04/12/03

retour

La décolonisation et l’indépendance de l’Algérie marquent le début de la politique étrangère du général De Gaulle

Par Paul-Marie de la Gorce (Histoire Magazine, octobre 1980)

  

 

1er septembre 1966. Devant 80000 personnes rassemblées dans le stade de Phnom Penh (Vietnam), le Général de Gaulle prononce les mots historiques condamnant l’intervention américaine.

 

« Il n’y a aucune chance pour que les peuples de l’Asie se soumettent à la loi de l’étranger venu de l’autre rive du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes que soient ses armes !... A moins que l’univers roule vers la catastrophe, seul un accord politique pourrait donc rétablir la paix ».
Lire le discours

 

La voix de la France n’a jamais état aussi forte… Ni la tempête plus violente dans les chancelleries

 

La décolonisation débouchait sur l’un des trois faits majeurs qui allaient, à cette date, changer l’histoire du monde : l’avènement international du Tiers Monde, l’éclatement du camp communiste, la parité entre les puissance nucléaires. De Gaulle voulait une politique qui en tînt compte, mais pour assurer, en toute hypothèse, l’essentiel, c’est-à-dire l’indépendance, à la fois but suprême et instrument permanent de la politique de la France.

L’émancipation de l’Afrique noire française et de l’Algérie ouvrait la voie à une politique concernant l’ensemble du Tiers Monde. Indépendante, la France devait se faire le champion de toutes les indépendances : les limites de sa puissance et, malgré tout, ses moyens d’action faisaient d’elle la partenaire naturelle de tous les pays qui accédaient à leur indépendance, ou devaient la préserver, ou avaient à se défendre des grandes hégémonies. Telle serait désormais la politique française. Par un enchaînement logique, elle conduisit à défendre la neutralité du Cambodge et du Laos, à condamner la guerre américaine au Vietnam, à s’opposer à l’expansion territoriale d’Israël et à condamner son initiative de guerre en 1967, à reconnaître la volonté d’émancipation du Québec, à coopérer avec des Etats de touts régimes.

Ce qui inspirait de Gaulle, dans son action internationale – comme, du reste, dans sa vision, du destin historique de la France -, c’était la conviction que l’ultime réalité, dans l’histoire et dans les sociétés, c’est la nation. C’est ainsi qu’il ne voyait dans les idéologies que le masque ou l’instrument des entreprises ou des ambitions nationales : les intérêts nationaux devaient finir par avoir le dernier mot. De là son diagnostic sur le monde communiste : il envisagea, dès 1959, que Chine et Russie en viendraient à s’opposer. Il en déduisait la politique à mener : il fallait avoir avec tous les Etats communistes des rapports d’Etat à Etat, et contester toute idée de bloc à l’Est, comme on le ferait à l’Ouest. On ne s’inspirerait que de l’intérêt de la France, mais en prenant en considération le fait que ses partenaires ne s’inspireraient aussi que de leurs intérêts nationaux.

Passé les crises de Berlin en 1961 et de Cuba en 1962, et la fin de la guerre d’Algérie ayant mis un terme à une source de tension entre la France et les pays socialistes, de Gaulle s’engagea à fond dans la voie qu’il s’était fixée : la reconnaissance de la Chine populaire, un grand périple en Union soviétique, le triptyque « détente-entente-coopération » marquant désormais les relations avec l’Est, furent autant d’étapes dans cette voie.

  • Ni l’Amérique, ni l’Europe.

Mais la même contestation des blocs valait pour l’Ouest. Il apparut très vite à de Gaulle que les Etats-Unis ne changeraient pas leur conception du système atlantique, qui garantissait leur propre hégémonie. La base en était, bien entendu, la protection militaire qu’ils accordaient à leurs partenaires européens, et l’instrument en était l’intégration des forces occidentales sous leur égide. Pour mettre fin à cette situation d’indépendance, il fallait que la France assure sa propre défense : la mise sur pied de forces nucléaires mises au service d’une stratégie de dissuasion, était la seule façon d’y parvenir. Et toute l’histoire des relations entre la France et les Etats-Unis devaient être dominée, pendant dix ans, par cette entreprise de reconquête de l’indépendance nationale, à laquelle la politique américaine mit de nombreux obstacles, et dont le point culminant fut en mars 1966, la rupture entre la France et l’Organisation militaire atlantique.

Cela ne pouvait se concevoir, bien entendu, sans que l’indépendance nationale soit mise à l’abri de tout système supranational européen : à la mise en œuvre effective de la Communauté économique européenne correspondit donc la mise en échec systématique de tout projet de supranationalité.

Au total, c’était un renversement complet de toute la politique étrangère française qui s’était produit : renversement du système de subordination aux Etats-Unis, renversement de système de domination outre-mer, renversement du système des blocs, lequel les relations avec l’Est étaient enfermées, renversement de l’évolution qui risquait de conduire à une Europe supranationale.