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47 eurodéputés français rejettent le résultat du référendum |
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par CHRISTOPHE BEAUDOUIN.
Encore un vote passé inaperçu. Nulle part vous n'en trouverez mention ni commentaire. De deux choses l'une, soit nous sommes dans un système politico-médiatique réellement verrouillé où journalisme signifie complaisance, soit le niveau de déliquescence morale et politique dans notre pays est tel, qu'on se contrefout du Parlement européen, de ce qu'y font ou n'y font pas les élus des partis de M. Sarkozy et de Mme Royal. Ce n'est pourtant pas rien, ce qui s'est produit, dans l'hémicycle du Parlement de Strasbourg, le 14 juin en fin de matinée, ainsi que nous vous en rendions compte quelques heures après (article). Les députés européens étaient appelés à voter sur une proposition de résolution "Leinen" (du nom du Président de la Commission des "Affaires Constitutionnelles" (AFCO) - parce qu'en effet il y a des "affaires constitutionnelles" dans cette Union sans Constitution..) relative à la seconde phase de la période dite de "réflexion" sur l'avenir institutionnel de l'Union. Ce qui est extraordinaire dans le texte de cette résolution, comme d'ailleurs dans l'attitude des dirigeants européens depuis que le premier pays a dit "non", c'est la plus complète ignorance du droit des Traités. Comme si, ayant perdu ces deux référendums mais étant toujours aux commandes, ils pouvaient s'abstenir d'en tirer les conséquences juridiques qui, elles, relèvent de l'objectivité.
Il faut en effet d'abord se référer à la Convention de Vienne du 23 mai 1969 qui fixe le droit des traités - et les traités européens n'y font pas exception - pour comprendre ce que devient légalement un traité dont l'un des États signataires n'a pas ratifié. L'article 14 de la Convention intitulé "Expression, par la ratification, l'acceptation ou l'approbation, du consentement à être lié par un traité" dispose : "1. Le consentement d'un État à être lié par un traité s'exprime par la ratification: a) lorsque le traité prévoit que ce consentement s'exprime par la ratification ; b) lorsqu'il est par ailleurs établi que les États ayant participé à la négociation étaient convenus que la ratification serait requise; c) lorsque le représentant de cet État a signé le traité sous réserve de ratification; ou d) lorsque l'intention de cet État de signer le traité sous réserve de ratification ressort des pleins pouvoirs de son représentant ou a été exprimée au cours de la négociation".
Pour savoir si le traité de Rome de 2004
entre dans au moins l'une de ces hypothèses, il faut donc, comme nous y
invite la Convention de Vienne, se reporter à ses dispositions finales
relatives aux "Ratification et entrée en vigueur", (article
IV-447) qui stipulent : "1. Le présent traité est ratifié par les
Hautes-Parties Contractantes, conformément à leurs règles
constitutionnelles respectives (...) 2. Le présent traité entre en
vigueur le 1er novembre 2006, à condition que tous les instruments de
ratification aient été déposés (...)"
En ignorant délibérément le droit, ces
élus s'assoient sur ce dont ils procèdent eux-mêmes et que la loi devait
préserver : la démocratie. Voilà un an que la plupart d'entre eux
chantent un discours qui trahit un véritable refus du résultat
référendaire. Une non-acceptation du "non" pourtant acquis
démocratiquement et à l'issue d'un référendum dont la légalité a été
confirmée quelques jours plus tard par le Conseil constitutionnel. Ce
serait un "malentendu", "une erreur" des Français selon Giscard - qui
lui n'en fait jamais - parce qu'on les a trompés alors que "c'est très
mal de mentir aux Français, surtout en campagne électorale" comme
affirmait au récent sommet de Bruxelles le Président Chirac, qui en
connaît en effet un rayon sur la question.
Chaque considérant, chaque point de la résolution ou presque est un incroyable affront à la réalité juridique et au choix des Français. Au premier chef de cette déclaration solennelle, le Parlement européen (PPE, PSE, ALDE, députés français de l'UMP, de l'UDF inclus et avec l'abstention du PS sur le vote final, "réaffirme, d'une part, son engagement à parvenir, sans retard excessif, à une formule constitutionnelle pour l'Union européenne et, d'autre part, son soutien au traité établissant une Constitution pour l'Europe".
Pire, les députés de l'UMP, de l'UDF, du PS et des Verts au Parlement européen vont plus loin encore dans le déni de droit et le déni de démocratie. Ensemble, ils ont voté "contre" un amendement qui 1. rappelait l'exigence juridique d'unanimité des États pour la ratification du Traité, 2. exprimait solennellement son "respect" pour les votes français et néerlandais. Cet amendement (n°13), déposé par le Danois Jens-Peter Bonde et le Français Patrick Louis (MPF) proposait au Parlement européen de mettre en tête de sa résolution deux affirmations simples, par lesquelles il "rappelle que le "Traité établissant une Constitution pour l'Europe" signé à Rome le 29 octobre 2004 ne peut être appliqué sans ratification à l'unanimité, et exprime solennellement son respect pour le choix démocratique de la France et des Pays-Bas d'avoir voté "non" à 54,9 % et 61,6 % respectivement ;" Le piège politique tendu par cet amendement a donc fonctionné. Par idéologie pure, l'UMP, l'UDF, le PS et les Verts y ont sauté à pieds joints. Ils ont non seulement voté "pour" la résolution Leinen, mais ils ont d'un seul homme voté "contre" ces quatre petites lignes appelant innocemment au respect du droit des traités et du résultat référendaire, c'est à dire contre le principe juridique d'unanimité inscrit dans tous les traités européens et contre "le choix démocratique de la France et des Pays-Bas" ! En votant pour cette résolution et contre cet amendement, ils ont dit haut et fort qu'ils n'entendaient respecter ni le droit international, ni le vote populaire de près de 16 millions de Français...
Voici donc un "Parlement" qui menace, interdit solennellement que l'on touche une virgule au texte rejeté par le suffrage universel et exige qu'il soit de nouveau dans les tuyaux en 2007. Gardienne du temple européiste contre ces peuples qui votent mal, la majorité au Parlement européen nous apporte une fois de plus la démonstration de ce qu'est l'européisme : une idéologie, qui comme toutes les idéologies a toujours raison, contre les faits, contre les chiffres, contre l'expression démocratique. Si un évènement contredit l'idéologie, les idéologues vous expliquent qu'elle n'a pas été bien appliquée. Si l'Union européenne ne marche pas, que l'euro est un échec etc. c'est qu'il faut aller plus loin dans l'intégration. Si la France et les Pays-Bas ont rejeté l'Europe de la Constitution, c'est qu'ils se sont trompés, qu'ils n'ont pas compris le merveilleux avenir qu'elle leur promettait. Voilà comment ils fonctionnent.
L'idéologue a raison envers et contre
tout. Aucun argument proposé, aucune évidence mise sous ses yeux, aucun
appel au bon sens n'y suffit. Nous sommes bien placés pour le savoir,
ils n'attirent sur leurs auteurs que suspicions, remontrances et
excommunications. |