Les dossiers d'Objectif-France Magazine
26 juin 2007

 

Pertinence ou impertinence de la Constitution gaullienne

 
  • Jean FOYER,

    Membre de l’Institut,

    Ancien garde des Sceaux du général de Gaulle

    Jean Foyer est né le 27 avril 1921 à Contigné (Maine-et-Loire). Agrégé des facultés de droit, il est diplômé de l'Académie de droit international de La Haye.
    Garde des Sceaux, ministre de la Justice du général de Gaulle (1962-1967), il a été ministre de la Santé publique en 1972-1973.
    Par ailleurs, il a été :
    - Député de Maine-et-Loire (nov. 1962 et 1967-1972 puis 1973-1988)
    - Conseiller général du canton de Ponts-de-Cé (1967-1973)

L’enseignement du droit constitutionnel distingue deux espèces de constitutions selon leur mode de révision, les constitutions souples et les constitutions rigides. Les premières peuvent être modifiées selon la procédure législative ordinaire. C’est dire qu’elles ne sont point assurées d’une stabilité meilleure que ne sont les lois ordinaires et qu’en vérité elles ne sont pas dotées d’une force juridique supérieure à celles des secondes. La rigidité résulte de règles de compétence et de procédure qui leur sont spéciales. L’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 les énonce : l’initiative de la révision n’appartient pas au Premier ministre mais au Président de la République ; la révision doit être adoptée en termes identiques par les deux assemblées, le sénat jouit de l’égalité des droits avec l’Assemblée nationale qui n’exerce pas le droit de dernier mot en matière constitutionnelle ; le vote conforme de deux assemblées ne rend pas la révision parfaite, celle-ci doit encore être ratifiée par le référendum à moins que s’agissant d’un projet et non d’une proposition de révision, le Président de la République ne préfère le renvoyer devant l’Assemblée et le Sénat réunis en Congrès ; le Congrès doit en ce cas adopter le texte à la majorité des trois cinquièmes.

 

Pourquoi ce formalisme renforcé ? Dans la pensée du Constituant, il est destiné à assurer la stabilité de son œuvre. Calcul qui, dans l’Histoire, a été souvent déjoué. Des révolutions ont emporté sans ambages les constitutions les plus rigidifiées, celles de 1791 ou celle de l’an III par exemple. Et le fait majoritaire rend illusoire les préoccupations du Constituant.

 

La Constitution du 4 octobre 1958 en est l’exemple. Durant la présidence du général de Gaulle, elle a reçu deux modifications. La première était sans gravité, elle concernait les dates d’ouverture et de clôture des sessions parlementaires. La seconde était d’importance majeure, ou plus exactement maxime ; elle instaurait l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

De 1962 à 1974, c’est la stabilité. A partir de 1974, la manie constituante commence à sévir. Se succèdent la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel, la Cour de justice de la République, la modification du Conseil supérieur de la magistrature, le démantèlement du parlementarisme rationalisé, la parité électorale des deux sexes, l’annihilation du référendum sous le prétexte d’en étendre le domaine, puis l’autorisation de ratification à la suite des aliénations de souveraineté au projet de l’Union européenne. La Constitution a pris la figure d’un manteau d’Arlequin, auquel l’on n’a cessé de coudre des pièces.

En 2003 et en 2004, nous avons vu bien pire. La Constitution a été tartinée. Le nouveau titre XII des collectivités territoriales mériterait une mauvaise note s’il était présenté comme une dissertation scolaire. Il énumère un ensemble de cadeaux faits aux élus locaux qui viennent d’enlever la majorité aux parlementaires qui les ont gratifiés !

Quant à la dernière trouvaille, la Charte de l’environnement, « adossée » au texte constitutionnel, si elle n’apportera rien à la sécurité et à la conservation de la nature, elle offrira d’excellents moyens de chicane à des plaideurs institutionnels.

 

A ceux qui participèrent à la rédaction des textes en 1958 – et j’en fus – la lecture de la Constitution prétendument révisée donne un spectacle de désolation. La Constitution est à nettoyer, elle est à débarrasser du fatras dont elle a été encombrée, elle est à réécrire. Le Constituant, le nouveau constituant, devra se pénétrer de l’évidence qu’une constitution n’est pas un lieu de démagogie et que sa révision ne doit pas être le moyen de s’attirer des sympathies électorales, quelles qu’elles soient. Une Constitution n’est pas un fourre-tout. Son objet naturel est double : organiser les pouvoirs publics de telle sorte qu’ils soient en mesure de prouver le bien commun de la collectivité étatique et de poser à leur action les limites nécessaires pour assurer le respect des droits fondamentaux des personnes.

 

En quelle mesure les règles de la Constitution du 4 octobre 1958 méritent-elles d’être conservées ? S’agissant du fonctionnement des pouvoirs publics, notre Constitution s’est révélée susceptible de plusieurs lectures. Dans sa lettre originelle, elle est une constitution parlementaire rationalisée. C’est le Gouvernement, Premier ministre et ministres, qui détermine et conduit la politique de la Nation, et qui est responsable devant l’Assemblée nationale. Le Président de la République, issu d’un suffrage quasi sénatorial, reste comme ses prédécesseurs des Républiques précédentes une sorte de super notaire conférant l’authenticité aux actes les plus graves de la vie de l’Etat, mais qui reçoit de surcroît des pouvoirs faisant de lui un deus ex machina pour la prévention (référendum) ou la solution des crises graves (dissolution).

En vérité, cette Constitution, à ses débuts n’a jamais été appliquée telle qu’elle était écrite. Le général de Gaulle, élu à la présidence, est devenu immédiatement non seulement le Chef de l’État mais aussi le vrai chef du Gouvernement. Majorité et opposition parlementaires, trop contentes de s’en remettre à lui pour terminer l’affaire algérienne se sont accommodés de la présidentialisation du régime.

Bien conscient qu’une fois l’Algérie indépendante, le consensus des partis ne durerait pas, le Général a cherché par le référendum l’approbation de sa pratique de la Constitution et la confirmation anticipée du pouvoir de ses successeurs, en faisant élire le Président au suffrage universel direct. La procédure de révision qu’il avait choisie, déclencha une tempête de constitutionnalité. Il en sortit vainqueur. Jusqu’en 1986, tous les présidents appliquèrent la Constitution comme avait fait le Général, en s’abstenant toutefois d’engager leur responsabilité sur l’adoption des textes soumis au référendum.

Le tout supposait une suffisante harmonie entre le Président de la République et la majorité parlementaire, ce que les politologues ont dénommé le fait majoritaire. Trois fois la concordance a été rompue, le renouvellement de l’Assemblée nationale ayant envoyé au Palais Bourbon une majorité opposée au Président de la République. Il eut été concevable d’en venir – enfin – à l’application parlementaire. L’expérience a révélé que la contradiction dialectique se résolvait – fort mal du reste – par une synthèse boiteuse, celle de la cohabitation. Les présidents cohabitants sont parvenus à demeurer finalement les maîtres de la politique étrangère et même de la défense, et ont généreusement laissé au Gouvernement la charge de la gestion ingrate de la politique économique, financière et sociale. Le passage du septennat au quinquennat a été présenté comme le moyen de prévenir à l’avenir de telle situation de cohabitation. En est-on certain ?

 

Du coup, les constitutionnalistes proposent des schémas sinon nouveaux, au moins nouvellement dénommés. Dans leur terminologie, le régime parlementaire classique reçoit un coup de peinture, et devient un régime primo ministériel, dont le gouvernement britannique demeure toujours le modèle. Sans doute, la question fondamentale est-elle celle de l’élection, de la place et des pouvoirs du Président de la République.

Une donnée s’impose qui ne peut être éliminée : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Le Peuple français s’est arrogé le droit d’élire le Chef de l’État par le référendum de 1962. IL n’y renoncerait pas par un nouveau référendum et si le Parlement osait le décider, son vote apparaîtrait comme un coup de force. En revanche, il conviendrait absolument de revenir sur le quinquennat, et sur l’articulation des élections législatives avec l’élection présidentielle. Ces dispositions malencontreuses ont détruit ce que la Constitution et la révision de 1962 avaient voulu faire, c’est-à-dire placer le Chef de l’Etat au-dessus et au-delà des partis. Elles en ont fait le chef du parti majoritaire, avec le danger pour lui d’en suivre le malheureux sort. Ce système n’est guère éloigné du prétendu primo-ministérialisme pour la désignation du chef véritable de l’exécutif, si ce n’est qu’il décompose en deux temps ce que le système britannique accomplit en un seul. Mais il reste tout de même boiteux. Le Premier ministre subsiste et demeure responsable devant l’Assemblée nationale. Pratiquement, cette responsabilité est importante par sa contrepartie, constituée par les pouvoirs dont le parlementarisme rationalisé arme le Gouvernement pour tirer des assemblées les moyens nécessaires à la conduite de sa politique. Le régime combine les avantages du régime présidentiel et ceux du régime parlementaire.

 

Le Général avait tempéré l’exercice des prérogatives présidentielles dont il avait dressé le tableau dans sa conférence de presse du 30 janvier 1964, en pratiquant l’engagement de sa responsabilité politique devant le Peuple, notamment par le moyen du référendum. DE cette pratique, René Capitant avait induit une théorie de la Ve République, caractérisée par la superposition de deux binômes au sommet de l’Etat : le Président, à qui appartient le choix des grandes orientations et qui est responsable devant le Peuple, et le Gouvernement, en charge du quotidien, responsable devant l’Assemblée nationale. Tableau exact du premier âge de la Ve République.

 

Les successeurs du général de Gaulle n’ont jamais voulu engager leur responsabilité. Peu leur a importé le désaveu pourvu qu’ils demeurassent en place. Dès lors, des compensations ont été recherchées dans l’érosion, sinon l’abolition du parlementarisme rationalisé, ce qui a été entrepris par la stupide révision de 1995, et dans la substitution de la représentation proportionnelle au scrutin majoritaire. La VIe République, que réclame le Nouveau Parti Socialiste, ne serait rien d’autre que la IVe restaurée, le retour aux délices du régime des partis, donc à l’instabilité permanente. Le XIXe siècle a été le grand âge du parlementarisme. Le XXe et celui qui commence sont l’âge de son déclin. Les média remplacent les parlementaires dans leur fonction de relais entre le pouvoir et les citoyens. Le contrôle du Gouvernement les intéresse faiblement. L’activité législative, largement usurpée par les institutions européennes, n’est plus guère autre chose que la satisfaction de groupes de pression, au travers de lois prolixes gorgées de lapalissades. Nous sommes à l’âge du législateur gougnafier.

Quant à l’harmonie entre Président et majorité parlementaire, le quinquennat et la succession des élections ne confèrent pas l’assurance d’une nécessaire coïncidence et ne nous mettent pas à l’abri de futures cohabitations.

 

Que faire ? L’évolution est la conséquence du développement du fait majoritaire, que les constituants de 1958 ne jugeaient pas possible. Peut-être n’est-il pas durable. Les grands partis qui, depuis 1962, ont détenu, alternativement, la majorité, au moins une très forte majorité relative, sont en voie de dislocation. Ils avaient été créés autour de (de Gaulle) ou par (Mitterrand) de fortes personnalités qui n’ont pas été remplacées. Avant que ne se lève une nouvelle génération, qu’il faut espérer, je dirai du personnel dirigeant en place qu’il faut se forcer beaucoup pour lui découvrir une quelconque ressemblance avec le Cardinal de Richelieu ! Le parlementarisme rationalisé, de faible utilité lorsque la majorité est compacte, pourra redevenir d’une forte nécessité. Il importe de le conserver et de rétablir ses dispositions, stupidement modifiées.

Reste le problème de l’exécutif à deux têtes, et le choix entre une présidence modèle 1958 ou une présidence modèle 1962-64. L’une est faite pour les temps de cohabitation, l’autre pour les temps d’harmonie présidence-majorité. Sans doute convient-il de se résigner à les conserver l’une et l’autre. Ce qu’il est nécessaire de prévenir est le retour à une combinaison de l’une et de l’autre instaurée par Mitterrand.

Qu’alors le Président redevienne arbitre, qu’il ne se mêle plus de gouverner, ni d’empêcher le Premier ministre de le faire. Peut-être est-ce là un rêve : celui qui a exercé le pouvoir ne peut plus s’en passer. Comme l’a écrit Chamfort, toute autre vie est pour lui languissante.

 Extrait de la revue Libres


  • Mémoire de ma vie politique (1944-1988) de Jean Foyer

Jeune résistant, Jean Foyer, né en 1921, entre en 1944, à moins de vingt-trois ans, au cabinet de René Capitant au ministère de l'Éducation nationale du Gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle. Cette expérience le marque pour toujours et déterminera les chemins qu'il empruntera jusqu'à la fin des années quatre-vingts aux côtés d'hommes d'État exceptionnels, et parmi eux, bien sûr, le Général. Même s'il lui arrivera de revenir à ses chères études - il a longtemps été professeur de droit -, il ne s'éloignera plus jamais de la chose publique. Il sera ainsi maire, conseiller général, député, président de la Commission des lois constitutionnelles à l'Assemblée, et surtout ministre à des postes particulièrement exposés : secrétaire d'État aux Relations avec les États de la Communauté puis ministre de la Coopération de 1960 à 1962, en pleine décolonisation ; garde des Sceaux de 1962 à 1967 au moment de l'application des réformes institutionnelles de la Ve République et des grands procès consécutifs à la guerre d'Algérie, ministre de la Santé en 1972-1973, au plus fort des polémiques sur l'avortement... Homme de conviction et de fidélité, acteur capital, Jean Foyer, aujourd'hui membre de l'Académie des sciences morales et politiques, est le tout dernier des grands ministres du Général à livrer son témoignage. Riches d'épisodes et d'anecdotes inédits, de portraits subtils, ces Mémoires longuement mûris sont en même temps d'une hauteur de vue peu commune grâce aux réflexions sur les institutions et le fonctionnement de l'État pour lesquels l'homme de foi, le patriote, l'intellectuel et le juriste se sont toujours passionnés. Achetez chez www.amazon.fr