Les dossiers d'Objectif-France Magazine
11 février
2007

 

Charles de Gaulle : mission et légitimité nationales                                                                   

 

   Max Gallo, Écrivain
 

(Photo AK)

Libres. – Vous avez écrit il y a quelques années une biographie romanesque consacrée à Charles de Gaulle. La personnalité du Général est généralement peu abordée dans tout ce qui s’écrit à son sujet ; les auteurs en restent souvent au personnage historique et politique, à l’icône. Votre biographie est différente, et c’est son intérêt. Vous vous intéressez davantage à sa psychologie. Quelle idée vous faites-vous de l’homme Charles de Gaulle ?

Max Gallo. – Je ne dirais pas « davantage ». Pour moi, une personnalité est un tout qui ne sépare pas l’homme privé de l’homme public. Ce qui m’a intéressé chez de Gaulle, c’est au fond de découvrir ce qu’Alain Peyrefitte disait de lui quand il le décrivait comme « un homme qui habitait sa statue ». Moi, je me suis intéressé à la fois à la statue et à l’homme qui était à l’intérieur. Quand je vois cette photo célèbre de de Gaulle sur une plage de Berck, habillé en grand bourgeois, avec un chapeau et un costume, tenant sur ses genoux sa fille handicapée, cela me révèle beaucoup de l’homme privé mais aussi beaucoup de l’homme politique. Il y a une anecdote significative : quand, après sa démission d’avril 1969, de Gaulle se retire en Irlande, l’Ambassadeur de France en place, un ancien de la France libre, lui demande un jour de lui dédicacer un exemplaire de ses Mémoires de Guerre ; de Gaulle écrit alors trois citations. La première est de Nietzsche : « Rien ne vaut rien. Il ne se passe rien et cependant tout arrive et c’est indifférent. » La deuxième est un proverbe du Moyen-âge : « Celui qui a beaucoup souffert a beaucoup appris. » La troisième est de Saint Augustin : « Vous qui lisez ce livre, priez pour moi. » Pour moi, ces trois citations résument la complexité de l’homme et révèle ce qu’il était profondément dans l’intimité, même si nous sommes là à la fin de sa vie.  Je crois que c’était un homme qui avait le sentiment d’avoir un destin à accomplir comme une mission, c’est-à-dire peut-être sans grand plaisir. De Gaulle n’était donc pas un ambitieux pour lui-même, c’était un ambitieux à la manière de Saint Bernard, c’est-à-dire en allant jusqu’au bout de ses convictions. Je ne crois pas que ce fut un homme mû par le désir du pouvoir, ce que sont souvent les hommes politiques qui souhaitent y accéder et s’y accrocher. Il veut accéder au pouvoir pour réaliser une mission et une mission qui lui pèse énormément, presque comme un calvaire. J’emploie des termes religieux parce qu’il y a beaucoup de religiosité dans son sentiment du devoir que la Providence lui a intimé de remplir.

 

Libres. – Vous avez aussi écrit sur Bonaparte. Je trouve cela très intéressant car nombreux sont ceux qui font un parallèle entre gaullisme et bonapartisme, soit qu’ils comparent de Gaulle à Napoléon, soit qu’ils le comparent à Napoléon III. Et c’est généralement, dans l’esprit de ceux qui établissent ces comparaisons une façon de dénigrer le gaullisme. En tous les cas, les avis sont partagés sur ce point. Deux questions alors me taraudent l’esprit : Premièrement, quelles sont les analogies et les différences majeures que vous percevez entre les deux hommes – il s’agit là des personnes et non des personnages ? Deuxièmement, le gaullisme est-il selon vous en effet un bonapartisme ?

Max Gallo. – En ce qui concerne les personnes, je crois qu’il y a très peu de rapprochement à faire entre les deux. Bonaparte est un individualiste qui a un projet personnel. Il conçoit sa vie comme une aventure individuelle, il dit « ma vie est un météore ». Au fond, Bonaparte se sert des circonstances et se sert e la France pour se réaliser. Il n’a pas le sentiment d’une mission. De Gaulle se fait une certaine idée de la France, Bonaparte se fait d’abord une certaine idée de lui-même.  Cela dit, le bonapartisme a exprimé à l’époque contemporaine une vieille ligne de force de l’histoire nationale, celle de l’homme providentiel. Et en effet, la France est un pays qui traverse des moments de crise profonde – une sorte d’abîme – et puis, fille aînée de l’Eglise, doit surgir de son peuple une personnalité exceptionnelle qui va bousculer les lignes et s’imposer comme un sauveur incarnant la totalité du peuple et toue l’histoire nationale. Et dans le bonapartisme, il y a cette idée du rassemblement qu’on retrouve chez de Gaulle. Bonaparte juste après le coup d’Etat du 18 Brumaire a dit : « Ni bonnet rouge, ni talon rouge, je suis national ». Il y a de ce point de vue une racine du gaullisme.

 

Libres. – Après ces deux géants, je ne peux m’empêcher de penser à Jeanne d’Arc. De Gaulle n’est-il pas plus proche de Jeanne d’Arc que de Napoléon ?

Max Gallo. – Vous avez raison malgré les différentes évidentes d’époque, de sexe, de référence à Dieu, explicite chez l’une, pas explicite chez l’autre. Dans les deux cas, nous avons des êtres qui conçoivent leur action comme la mise en œuvre d’une mission. Ils ont tous deux la conscience d’être en charge du destin et qu’un rôle majeur leur a été confié.

 

Libres. – Vous m’avez dit la dernière fois que je vous ai interrogé que selon vous le clivage droite-gauche structurait toujours la vie politique française ; et cela je le crois volontiers. Mais pensez-vous qu’il soit nécessaire qu’il la structure ? De Gaulle pensait le contraire et voulait dépasser ce clivage, le transcender, même s’il n’y parvint pas toujours. Dans une période comme aujourd’hui, une politique d’union nationale ne s’impose-t-elle pas ?

Max Gallo. – Le mot clé de de Gaulle est celui du rassemblement ; ce n’est pas pour rien qu’il a intitulé le mouvement qu’il a créé en 1947 le Rassemblement du Peuple Français. Il y avait chez lui, au-delà des partis politiques faisant « leurs petites cuisines sur leurs petits feux », la conviction que la Nation transcende les clivages. De Gaulle a été soutenu par des communistes et par des royalistes ! La tension de l’Histoire de France c’est cette tension entre d’une part une division forte et tenace, presque permanente, et d’autre part la nécessité momentanée, compte tenu des circonstances, de dépasser cette division par le rassemblement national. Je crois que nous sommes à un moment où cette nécessité de dépasser les clivages, pourtant bien réels dans les esprits, se fait tout à fait sentir. Il me semble que s’il n’y a pas de discours sur la Nation, la France ne sortira pas de sa crise, de ce que j’appelle une crise nationale de longue durée, crise qui court depuis la Première Guerre mondiale et qui est équivalente par son ampleur et sa profondeur de ce que nous avons connu pendant la Guerre de Cent Ans. De Gaulle en réalité n’aura été dans cette crise nationale de longue durée que celui qui, pendant une quinzaine d’années, a incarné précisément les forces de rassemblement, pour être finalement vaincu par la division, soit en 1946 quand il démissionne, soir en 1969 quand il quitte le pouvoir. Ce souci de la Nation, c’est là une très grande différence d’ailleurs avec la Grande-Bretagne. Qu’ils soient Conservateurs ou Travaillistes en Grande-Bretagne, les élites et leurs électeurs n’oublient jamais que « right or wrong, it’s my country » et aujourd’hui il y a un patriotisme britannique qu’incarne Tony Blair tout comme l’incarnait hier Mme Thatcher. Je ne suis pas sûr qu’ l’on puisse dire la même chose des élites françaises, je pense même le contraire.

 

Libres. – Il y a aujourd’hui quelque chose qui me gêne après les résultats du référendum sur le Traité constitutionnel européen. Si j’écoute Emmanuelli ou Mélenchon, je perçois un Non de gauche très différent du Non de droite. On parle beaucoup à gauche de souveraineté populaire et pas du tout de souveraineté nationale. Emmanuelli se définit lui-même comme un fédéraliste européen, tout comme Fabius d’ailleurs.

Max Gallo. – Ecoutez, sur un plateau de télévision où je débattais à côté de Besancenot comme représentant du Non, et après une de mes interventions sur la Nation justement, Besancenot a immédiatement pris ses distances me reprochant de vouloir défendre « le petit village gaulois » et se définissant comme internationaliste. Je crois donc qu’en effet il y a une impasse dans le Non de gauche : ils n’ont pas compris ou ils refusent d’admettre par conviction internationaliste que le problème aujourd’hui est précisément celui de la souveraineté nationale. Quand la Grande-Bretagne affirme avec force qu’elle entend défendre ses intérêts nationaux, nous, nous tenons un discours internationaliste, hostile aux souverainistes.

 

Libres. – Oui, d’autant que si de nombreux gaullistes, parfois classés à tort à droite, dénoncent les excès du libéralisme, à gauche, à l’exception de Chevènement, c’est comme si on avait oublié la Nation, comme si on reniait Jaurès. N’est-ce pas là le véritable problème du dépassement du clivage ?

Max Gallo. – Bien sûr. L’idée que l’on puisse être patriote républicain n’est pas admise à gauche. Celle qui a fait les gros bataillons du Non est certes antilibérale mais elle est pour la souveraineté des peuples. Besancenot propose une Constituante à l’échelle de l’Europe. Pour cette gauche, la Nation est un concept négatif, d’enfermement réactionnaire.  Et cette problématique de négation de la Nation a été poussé à l’extrême par les socialistes qui ont voté Oui, précisément parce qu’ils ont en commun avec le Oui de droite à la fois l’économisme – l’idée que l’économie va créer une civilisation – et ce qu’ils appellent  les uns, à gauche, l’internationalisme, les autres, à droite, la mondialisation. Cette rencontre du Oui, soit à Maastricht soit au sujet du Traité constitutionnel, se fait sur l’oubli de la Nation.

 

Libres. – C’est pourquoi je vois mal en ce qui me concerne la possibilité réelle d’un dépassement du clivage dans une échéance proche.

Max Gallo. – Je suis tout à fait d’accord. En 2007, il faudrait qu’il y ait un candidat qui soit capable de parler de la Nation, réellement et pas seulement en termes de critique antilibérale. Je pense d’ailleurs que ce serait la condition de son succès. Ce qui s’est passé en 1989-1991, la chute du Mur de Berlin et la fin de l’Union soviétique, marque le renouveau du thème national. Cette révolution, car c’en fut une, avait certes un aspect démocratique, antitotalitaire que tout le monde a vu et décrit, mais elle avait aussi un aspect national que l’on a négligé par aveuglement.  On mesure bien aujourd’hui cet aspect national avec l’éclatement de la Yougoslavie, avec les revendications nationales de la Pologne, avec l’Allemagne qui cherche un « deutschweg », une voie allemande, avec la Grande-Bretagne qui défend ses intérêts, etc. C’est bien ce qui rend totalement obsolète le discours des européistes, car ils ne sont plus en phase avec ce mouvement historique qui s’est déclenché lorsque les Nations ont surgi du dégel. Ce qui apparaît partout aujourd’hui, c’est la question de l’identité nationale et le choix il est entre ces identités nationales ou au contraire l’émiettement des Nations en de micros-communautés plus ou moins rivales. Les élites françaises ne devraient pas rester aveugles devant de mouvement ; le peuple en tous cas ne l’est pas car dans son Non il y a aussi un aspect souverainiste incontestable.

 

Libres. – Le retour du souci de l’identité nationale est heureux mais ne porte pas le risque de profiter à des entreprises politiques dangereuses ?

Max Gallo.– C’est un péril qui a été délibérément entretenu quand on laissé le Front National s’emparer de Jeanne d’Arc et s’accaparer le thème de la Nation. C’est le risque d’un discours chauvin voire xénophobe qui est aux antipodes du discours gaulliste. Le péril existe donc s’il n’y a pas face à lui un discours que j’appellerai républicain-patriote, disons dans la filiation gaulliste. Nous ne sommes pas à l’abri d’un nationalisme étroit même si je ne crois pas beaucoup à son succès mais davantage à sa capacité de stérilisation de la vie politique. Le peuple français est un peuple qui a une culture historique et une forte imprégnation républicaine.

 

Libres. – Quelle serait votre définition du gaullisme ?

Max Gallo. – Le gaullisme, c’est d’abord l’idée que la Nation est, à l’échelle historique, une réalité d’avenir et que c’est dans le cadre de la Nation, par la volonté de son peuple façonné par l’Histoire, que se définit la vie démocratique et que peuvent se faire les réformes. Autrement dit, est gaulliste celui qui pense aujourd’hui que la réforme nécessaire de l’Etat et de la société française doit puiser dans l’histoire nationale et non pas importer quelque autre modèle, qu’il soit rhénan, danois, blairiste ou américain. Dans le gaullisme, ce qui prédomine c’est cette réalité forte de la Nation ; c’est en s’appuyant sur cette réalité-là qu’on peut trouver des solutions spécifiques et sortir de la crise.

 

Libres. – Partagez-vous le sentiment actuel de ceux qui considèrent que la crise politique que nous traversons est d’abord une crise de régime ? Car ce sont bien les institutions de la Ve République, et notamment l’élection du président de la République au suffrage universel, qui sont aujourd’hui de plus en plus contestées. Ce qu’on appelle la « monarchie républicaine » ne constitue-t-il pas au contraire une garantie de stabilité pour la France et n’est-ce pas courir un grand risque que de revenir à un parlementarisme débridé ?

Max Gallo. – Je comprends bien vos questions. Je partage la manière dont vous les poser, à quelques remarques près. Car les institutions mises en place en 1958-1962 par le général de Gaulle ont été vidées de leur substance avec les épisodes de cohabitation et la réduction du mandat présidentiel à cinq ans ; de ce point de vue, la France connaît aussi une crise institutionnelle. La cohabitation était contraire à l’esprit des institutions voulues par de Gaulle car pour lui ce qui est déterminant c’est la légitimité populaire et quand celle-ci n’est plus présente le titulaire du pouvoir doit céder la place. Cela n’a pas eu lieu ni avec François Mitterrand ni avec Jacques Chirac qui de ce fait ont modifié les institutions qui certes ont pu fonctionner mais au prix d’une paralysie. Quant à la réduction de la durée du mandat présidentiel, elle place le Président en première ligne, elle en fait l’incarnation d’une majorité et non plus du rassemblement national. On a pu le vérifier de façon exemplaire à l’occasion de l’élection du 5 mai 2002 quand Jacques Chirac, en dépit de plus de 80% des suffrages exprimés, et donc une position de rassemblement inattendue, a finalement choisi d’imposer une politique de droite limitée à son seul camp. La France est donc placée dans une crise institutionnelle qui tient aussi au fait que nos hommes politiques préfèrent le pouvoir à la légitimité.

 

Libres. – Jusqu’à quand, la France va-t-elle souffrir de ce manque d’hommes ?

Max Gallo. – Vous savez, les hommes surgissent. François Mitterrand a fait surgir en 1981, par l’alternance, une nouvelle classe politique à gauche, ce qui a entraîné également un renouvellement à droite. Nous arrivons aujourd’hui au terme de cette période qui aura duré un quart de siècle. Aujourd’hui, il y a une relative stérilisation de la classe politique, on ne voit pas de personnalité pour s’imposer dans un univers émietté. Mais je ne veux pas être pessimiste car je ne crois qu’à une seule loi de l’Histoire, celle de la surprise. Et la crise nationale qui arrive à son terme va imposer des solutions dans tous domaines et donc va faire surgir des hommes à la hauteur des circonstances.

 

Propos recueillis par Raphaël Dargent   (Vrais et faux gaullistes)

 


 

Dernier ouvrage de Max Gallo

 

Il faut bien que quelqu'un monte sur le ring et dise: "Je suis fier d'être français. " Qu'il réponde à ceux qui condamnent la France pour ce qu'elle fut, ce qu'elle est, ce qu'elle sera: une criminelle devenue vieillerie décadente. Or nos princes, qui devraient la défendre, au lieu de pratiquer la boxe à la française, s'inspirent des lutteurs de sumo ! Comment ne pas chanceler dans ces conditions? Et les procureurs de frapper fort. Ils exigent que la France reconnaisse qu'elle les opprime, qu'elle les torture, qu'elle les massacre. Seule coupable! Pas de héros dans ce pays! Renversons les statues, déchirons les légendes. Célébrons Trafalgar et Waterloo, et renions Austerlitz! Ils veulent que la France s'agenouille, baisse la tête, avoue, fasse repentance, reconnaisse ses crimes et, tondue, en robe de bure, se laisse couvrir d'insultes, de crachats, heureuse qu'on ne la " nique " qu'en chanson et qu'on ne la brûle que symboliquement chaque nuit! Il est temps de redresser la tête, de hausser la voix, de monter sur le ring... et de boxer à la française!.

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