dire que « sans le désirer vraiment, il fera face à ses responsabilités ».

Ceux qui songent au général sont de plus en plus nombreux, découragés par les échecs des gouvernements successifs de la fin de la IVème république. Il y a des militaires et des civils de tous horizons politiques.

Bien sûr, leurs objectifs et leurs espoirs sont différents. Les uns sont inconditionnels de l’Algérie française, d’autres croient en une paix négociée. S’y ajoutent également d’autres visées : l’Algérie est aussi un moyen de parvenir au pouvoir pour changer toutes ses structures de la société française, en commençant par la réforme des institutions.

De cette période les témoignages abondent, souvent contradictoire. De Gaulle a-t-il voulu et organisé son retour aux affaires ? Quel était son projet pour le devenir de l’Algérie ?

En février 1958, de Gaulle déclare à Maurice Schumann : « Je ne reviendrai plus jamais au pouvoir » ; en mars, il affirme à Louis Terrenoire : »Si je ne reviens pas, je crois bien que ce sont les communistes qui l’emporteront. » En mars encore, il envisage son retour, comme une conséquence possible de l’action menée par Léon Delbecque. Il donne la même assurance à Lucien Neuwirth, un moi plus tard. Et pourtant, le 14 ami, il répond à Chaban-Delmas : « Mais non, mais non, personne ne veut de moi. »

 Les prétendus complots du 13 mai.

Instruit par le RPF, il semble sûr que de Gaulle n’a pas fomenté l’un ou plusieurs des treize complots du 13 mai. Dans ses Mémoires d’espoir, il précise qu’il n’a « été mêlé d’aucune façon ni à l’agitation locale, ni au mouvement militaire, ni aux projets politiques ».

Tous ceux qui ont agi pour son retour au pouvoir l’ont fait, dit-il, « en dehors de mon aval et sans m’avoir consulté ». Et il brosse le tableau de la situation : « Les pouvoirs de la république anéantis dans l’impuissance, une entreprise d’usurpation se constituant à Alger et sollicitée vers la métropole par l’effondrement de l’Etat, la nation placée tout à coup devant e gouffre de la guerre civile. »

C’est la désignation par René Coty, Président de la République, de Pierre Pflimlin comme président du Conseil, le 8 mai 1958, qui déclenche la rébellion militaire. Depuis le 15 avril, la France n’a pas de gouvernement légal ; Félix Gaillard a remis sa démission et ni Bidault ni Pleven n’ont réussi à former un ministère.

Le 26 avril, l’antenne algérienne de Léon Delbecque recueille les fruits de ses contacts, la masse des pieds-noirs qui manifesta ce même jour est à peu près unanime à souhaiter l’appel à de Gaulle, les milieux activistes remplis de méfiance à l’égard de l’adversaire de Giraud se ralliant néanmoins à l’idée d’un gouvernement de salut public dirigé par le Général de Gaulle.

Le 9 mai, le commandant en chef en Algérie, le général Salan adresse au général Ely, chef d’état-major, un télégramme menaçant : « L’armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national. On ne saurait préjuger sa réaction de désespoir. Je vous demande de vouloir bien appeler l’attention du Président de la république sur notre angoisse que seul un gouvernement fermement décidé à maintenir notre drapeau en Algérie peut effacer ».

Salan a l’appui des généraux Allard, Massu, Jouhaud et de l’Amiral Auboyneau, mais ne mentionne pas de Gaulle. Certes, beaucoup d’officiers sont des compagnons de route, des anciens de la France Libre très attachés à de Gaulle. Iront-ils jusqu’à l’insubordination ? Jusqu’à un coup d’état ?

Le 3 mai, de Gaulle dit à Neuwirth son doute que la crise permette son retour au pouvoir. Les évènements infirment le pessimisme du Général : le 11 mai, alors qu’aucun gouvernement n’a été encore formé, Alain de Sérigny conjure de Gaulle dans l’écho d’Alger : « Parlez, parlez vite, mon général. »

 Appelé, le général rassure.

L’exécution de trois prisonniers français par le F.L.N. fournit aux activistes d’Alger le prétexte d’une manifestation de masse le 13 mai. La foule, entraînée par Pierre Lagaillarde et ses amis, déferle sur le Forum et prend d’assaut l’immeuble du gouvernement général ; les forces de l’ordre laisse faire. Personne à Alger n’approuve l’investiture de Pierre Pflimlin qui est soumise à Paris au vote de l’Assemblée dans la nuit du 13 au 14 mai. Léon Delbecque, pris de court par l’assaut du gouvernement général, débordé par les activistes de pointe que sont Lagaillarde et ses amis, retrouve son influence au sein du Comité de salut public qui se forme à Alger avec des civils, sous la présidence de Massu. Ce dernier est le meilleur appui des gaullistes. Le 13 mai à minuit, il lance son premier appel au général de Gaulle. Le général Salan, habilité par Félix Gaillard à prendre toutes mesures, est confirmé à son poste par Pflimlin. Il hésite à franchir le pas, sa résistance dure jusqu’au 15 mai. L’arrestation de Challe et la démission du général ély à Paris le décident enfin le 15 mai, peu avant midi, à prononcer en public pour la première fois un « vive de Gaulle ».

Pour le gouvernement Pflimlin, cet appel émanant de celui qui détient l’essentiel des forces militaires de la république est catastrophique.

La réaction du général de Gaulle est une inconnue supplémentaire, qui aggrave le désordre des esprits.

Le général se décide alors à parler. Il remet à la presse une déclaration : « Naguère le pays dans ses profondeurs m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République ».

Dès lors, les ralliements se précipitent, à un rythme accéléré par les rumeurs d’une opération parachutée sur Paris.

Le film de son retour au pouvoir se déroule avec des temps morts et des coups d’éclat. De Gaulle s’emploie à rassurer l’opinion : « Croit-on qu’à soixante sept ans je vais commencer une carrière de dictateur ? », et les partis politiques : « Comme je ne saurais consentir à recevoir le pouvoir d’une autre source que le peuple, ou du moins de ses représentants. »

Le 1er juin, il obtient l’investiture de l’Assemblée.

Il s’attelle immédiatement au aux tâches prioritaires : rénover les institutions, redonner le pouvoir à l’Etat ; mettre fin au drame algérien. En quelques semaines, il atteint les deux premiers objectifs. Pour le quatrième, il faudra encore quatre longues et douloureuses années.