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Communiqué du 07 septembre 2008

 

Jean-Pierre Gérard

 

 Chers amis bonjour,

Merci Nicolas de m’avoir convié à ces journées studieuses et je me réjouis comme chef d’entreprise de pouvoir vous faire part des réflexions que m’inspire la situation politique actuelle.

Tout d’abord je voudrais vous dire pourquoi je suis au milieu de vous et pourquoi j’ai décidé de m’investir fortement de nouveau dans la vie politique de notre pays, de mon pays. Je vais vous faire un aveu j’ai la démocratie chevillée au corps, j’ai la certitude que la paix est menacée dès lors même que ceux qui ont la garde de nos lois, ne les respectent plus et ne respectent pas les choix populaires. Alors quand je vois avec quel mépris, par un tour de passe passe que NDA a très bien analysé dans son livre, quand je vois avec quel mépris on nous impose par une voie détournée ce que nous avions refusé à peine un an avant, quand les mêmes élites n’ont que sarcasmes vis-à-vis de l’Irlande qui a confirmé nos votes référendaires passés, je me dis que notre république est malade et que nos mandarins n’ont rien à envier aux hiérarques russes et chinois maîtres dans l’art d’esquiver les vraies questions qui mettraient en cause leur pouvoir.

Je vais vous raconter une anecdote. Lorsque nous avons voté pour le référendum sur le traité de Maastricht, j’étais allé voir Mr Monory pour lui présenter le club des N°1  mondiaux français à l'exportation et pour voir avec lui les moyens de faire une assemblée générale du club au Futuroscope. Bien évidemment nous abordons les questions monétaires et le référendum tout proche et je lui fais part en toute naïveté de mes interrogations et de mes doutes quand à l’avenir de cette BCE et de ce qui n’était pas encore l’euro. J’ai du supporter une algarade comme je n’en avais jamais subi. Comment vous le Président du club des N°1 mondiaux français à l'exportation pouvez vous imaginer refuser ce qui est une chance pour vos entreprises. Je lui faisais remarquer que ma position n’étais pas isolée et que contrairement à ce dont il m’accusait on pouvait très bien être parmi les chefs d’entreprises les plus dynamiques et malgré tout être sceptiques sur l’avancée qu’on nous décrivait. Vous êtes inconscients a t’il ajouté mettant ainsi un terme à notre entretien. Un chef d’entreprise est un citoyen et j’estime qu’un contrat quelqu’important, qu’il soit ne justifie jamais l’abandon des valeurs morales qui fondent notre action. Comme le disait Gandhi « l’homme (chef d’entreprise ou autre) est soumis à l’obligation de se laisser guider dans toutes ses actions par des considérations morales ».

Alors oui on peut être à la tête d’une association d’entreprises qui regroupent les meilleurs exportateurs et être réservés et en ce qui concerne la constitution hostile à la construction européenne telle qu’elle nous est fabriquée par des énarques en mal de postes prestigieux tant il est vrai que si nous avons de plus en plus de mal à exporter nos produits, nous arrivons à placer des inspecteurs des finances dans tous les postes internationaux prestigieux, mais où contrairement à leurs collègues des autres pays ils deviennent très vite apatrides, comme pour se faire pardonner d’être français.

Je vais vous dire ce qu’est le club des N°1  mondiaux français à l'exportation que je préside depuis 20 ans.

Le Club des N°1  mondiaux français à l'exportation

En chiffres c’est 180 entreprises, 400 milliard d’€de CA, et presque 2000000 des salariés.

Ce sont des entreprises de toute taille dans tous les domaines d’activités, mais dont le périmètre a tendance à s’éroder compte tenu de la difficulté qu’il y a aujourd’hui à être industriel en France. Mais je ne suis pas là pour parler de fiscalité, de droit social, de tout ce qui fait notre quotidien mais pour vous faire part des préoccupations d’un Chef d’entreprise face à la mondialisation qu’on nous présente comme le grand bienfait  des dernières décennies.

Si l’on regarde ce que la mondialisation a fait de nos entreprises leaders il y a de quoi s’inquiéter. Lorsque nous avons créé le club en 1988, l’internationalisation de la France était le fait à 70% de nos exportations et à 30% des implantations internationales. Aujourd’hui la proportion est plus qu’inversée puisque 70 à 80% de notre internationalisation vient des implantations internationales. Deuxième inquiétude presque 50% des entreprises moyennes ou petites du club sont passées sous contrôle étranger et ne parlons pas des grandes dont le capital est devenu totalement apatride.

Pourquoi j’estime que la mondialisation engendre la régression sociale dans notre pays

Les élites françaises ont fait le choix de la mondialisation. Il est si facile de proclamer qu’elle est inéluctable. Le choix ne nécessite que peu d’explication, tant il suffit de maintenir les organisations existantes, tant les arguments semblent partagés, tant les succès réels de l’européanisation des échanges laissent croire qu’une généralisation serait bénéfique.

La liberté retrouvée, appelait à l’effort et au renouveau national,

Cela ne signifie en rien que la facilité et la licence nous apporteraient des satisfactions équivalentes.

Il faut à notre pays et à l’Europe un projet cohérent et homogène. Il faut une Europe européenne qui sache se diriger toute seule, et qui ne succombe pas à la facilité de l’hégémonie protectrice de Washington. Ce projet seul permettra à la France de continuer de jouer le rôle original qui a toujours été le sien.  Sachons maitriser nos contraintes et surtout vouloir notre destin.

Les évolutions démographiques font déjà sentir leurs effets économiques et politiques avec le déplacement du centre de gravité économique du monde. Le vieillissement de la population a déjà des conséquences. Le poids des inactifs s’accroît et la charge correspondante est passée de 6 % en 1950 à 20 % aujourd’hui. Le plus grave, dans nos pays, provient de l’absence d’espoir, de l’incapacité à préparer l’avenir et à lui faire confiance. Au-delà de l’accroissement démographique en nombre, la répartition par âge sera bouleversée. Au sud des pays jeunes et pauvres, conquérants et qui n’ont rien à perdre, à l’Ouest les pays riches et vieux portés au malthusianisme, et aux avantages acquis.

Ces évolutions entraîneront des bouleversements culturels et religieux. Vous me direz que ce n’est pas à un chef d’entreprise de parler du fait religieux et culturel. Détrompez-vous car l'économie c'est de la culture.

*       Les deux actes économiques majeurs sont l'échange et l'investissement. L'échange se construit sur la confiance et la confiance n'a pas la même signification selon qu'on est bouddhiste, musulman ou chrétien.

*       L'investissement correspond à une préférence pour le futur et

*       les différentes religions ne donnent pas le même contenu, et c'est le moins que l'on puisse dire, à ces deux valeurs : confiance et vision de l'avenir. Il serait donc suicidaire de faire dépendre notre avenir d'autres peuples aux valeurs opposées aux nôtres.

La technologie modifiera les conditions de notre organisation sociale du 21ème siècle. Nos sociétés se structureront pour tenir compte de l'abaissement fantastique du coût de l'information et de l’augmentation des coûts des matières premières et de l’énergie. L'échange en sera transformé comme nous le voyons déjà avec Internet. Mais la nature même des produits, leur commercialisation, la prise en compte des besoins des clients, tout ceci concourra à donner à notre économie une structuration, de plus en plus éclatée.

Ces évolutions sont déjà en route. Laisserons-nous  faire les forces qui entraînent vers la facilité ? Cette politique serait pour nous celle du déclin.

Il y a une politique possible mais elle doit être cohérente et ordonnée autour de trois principes suivants. Le monde doit s’organiser autour des grandes régions du monde, l’Europe doit respecter les nations et les liens sociaux et les solidarités doivent être redéfinis tant entre les citoyens qu’entre les nations.

Le monde doit se structurer autour de grandes régions, et l'Europe doit être une de ces grandes régions. Sans doute la technologie permettrait-elle d'imaginer la mondialisation. Cette orientation constituerait à mon sens une erreur pour trois raisons :

- Tout d’abord parce que l'échange et l'investissement ne peuvent s'imaginer et se poursuivre que sur un socle culturel comparable.

- Ensuite parce que la confiance est la base de l’échange. Or celle-ci naît de la répétition ; les études économiques ont prouvé que l'efficacité économique dépendait du caractère répétitif de la relation économique. Les entreprises du Club des N°1 Mondiaux Français à l’Export en sont un exemple. Pour la plupart elles doivent leur positionnement de N°1 à une relation permanente entre le fournisseur et son client pendant plus de 20 ans. La mondialisation pousse au nomadisme économique, ou si l'on préfère à la politique des affaires au coup par coup. A l'inverse la régionalisation économique favorise la permanence d'échanges entre acteurs qui se connaissent et veulent progresser ensemble.

- Enfin parce que les différents pays ne sont pas au même niveau de développement économique et social. Plus ils sont éloignés géographiquement et culturellement, plus les conditions sociales sont éloignées. La mondialisation conduit à aligner les conditions sociales Elle favorise en Europe l'accroissement des inégalités sociales, avec des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus pauvres.

L'Europe doit aussi s'affirmer comme une des grandes régions du monde monétaire. Le système monétaire international doit être réformé. L'Europe doit être un acteur de cette réforme. En particulier les déséquilibres majeurs que nous avons vécus, ceux que nous vivons comme la crise du subprime ont des conséquences  négatives sur l’activité économique. J’écrivais il y a quelques années (10 ans) qu’il fallait  mettre en place les cloisonnements pour limiter les effets des crises financières et au minimum en retarder la propagation. Dans un bateau on construit des cloisons étanches et le Titanic a coulé par l’insuffisance de ces cloisons. Aujourd’hui nous aurions été heureux d’avoir ces cloisons anti subprime et bulle immobilière.

Le deuxième principe conduit à vouloir une organisation confédérale de l'Europe. La France a pris trois grands engagements économiques (Euro, libre circulation des capitaux, libre circulation totale des biens et services), et seule la création de l’euro a été approuvée par référendum. Or sur ces trois engagements, nous avons une position incohérente. Or la mondialisation suppose un accroissement des solidarités européennes et elle n’est pas à ce jour suffisamment forte pour que les Allemands acceptent de payer la reconversion de sites industriels mis à mal par la mondialisation.

La mise en œuvre de ces solidarités suppose des transferts budgétaires élevés qui ne peuvent se concevoir qu’avec un pouvoir centralisé fort dont aucun pays ne veux comme l’ont montré les dernières consultations référendaires.

Parce que la France ne veut pas se dissoudre dans l'Europe et ne veut pas de pouvoir centralisé, par ailleurs impossible, il convient de s'affranchir d'au moins une des trois contraintes. Comme l'euro me paraît indispensable et que la liberté de circulation des capitaux est souhaitable. Seule la libre circulation des biens et services peut être restreinte. Il est donc essentiel de renforcer la préférence communautaire, et cela nous permettrait de redevenir enfin aussi libéral que les Etats-Unis, le Japon, la Chine et l'Inde, etc... et de rééquilibrer la relation commerciale.

Le troisième principe suppose la redéfinition du lien social.. L'euro est à lui seul une modification du contrat social existant entre européens car la monnaie, sa valeur, et la confiance qu'on lui attribue, traduit les milliards de promesses économiques faites entre les agents. Il convient donc de redéfinir clairement ce que doit être ce lien et  doit s'appuyer sur un code de valeurs partagées qui serait « la charte sociale du 21ème siècle ».

La France ne peut avoir qu’un projet européen, celui qui procure à nos pays l’aisance et la puissance, celui qui leur permet d’exercer librement leurs choix, celui qui montrera aux autres pays du monde que d’autres intérêts que ceux des Etats-Unis doivent être pris en compte. L’Euro est un outil pour atteindre cet objectif, mais il est insuffisant. Tous les pays ont sur cette construction des vues divergentes et l’entente est sur ces sujets particulièrement délicate.

La construction européenne modifie cela de fond en comble. Nous ne pouvons admettre que l’Europe ait un comportement de nain politique alors qu’avec environ un tiers du PIB mondial, avec 35 % du commerce mondial, elle sera un géant économique. Plus peuplée, plus riche, au moins aussi dynamique, avec une zone de coprospérité plus importante que les Etats-Unis, l’Europe doit s’affirmer sur la scène internationale.

Incontestablement l’Euro est un instrument central de la construction européenne, si le mandat de la BCE est transformé pour en faire un outil au service de l’économie et non une entrave.

Nous disons vouloir l’Europe européenne. Mais cette Europe est incompatible avec le libre échangisme mondial et débridé. Nous disons vouloir une Europe des nations. Mais la subsidiarité est vidée de son sens, à la moindre occasion et à la moindre réunion de la technocratie bruxelloise : harmonisation des fiscalités, gouvernement économique etc... Nous croyons, ou nous feignons de croire que sous la pression de nos voisins nous prendrons les décisions qui s’imposent à nous en tout état de cause et indépendamment de la construction européenne. C’est l’efficacité de la France et non l’Europe qui exige la baisse des dépenses collectives, la refonte du système éducatif, à l’amélioration de la sécurité, etc... Plus grave encore l’Europe perçue comme une contrainte, sera une Europe rejetée. Loin de construire, le travail de 60 années sera détruit.

Plutôt qu’une Europe contrainte, il faut proposer une Europe projet. En cela l’'Euro peut-être un outil puissant. Parce qu'il exprime les solidarités internes entre les citoyens d'un même pays, et entre les nations, il est au cœur du dispositif institutionnel. On ne peut pas vouloir simultanément une Europe des nations, l'Euro et la libre circulation des capitaux, et celle des biens et des services. Ces trois grands engagements que nous avons pris par le passé doivent être replacés dans leurs perspectives. L'Euro, libre circulation des capitaux, celles des biens et services, conduit inéluctablement à une Europe très fédéralisée, allant jusqu'à la disparition des nations. Les transferts budgétaires qu'impliquent ces engagements ne peuvent se concevoir qu'avec un gouvernement central fort, capable d'imposer ces transferts.

Cette Europe n’est pas celle que je souhaite construire. Alors  il nous faut refuser la mondialisation et instaurer la préférence communautaire, et que la circulation des capitaux soit freinée. Dès lors les conditions de la participation de l'Europe à l'O.M.C. doivent être repensées et réorganisées pour tenir compte de cette ambition.

La coexistence au sein d'un même ensemble, de la France collectivisée par un excès de dépenses collectives et de transferts sociaux, et d'autres pays aux styles de vie plus responsables est impossible, sans entraîner un exode massif des hommes et des activités vers nos voisins. La baisse de la dépense collective à moins de 50% est un impératif absolu. Si la France veut l’Europe, elle est interdite de collectivisme.

La France hésite parce que les petits calculs l'emportent sur la grande ambition. La France craint l'avenir parce que plutôt que des choix on lui propose la résignation. La France gronde parce qu'elle sent l'incohérence entre les propos et les actes.

La France est placée dans un autre univers. Elle doit, comme elle a toujours su le faire (parfois trop tard) se transformer et se régénérer. Plutôt que de choisir un bouc émissaire à toutes nos difficultés, reconnaissons que l’Europe est indispensable, à condition qu'elle soit européenne. Et si nos partenaires ne l'acceptent pas, et bien la France attendra. Elle a vécu ainsi plus de 1 000 ans, nous attendrons bien 10 ou 20 ans de plus. S’il ne faut pas courir le risque d'anéantir les progrès de la construction européenne, par un ensemble de dispositions incohérentes qui deviendront vite insupportables, il faut encore moins courir le risque de détruire la France, et de la dissoudre. L’Europe ne doit pas être la juxtaposition d’organisations non gouvernementales à responsabilité limitée, elle doit être une vraie grande puissance.

Battons nous pour que notre vision de l’Europe et de la mondialisation  l’emporte.