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Roosevelt, Giraud... contre de Gaulle

 

"Les alliés ennemis"

de Milton Viorst, journaliste américain (Edition Denoël)

 

 

 

  • Photo de droite :
    De Gaulle et Giraud à Anfa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Création du CFLN

Lorsque Roosevelt et Hull[1] apprirent la constitution, le 3 juin 43, du Comité français de la libération nationale (CFLN) présidé conjointement par de Gaulle et Giraud, ils décidèrent, après bien des hésitations, de s’incliner devant le fait en dépit de la pression exercée par de Gaulle. Le 9 juin, le Département d’Etat fit une déclaration où il disait se réjouir de la création dudit Comité et parlait de « l’esprit de sacrifice », celui de Giraud qui, sans doute aux dires de ses quelques amis, avait rendu possible l’union des deux factions. Mais la semaine suivante, Roosevelt refusa de faire participer la France aux fêtes de la journée des Nations unies, d’inscrire la France au nombre des Nations unies et même de faire une déclaration amicale pour la radio d’Alger.

Roosevelt a, dans une communication à Churchill, marqué la suspicion dans laquelle il tenait le Comité. " Je voudrais bien vous convaincre que l’Afrique du Nord se trouve, en dernière analyse, sous la loi militaire anglo-américaine et que, pour cette raison, nous pouvons nous servir, vous et moi, d’Eisenhower pour tout ce que nous désirons. " Le Président Roosevelt admettait qu’il appliquait la loi du conquérant. Mais il ne connaissait pas la mesure du Français, champion d’idées tout opposées, qui venait de s’installer à Alger...

[1] Homme politique américain né le 02 octobre 1871. Décédé le 23 juillet 1955

 

(Extraits du livre "Les alliés ennemis" sauf photos)

...Sans perdre un instant, de Gaulle entreprit de s’assurer le pouvoir. Le comité ne contestait pas son autorité. En effet, contrairement aux prédictions de Churchill, de Gaulle n’avait pas tardé à y obtenir une majorité de cinq voix contre deux. Il demanda la déposition de Giraud, faisant valoir que, à l’encontre de toutes les traditions républicaines, celui-ci cumulait les pouvoirs civils et militaires. Il chercha à placer Giraud à un poste qui le satisfit en lui permettant d’exercer son autorité militaire, et lui ôtât toute influence politique.

Abandonné par Monnet, Giraud chercha conseil auprès de Murphy dont le chef, Roosevelt, pouvait seul l’aider à conserver le pouvoir. Adoptant donc les arguments de Roosevelt, Giraud répondit à de Gaulle que le Comité n’était pas un gouvernement, le cumul des commandements militaire et civil n’allait donc à l’encontre d’aucune tradition gouvernementale. D’autre part, le Comité, dépourvu d’autorité souveraine, n’avait aucun titre pour le démettre de ses fonctions. En particulier, il ne pouvait contester son autorité sur l’armée, autorité qu’il prétendait détenir d’un droit quasi divin. Roosevelt en l’occurrence jouait le rôle de divinité et de protecteur de Giraud.

Lorsque, le 5 juin, les deux généraux décidèrent de porter à 14 le nombre des membres du Comité, Giraud, faute de partisans, laissa de Gaulle désigner 4 des 7 nouveaux membres. Ceux que nomma Giraud n’étaient même pas Giraudistes car toutes leurs sympathies allaient à de Gaulle…

Les nouveaux membres du Comité n’étaient pas encore arrivés à Alger que De gaulle procéda à une manœuvre étrange et risquée. Il fit savoir à chacun de ses six collègues qu’en raison de l’incompétence du Comité, il donnait sa démission de Président et de membre du Comité. Dans des conversations privées, il laissa entendre qu’il s’appétait à partir pour Brazzaville où il rétablirait la France combattante dans son indépendance. Pendant les jours qui suivirent cette décision, ce fut Giraud qui présida le Comité Washington attendait avec impatience confirmation du départ de de gaulle. Mais Giraud se révéla incapable de tirer parti du stratagème de de Gaulle. Le Comité ne prit aucune mesure pour entériner la démission du co-président. Six jours plus tard, lorsque le nouveau Comité de quatorze membres se réunit pour la première fois, de Gaulle sortit de sa réclusion volontaire. Son coup de dés se révéla être un coup de force. S’il avait agi dans le dessein d’impressionner les membres encore hésitants du Comité, les événements lui donnèrent raison.

Lorsqu’il apprit la nouvelle répartition des forces au sein du Comité, Roosevelt fit préparer par Hopkins[1] de nouvelles instructions qui furent envoyées à Eisenhower le 17 juin. Le président y déclarait : " La position de notre gouvernement est que, durant l’occupation militaire de l’Afrique du Nord, nous ne tolérerons pas que l’armée française passe sous le contrôle d’un organisme qui ne soit pas soumis aux directives du commandement suprême allié… Il doit être établi de façon absolument nette que nous occupons militairement l’Afrique du Nord et l’Afrique occidentale. Par conséquent aucune décision civile indépendante ne saurait être prise sans notre approbation. "

La position de Roosevelt plaçait Churchill dans une situation très difficile qu’il exposa à ses collègues en ces termes : « Tout le développement de la guerre dépend du maintien de nos relations cordiales avec le gouvernement américain et avec le président ». D’autre part, il savait bien que Roosevelt, pour des raisons d’ordre moral aussi bien que pratique ne pouvait faire procéder à une occupation militaire des colonies françaises. Désireux d’éviter un heurt entre Roosevelt et de Gaulle, Churchill s’employa donc à calmer les prétentions du général d’une part et à amener, d’autre part, le président à plus de bienveillance. Il proposa, pour clarifier la situation, de faire prendre les dispositions essentielles pour assurer la sécurité des forces britanniques et américaines, et de laisser aux Français la responsabilité de tout le reste. A nouveau, il prédisait que le Comité préférerait mettre de Gaulle en minorité plutôt que de tenir tête aux Alliés sur une question d’ordre purement militaire. Mais il demandait à Roosevelt de ne pas essayer d’écraser de Gaulle. Il valait mieux, disait-il, " envisager de nouveaux ennemis par la suite que de balayer un comité sur lequel se fondent beaucoup d’espoirs tant parmi les Nations Unies qu’en France ".

La mission d’apprendre à de Gaulle que Roosevelt ne tolérerait aucune modification dans le commandement de l’armée française ne plaisait guerre à Eisenhower. Il se trouvait en contact permanent avec les Français et se rendait compte que la collaboration franco-américaine ne pouvait être fructueuse que si les américains traitaient les Français en amis. Depuis des mois, il essayait de faire comprendre à Roosevelt qu’il serait absurde et inefficace de les traiter en vaincus. C’est donc sans enthousiasme que, le 19 juin, Eisenhower convoqua chez lui les deux coprésidents.

Lorsque tout le monde eut pris place, de Gaulle fit une déclaration polie mais glaciale. " Je suis ici en ma qualité de président du gouvernement français car il est d’usage qu’en cours d’opération, les chefs de gouvernement se rendent de leur personne au quartier général de l’officier qui commande les armées dont ils lui confient la conduite. " C’était déclarer qu’il considérait Eisenhower comme son subordonné. Eisenhower ne releva pas cette remarque et demanda à recevoir l’assurance que la structure du commandement de l’armée ne serait pas modifiée. Il déclara, de la part des gouvernements britannique et américain, que les livraisons d’armes seraient suspendues si cette assurance ne lui était donnée.

De Gaulle saisit l’occasion qui lui était offerte. " Vous avez évoqué vos responsabilités de commandant en chef vis-à-vis des gouvernement américain et britannique, dit-il. Savez-vous que j’ai, moi, des devoirs envers la France et qu’au nom de ces devoirs, je ne puis admettre l’interférence d’une puissance étrangère dans l’exercice des pouvoirs français ?... Vous me demandez une assurance que je ne vous donnerai pas. Car l’organisation du commandement français est du ressort du gouvernement français, non point du vôtre. "

Giraud, qui n’avait pas encore dit un mot, sortit de son silence. « J’ai, moi aussi, mes responsabilités, plus particulièrement vis-à-vis de l’armée, dit-il. Cette armée est petite. Elle ne peut vivre que dans le cadre allié. Cela est vrai pour son commandement et son organisation comme pour ses opérations ».

De Gaulle se leva brusquement et demanda à Eisenhower de soumettre ses requêtes par écrit au Comité. Il prit congé et sortit, laissant Giraud stupéfait. Celui-ci se retira quelques instants plus tard.

La note qu’Eisenhower adressa au Comité fut le prétexte qu’attendait de Gaulle pour frapper Giraud. Cette note, d’un ton affable, précisait cependant que Roosevelt exigeait que Giraud conservât les pouvoirs militaires. Sous la pression de de Gaulle, le Comité fit savoir à Eisenhower que le contenu de sa note était inadmissible et, qu’ayant été présentée sous forme d’ultimatum, elle ne recevrait aucune réponse. Le Comité dit à Giraud que les exigences d’Eisenhower prouvaient d’une manière concluante que le commandant en chef devait être subordonné au Comité ou se démettre de son commandement. Giraud, soutenu uniquement par des étrangers amis, capitula devant l’hostilité de ses compatriotes. Il accepta d’être placé sous l’autorité d’un Comité militaire dont de Gaulle serait le président. Ce Comité prendrait les décisions d’ordre militaire que Giraud, commandant militaire, exécuterait. Giraud demeurait coprésident et devenait membre du « Comité militaire ». Il ne se trouvait ainsi que partiellement subordonné puisqu’il faisait partie des organismes chargés de prendre les décisions. De Gaulle, néanmoins, était parvenu à faire admettre son principe et avait maintenant toute liberté pour parachever son programme de conquêtes.

Quelques jours après que le Comité eût rejeté la note d’Eisenhower, Roosevelt recevait un nouveau camouflet. Boisson, le gouverneur général de l’Afrique occidentale française, l’abandonnait. Le président, voulant manifester sa reconnaissance à Boisson qui avait rallié les Alliés sans combattre, l’avait déclaré intouchable. Il avait même déclaré à Eisenhower qu’il était prêt à envoyer des forces militaires et navales à Dakar plutôt que de laisser un gaulliste s’installer dans la forteresse de Dakar. Churchill, qui se rappelait avec amertume le rôle joué par Boisson au cours de la bataille de Dakar en 1940, se trouva une fois encore, obligé d’accepter la décision de Roosevelt. Mais lorsque Boisson que Giraud avait déjà abandonné au cours des négociations d’unification donna sa démission, le Comité l’accepta aussitôt. Boisson fut remplacé par Pierre Cournarie, gaulliste convaincu. Eisenhower attendit dans l’inquiétude la réaction du Président. Mais inexplicablement Washington garda le silence, Roosevelt accepta ce changement sans la moindre protestation.

Eisenhower et son état-major pensaient que le président s’était résigné à voir Giraud écarté du pouvoir. Mais, bien au contraire, les évènements d’Alger et de Dakar décidèrent Roosevelt à faire un nouvel effort en faveur de Giraud. Une invitation à Washington, pensait le président, conférerait au général un prestige extraordinaire. Officiellement, Giraud fut invité pour étudier à Washington les problèmes d’armement. En réalité, Roosevelt voulait démontrer que, à l’encontre de ce que déclarait la presse américaine, l’armée française avait bien repris le combat indépendamment de la France elle-même. Le voyage fut organisé sans que le Comité en eût été officiellement saisi. Il s’agissait d’une mission militaire dépourvue de toute implication diplomatique. Roosevelt pensait que Giraud, après avoir été chaleureusement accueilli à la Maison-Blanche, retrouverait suffisamment d’enthousiasme pour reprendre le pouvoir lorsqu’il regagnerait Alger.

Giraud atterrit à Washington le 7 juillet 1943, et fut aussitôt le centre de toutes les attentions. Le premier jour, il prit le thé avec la famille Roosevelt et dîna avec les plus hauts fonctionnaires. Le lendemain, il déjeuna en petit comité chez le président, eut de nombreuses conversations au Pentagone, et un somptueux dîner fut donné en son honneur à la Maison-Blanche. Après le dîner, Roosevelt le prit à part. Il était sûr de l’avenir de la France, dit-il, à condition que l’armée ne tombât pas sous l’autorité de de Gaulle. Giraud fut ébloui de se voir l’objet d’une telle sollicitude.

Au cours des journées suivantes, réunions, visites et voyages, toujours à titre militaire, se succédèrent sans interruption. Giraud ne discuta que de questions militaires. Il fut constamment en compagnie de militaires. Il vit construire des chars d’assaut à Détroit, assista à l’entraînement des fantassins à Fort Benning. Il tint une conférence de presse où les reporters avaient reçu pour consigne de ne poser que des questions d’ordre militaire. Lorsque Giraud quitta les Etats-Unis, quelques hauts fonctionnaires américains formulèrent quelques réserves à son endroit, mais il rapportait à Alger de nouvelles promesses d’armement. Roosevelt avait réussi à concentrer l’attention du public américain sur la contribution militaire apportée par les Français et sur l’autorité militaire de Giraud.

Cependant à Alger, en l’absence de Giraud, de Gaulle affirmait son emprise sur le Comité auquel il avait donné la forme d’un gouvernement. Chacun de ses membres se vit attribuer ce qui était en fait un portefeuille ministériel. Il fut chargé non seulement de veiller au fonctionnement administratif de ce ministère mais aussi d’établir des plans pour le jour où le gouvernement s’installerait en France. De Gaulle n’hésita pas à soumettre à la discussion du Comité les problèmes concernant l’empire, la politique étrangère et la résistance. Un correspondant du New York Times déclara que le Comité était supérieur aux cabinets de la IIIème République. Débarrassé temporairement du problème Giraud, le Comité fonctionna efficacement.

Le prestige du Comité s’accrut encore lorsque, en juillet, l’amiral Robert se démit de ses pouvoirs sur la Martinique et la Guadeloupe. Avant qu’il ne le fît, Laval lui avait demandé de couler les navires et l’or qui s’y trouvait en dépôt. Roosevelt envisageait de placer ces colonies sous protectorat américain. Mais l’amiral Robert remis ses pouvoirs au représentant du Comité d’Alger et quitta la Martinique. Roosevelt parla de cet évènement comme d’un progrès dans l’effort de guerre. Il marquait en fait un recul dans la « politique des autorités locales » aux termes de laquelle les Iles étaient neutres depuis 1940. C’était grâce à de Gaulle et non à Roosevelt que les Antilles rentraient dans la Guerre.

Le 14 juillet 1943, de Gaulle attaqua publiquement l’attitude de Roosevelt. A Alger, devant une foule enthousiaste, il déclara : " Certains ont pu croire qu’il était possible de considérer l’action de nos armées indépendamment du sentiment et de la volonté des masses profondes de notre peuple. Ils ont pu imaginer que nos soldats, nos marins, nos aviateurs, différents en cela de tous les soldats, de tous les marins, de tous les aviateurs du monde, iraient au combat sans se soucier des raisons pour lesquelles ils affronteraient la mort. Bref, ces théoriciens prétendument réalistes ont pu concevoir que, pour les Français et pour les Français seulement, l’effort de guerre de la nation était susceptible d’exister en dehors de la politique et de la morale nationales. Nous déclarons à ces réalistes qu’ils ignorent la réalité ".

De son côté, comme s’il répondait à de Gaulle, Roosevelt déclarait : " La clé de voûte de notre structure démocratique est le principe qui place l’autorité du gouvernement entre les mains du peuple et du peuple seul. Les Français ne peuvent avoir d’autre que la France elle-même. Elle est au-dessus de tous les partis, de toutes les personnalités, de tous les groupements… C’est dans le peuple de France que réside la souveraineté française. "

Un tract reproduisant ce texte fut lancé par millions d’exemplaire au-dessus de la France. Roosevelt donnait la réplique à de Gaulle comme s’il s’agissait pour lui de gagner des voix avant un plébiscite.

Roosevelt refusait d’attacher de l’importance aux rapports de plus en plus nombreux qui signalaient la popularité croissante de de Gaulle. La presse alliée répétait que le peuple marchait avec lui. Un observateur américain envoyé par Marshall en mission d’étude rapporta que l’armée elle-même était devenue gaulliste. " Il est vrai, reconnaissait-il, que l’organisation gaulliste était pratiquement inexistante en Afrique du Nord le 8 novembre 1942. Mais une importante proportion des Français énergiques et libéraux d’Afrique du Nord en fait maintenant partie. Dans les groupes actifs d’Afrique du Nord, une grande majorité d l’opinion est d’accord avec le programme de de Gaulle. " Roosevelt lisait ces rapports avec scepticisme. Hull et Leahy[2], ses collaborateurs immédiats demeuraient convaincus qu’il fallait éliminer de Gaulle. Roosevelt n’admettait pas que la popularité dont jouissait de Gaulle pût lui conférer le droit de gouverner. Il alla même jusqu’à contester l’exactitude de ces rapports.

Tous les efforts de Roosevelt pour faire renaître chez Giraud le désir du pouvoir aboutirent à un échec lamentable. Giraud arriva à Alger les oreilles encore vibrantes des acclamations reçues à New York, à Ottawa et à Londres où il s’était arrêté sur le chemin du retour. Mais de Gaulle l’attendait. Loin de se laisser impressionner par ces succès, le Comité se montra plus hostile que jamais. A la quasi-unanimité, le Comité national décida de réduire les pouvoirs de Giraud. Le 31 juillet, moins d’une semaine après son retour de Washington, Giraud perdait tout pouvoir politique effectif. Il conservait le titre de coprésident et le droit de signer les décrets conjointement avec de gaulle, mais il ne pouvait plus prendre aucune décision. Son autorité militaire se trouvait affaiblie, du fait que de Gaulle assumait des responsabilités ministérielles plus importantes. Giraud apposa également sa signature sur un document où le Comité national le nommait commandant en chef. Le Comité, en effet, possédait sans conteste le droit de reprendre ce qu’il avait donné. En cherchant à exalter Giraud, Roosevelt n’avait réussi qu’à le rapprocher de sa perte…

…La libération de la Corse permit de mesurer l’autorité que De Gaulle prétendait avoir en France métropolitaine. En Corse, comme partout en France, les chefs de la résistance étaient en majorité communistes. Au départ des Allemands, les communistes prirent en main l’administration municipale. Le 8 octobre, quatre jours après la fin des combats, de Gaulle se rendit en Corse pour y proclamer la souveraineté du Comité national. L’armée était prête à l’appuyer, mais il préféra agir seul. Il circula dans toute la Corse, parlant au nom du gouvernement et de la République. Partout il reçu un accueil enthousiaste. L’opposition communiste ne se manifesta pas. Il n’y eut aucun mouvement de protestation contre l’ordre qu’il venait d’établir.

La libération de la Corse causa un nouveau heurt entre de Gaulle et Giraud. En effet, le commandant en chef que de Gaulle félicita pour le succès de l’opération, avait, durant les mois qui précédèrent la libération de l’île, traité en secret avec le réseau clandestin communiste. Dans sa naïveté politique, Giraud ne comprenait pas que, en ayant des contacts avec les communistes, il pouvait les amener à s’emparer du pouvoir.

Lorsque, après le soulèvement d’Ajaccio, de Gaulle apprit que Giraud avait été en rapport avec les communistes, il décida de subordonner une fois pour toutes le commandant en chef à ses ordres. Il ne voulait pas voir se répéter un tel incident en France métropolitaine où les communistes ne se montreraient peut-être pas aussi malléables.

Le 25 septembre, de Gaulle, de Gaulle proposa au comité de remplacer la double présidence par un pouvoir unique et fort. Giraud protesta que ces dispositions allaient à l’encontre des accords ayant servi de base au Comité. Sa protestation fut écrasée par une majorité gaulliste. D’autre part, le Comité approuva une réorganisation militaire qui ne laissait au commandant en chef qu’un pouvoir nominal sur l’armée. Giraud qui s’enorgueillissait de son ignorance politique termina sa carrière de coprésident en commettant un véritable suicide politique. Il signa avec de Gaulle des mesures qui, de ce fait, prirent force de loi.

Un mois plus tard, Giraud n’était plus membre du Comité. Sous prétexte de reformer les ministères, de Gaulle demanda à tous les membres du Comité de lui remettre leur démission. Giraud fut stupéfait d’entendre de Gaulle déclarer que sa démission était l’une des quatre à avoir été acceptées. De Gaulle était parvenu à ses fins. Il écartait du gouvernement le commandant en chef de l’armée. Cinq mois après son retour a Alger, Giraud, l’homme de Roosevelt, se trouvait pratiquement exclu de la scène politique française…

…Roosevelt voyait sans plaisir les évènements qui se déroulaient en Afrique du Nord. " J’ai l’impression très nette, écrivait-il à Marshall[3] au moment de la chute de Giraud, qu’il nous faudra cesser tout envoi de matériel et de munitions à l’armée française d’Afrique du Nord si notre prima donna l’enlève au vieux monsieur. " Lorsque « le vieux monsieur » tomba, il réitéra cette proposition. Mais Marshall ne partageait pas l’avis du président car Eisenhower allait avoir besoin des divisions françaises au cours des opérations qui se préparaient en Méditerranée.

Une fois encore, de Gaulle venait de contrecarrer Roosevelt. Il avait avalé Giraud en ayant soin, comme le lui avait recommandé Churchill, de ne pas le faire en une seule bouchée. Il se trouvait maintenant dépositaire d’une puissance militaire française devenue un élément important dans la stratégie alliée. Il n’était pas encore assez fort pour être assuré du succès. Mais il l’était trop pour qu’on pût l’abattre. Plus la bataille se rapprochait des côtes de France, plus s’affirmait l’importance du rôle que de Gaulle pouvait jouer dans la guerre. De Gaulle avait la certitude que Roosevelt lui-même devrait bientôt le reconnaître.

 

[1] Homme politique américain et le plus proche conseiller de Roosevelt surtout durant la Seconde Guerre mondiale. Hopkins décide Roosevelt à donner la priorité absolue à la lutte contre le Reich en Europe au lieu du Pacifique. Durant cette période, La parole d'Hopkins valant pour celle de Roosevelt, il peut rencontrer Staline sans demander d'audience, et Pie XII l'honore du protocole d'un chef d'État. Il participe très activement à conférence de Yalta et à la conférence de Potsdam

[2] Ambassadeur des USA auprès du gouvernement de Vichy [Note de la rédaction d’Objectif-France]

[3] Général américain, conseiller auprès du président Roosevelt. [Note de la rédaction d’Objectif-France]