"Je
crois que la Russie entrera dans la guerre avant l'Amérique,
mais qu'elles y entreront l'une et l'autre. Avez-vous lu Mein
Kampf ? Hitler pense à l'Ukraine. Il ne résistera pas à l'envie
de régler le sort de la Russie, et ce sera le commen-cement de sa
perte… Si Hitler avait dû venir à Londres, il y serait déjà.
Maintenant, la bataille d'Angleterre ne se livrera plus que dans
les airs, et j'espère que quelques aviateurs français y
prendront part. En somme, la guerre est un problème terrible,
mais résolu. Il reste à ramener toute la France du bon côté."
C'est ainsi que Charles de Gaulle confie, ce 30 juin 1940, à
Daniel-Rops sa vision de la guerre et du rôle qu'il faut y
jouer.
"Pendant que nous réduisions, pas à pas et non sans peine, la
distance diplomatique qui séparait Washington de la France
Libre, nous parvenions, d'un bond, à nouer avec Moscou des
relations d'alliance. Il faut dire qu'à cet égard l'attaque
déclenchée par Hitler, en mettant la Russie en péril de mort
s'simplifiait la procédure. D'autre part, les Soviets
constataient l'absurdité de la politique par laquelle ils
avaient, en 1917 et en 1939, traité avec l'Allemagne en tournant
le dos à la France et à l'Angleterre. On vit les dirigeants du
Kremlin, dans l'extrême désarroi où les plongeait l'invasion,
retourner leur attitude immédiatement et sans réserve. Alors que
la radio de Moscou n'avait pas cessé d'invectiver contre "les
impérialistes anglais" et "leurs mercenaires gaullistes" jusqu'à
l'instant même où les chars allemands franchissaient la
frontière russe, on entendit les ondes de Moscou prodiguer les
éloges de Churchill et à de Gaulle littéralement une heure
après.
Dans tous les cas, pour la France écrasée, le fait que la Russie
se trouvait jetée dans la guerre ouvrait les plus grandes
espérances. A moins que le Reich ne réussît rapidement à
liquider l'armée des Soviets, celle-ci ferait subir à
l'adversaire une constante et terrible usure. Je ne doutais
évidemment pas qu'une victoire à laquelle les Soviets auraient
pris une part capitale pourrait, de leur fait, dresser ensuite
d'autres périls devant le monde. On devrait en tenir compte,
tout en luttant à leurs côtés. Mais je pensais qu'avant de
philosopher il fallait vivre, c'est-à-dire vaincre. La Russie en
offrait la possibilité."
Mémoires de Guerre – L'appel
"De Gaulle" de
Paul-Marie de la Gorce – La France Libre Page 278
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"C'est une de ces nuits de week-end pendant lesquelles les
hommes d'Etat paresseux s'absentent, les soldats paresseux
boivent et les chefs nazis aiment à déclencher leurs grandes
opérations". La phrase est de Fabre-Luce, journaliste et
écrivain français favorable au régime de Vichy.
Surprise
d'abord pour Staline qui, même après les premières bombes, croit
toujours à la solidité de ce pacte germano-soviétique au nom
duquel il est volontairement resté sourd aux avertissements de
ses espions et n'a même pas réagi aux incursions des avions
allemands dont les photos ouvrent toutes les voies à l'invasion.
Surprise
d'une armée soviétique qui, mal réveillée, mal commandée,
insuffisamment armée, doit, en quarante-huit heures, reculer de
cinquante à cent vingt kilomètres, sous l'assaut de cinq
millions d'hommes, appuyés par 50.000 canons, 3.000 chars,
précédés par 2.900 avions qui, en toute tranquillité, ont pu
opérer contre soixante-dix aérodromes russes.
Surprise
des communistes français qui, le premier jour, reprochent
essentiellement à Hitler sa "trahison". Dans l'édition spéciale
de L'Humanité clandestine annonçant le déclenchement du conflit,
un grief majeur est fait à l'Allemagne : celui d'avoir violé le
pacte de non-agression signé avec l'U.R.S.S. en s'abstenant
(remarque pleine de sel lorsque l'on sait le respect que Staline
porte aux traités) de "la moindre représentation diplomatique[1]".
Certes, très vite, le parti communiste va se reprendre,
affirmant que le devoir des Français est "d'aider le pays du
socialisme par tous les moyens", ces moyens étant la propagande
pour lutter contre l'image d'une Allemagne aisément victorieuse,
la grève et surtout l'attentat moins pour gêner directement
l'occupant que pour créer, autour de lui, un climat
d'insécurité. Mais, pendant les premières heures qui suivent
l'agression, il a été ce parti que l'évènement surprend même
s'il le délivre de toutes les ambigüités et lui donne enfin
licence de se lancer dans des actions dont, la veille encore, il
ne savait pas si elles étaient pures ou impures, permises ou
défendues.
Le cynisme d'Hitler violant
un pacte lui-même parfaitement cynique, est rappelé dans le
discours prononcé par Staline le 3 juillet et encore dans la
plupart des textes de L'Humanité suivant l'agression |