Avec Michel Droit, de Gaulle se met en pyjama ! ...

Mis en ligne le 03 juin 2006
 

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Au soir du premier tour, ce dimanche 5 décembre 1965, les électeurs sont tout étonnés d'apprendre qu'ils ont mis le Général en ballottage. Le nouveau mode de désignation du Président de la République au suffrage universel décidé en 1962 se retournerait-il contre son promoteur ?

L'État-major de campagne du président sortant n'est guerre surpris. Son directeur, Pierre Lefranc, s'en souvient avec des angoisses rétrospectives. "Le Général avait, déjà, longuement hésité à se présenter à un second mandat. Madame de Gaulle m'avait fait venir tout exprès à Colombey :"C'est un mauvais service que vous lui rendez" disait-elle.

Mais le Général prenait seul ses décisions. C'est seulement un mois, jour pour jour, avant le premier tour qu'il avait donné son feu vert. Nous n'avions rien fait, ni affiches, ni tracts. Alors que les autres candidats avaient démarré depuis longtemps, nous avons dû tout réaliser en vitesse. Plus grave encore : le Général se refusait à utiliser son temps d'antenne à la télévision. Et nous écoutions ses adversaires l'attaquer sans pouvoir répondre. Et les sondages défavorables annonçaient ce résultat du 5 décembre. Le Général était, certes, en tête, mais suivi à trois millions de voix par F. Mitterrand. Et le candidat du centre, Jean Lecanuet, réalisait un bon score avec 15,57%. La partie n'était pas gagnée…"

D'autant que J.L. Tixier-Vignancour – porte parole des ex-Algérie française – invitait à reporter ses voix sur le leader de la gauche !

Après ce premier tour, le Général doute. Même si ce résultat infirme l'image de factieux et de "Boulangiste" que dessinent ses adversaires. A-t-on jamais vu un dictateur en ballottage ?

Pendant deux jours, de Gaulle réfléchit à Colombey. A ses proches, dont Jacques Vendroux, il confie : "J'hésite beaucoup. Je crois que je ne me représenterai pas !" Phrase qui est, bien sûr, répétée et provoque l'affolement. Mais ce grand "dramaturge" qu'est le Général ne crée-t-elle pas volontairement l'émotion ? Son doute devient une arme redoutable.

Et s'il se laissait interroger par un journaliste, au "coin du feu" ? Ne serait-ce pas une bonne idée ? Et point de débat avec F. Mitterrand auquel il se refuse à se "colleter" publiquement. On ne badine pas avec l'Histoire.

On lui propose Michel Droit. Après beaucoup d'hésitations, il accepte. Le principe de deux entretiens d'une demi-heure chacun est acquis.

Dans le salon Murat de l'Élysée, il refuse le moindre maquillage : "Ce n'est pas la peine que je me fasse barbouiller !" Les débuts sont difficiles. Il est convenu de garder les questions secrètes pour conserver un ton naturel. Et le Général se pique au jeu. A tel point qu'il propose un troisième entretien.

Les Français découvrent un autre de Gaulle, goguenard, émouvant, simple, dépouillé de sa rigidité élyséenne. Parfois même, il déclenche les rires lorsqu'il joint le geste à la parole en s'écriant : "Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !" (Vidéo de l'INA).

Quand tout est mis en boite, le Général, finalement ravi, dit-il à Georges Galichon, son directeur de cabinet : "Vous m'avez fait mettre en pyjama devant les Français !"

Sans doute les Français apprécient-ils le fait que leur grand homme soit descendu de son piédestal.

Le 19 décembre, avec une participation de 85%, de Gaulle l'emporte avec 55% des suffrages exprimés.