Communiqué du 23 juillet 2007

 

La ratification du Protocole de Londres sur les brevets

 
  • Polémique autour de la ratification du Protocole de Londres sur les brevets

Une polémique enfle à propos d'une éventuelle ratification du Protocole de Londres sur les brevets européens par le parlement, des chercheurs et intellectuels s'y opposant au nom de la défense de la langue française, alors que le gouvernement l'appelle de ses vœux.

Un "comité contre le Protocole de Londres", présidé par le linguiste Claude Hagège, "dénonce" dans une pétition "les risques d’une éventuelle ratification (...) dont les grandes entreprises étrangères bénéficieraient au détriment des PME et TPE françaises, et surtout ses conséquences dramatiques pour la langue française".

La ratification de ce protocole, signé en juin 2001, "aboutirait en effet, en Europe, à la suppression de l’obligation actuelle de traduire en français tous les brevets rédigés en langue anglaise ou allemande sous prétexte de diminuer le coût des brevets d’invention", rappellent les signataires.

Dans une tribune publiée le 12 juillet dans le journal Le Monde, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse (photo ci-contre) et le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes Jean-Pierre Jouyet se faisaient l'avocat de la ratification, en soulignant que le Protocole "permettrait d'alléger les coûts de traduction, qui représentent 40% de l'investissement initial en vue de l'obtention d'un brevet".

"Le prix de revient élevé des brevets européens ne résulte pas des traductions", affirme pour sa part le Comité contre le Protocole, faisant état d'une étude réalisée par l’Office européen des brevets (OEB) qui l'estime à seulement 15%, en moyenne, de celui du dépôt.

Actuellement, les brevets doivent être publiés dans les langues des 32 pays membres de l'OEB. Dans le cadre du Protocole, il y aurait trois langues "officielles" (Anglais, Français et Allemand), et les textes pourraient être publiés dans une seule des trois.

La ratification, déplore le Comité, "reviendrait à admettre, en réalité, l’usage de l’anglais en droit français et serait très dangereuse pour la pérennité de la langue française comme langue scientifique, technique et commerciale".

Actuellement 100% des brevets sont traduits en Français mais, avec le protocole de Londres, "la part de la francophonie passerait à 7 %", dit-il. Car, selon le Comité, aujourd'hui 70% des brevets sont déposés en Anglais, 23% en Allemand et 7% en Français.

Il rappelle que sur les 31 pays concernés, seuls 13 ont ratifié ce texte et 17 ont refusé de le signer et "continueront d’exiger une traduction obligatoire des brevets européens dans leur langue nationale".

"L’accord de la France étant indispensable pour que ce traité entre en vigueur, c’est elle qui détient le sort de notre langue et du plurilinguisme", souligne le Comité.

Pour la Compagnie nationale des Conseils en propriété industrielle (CNCPI), la ratification "serait un cadeau sans contrepartie aux multinationales anglo-saxonnes et japonaises, qui pourraient déposer plus de brevets encore, et renforcer leur hégémonie et la dépendance juridique et technologique de la France notamment".

 

Le député Nicolas Dupont-Aignan (photo ci-contre), député non inscrit, qui a signé la pétition, rappelle que "la traduction en français des brevets étrangers constitue pour nos entreprises et, pour toutes les entreprises des pays francophones, une source d'information très importante pour appréhender les connaissances technologiques de leurs concurrents".

Dans sa tribune du Monde, Valérie Pécresse défendait le Protocole sur un plan économique plus général, estimant que le brevet communautaire est "le meilleur instrument car il est le seul qui permette d'avoir un titre unique de protection de la propriété industrielle dans l'Union européenne".

 

 

 


  • Politique des brevets ou marché de dupes,
    par Jacques Myard (Député UMP des Yvelines - photo AK)  et Christian Derambure (président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle)

LE MONDE  24.07.07  •  

 

A propos de la politique européenne des brevets, la ministre de l'enseignement et de la recherche et le secrétaire d'Etat aux affaires européennes se sont exprimés récemment en faveur de la ratification du protocole de Londres (Le Monde du 12 juillet). Leur argument principal : cette ratification, par les économies qu'elle permettrait, ne pourrait que relancer l'innovation des PME. Argument de bon sens, nous disent les partisans du protocole : toute économie devrait être bonne à prendre. Pourtant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que cet accord est loin d'être aussi favorable qu'on pourrait le penser.

En premier lieu, on ne peut qu'être étonné d'une relance de ce dossier vieux de plus de sept ans au moment même où la convention sur le brevet européen est refondue en profondeur - le brevet européen existe depuis 1978. Cette refonte entrera en vigueur le 13 décembre 2007 et transforme radicalement la portée juridique du protocole de Londres.

En effet, pour la première fois, le propriétaire d'un brevet européen délivré pourra modifier à tout moment et pendant toute la vie de son brevet l'étendue de sa protection - définie par les revendications - à partir de ce qui figure dans la description, et cela sans aucun contrôle de fond par l'Office européen des brevets (OEB). Jamais donc, dans l'histoire des brevets, la description - qui ne serait plus traduite en application du protocole de Londres - n'aura joué un rôle aussi fondamental. Il devient, en conséquence, indispensable que les brevets délivrés en anglais ou en allemand soient traduits en français dans leur intégralité (description comprise), sous peine d'une insécurité juridique qui se révélerait à terme dramatique pour les entreprises françaises. Les conséquences du protocole de Londres sont dangereuses pour nos entreprises. Certains ne s'y sont pas trompés, comme l'Irlande, l'Italie ou encore l'Espagne, qui ont pris la décision de ne pas adhérer au protocole de Londres.

En second lieu, les économies potentielles resteront faibles. A peine quelques pour cent du coût d'un brevet européen. Les entreprises françaises devront quoi qu'il en soit faire traduire leurs brevets en anglais, ne serait-ce que pour se protéger aux Etats-Unis. Elles devront également continuer à produire des traductions pour les pays d'Europe ayant pris la décision de ne pas adhérer. Des pays comme la Suède ou le Danemark ont indiqué qu'ils exigeront une traduction des revendications dans leur langue nationale, la description devant quant à elle être disponible en anglais. Enfin, au-delà des traductions, les entreprises continueront à s'acquitter des taxes officielles ponctionnées par l'OEB et qui représentent l'essentiel des coûts. Pour un brevet moyen protégeant six pays sur vingt ans, le coût des traductions représente tout au plus 10 %, sur un total de l'ordre de 70 000 euros, dont près de 75 % correspondent aux seules annuités de maintien en vigueur.

Il est en outre faux de penser que le fait d'abaisser les coûts permettra de relancer les dépôts d'origine française. Le coût d'un brevet français est déjà deux fois inférieur à celui des brevets des autres grands pays. Cela n'a à l'évidence pas permis de multiplier les premiers dépôts en France, alors que les protections d'origine étrangère sur le territoire français ne faisaient quant à elles qu'augmenter. En réalité, n'en déplaise au Medef, les causes principales du déficit sont parfaitement connues. Elles résident d'abord dans une recherche et développement française (R & D) privée notoirement insuffisante. D'autres causes aussi sont probablement à rechercher dans un manque de confiance dans le système judiciaire réprimant la contrefaçon, ou dans l'absence de moyens humains dédiés à la diffusion de la "culture brevets", ou, encore plus grave, dans un enseignement de la propriété industrielle largement insuffisant, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis.

Le protocole de Londres n'améliorera en rien la situation en France. Pire, il introduit de nouveaux déséquilibres, puisqu'il transfère le coût de la traduction du titulaire du droit à ceux auxquels ce droit est opposé. Inéquitable et choquant ! Le protocole de Londres est une aubaine extraordinaire pour les non-Européens qui mènent des stratégies de dépôts massifs comme les Américains, les Japonais et demain sans nul doute les Chinois et les Indiens. On est loin de la réciprocité pourtant si chère à notre nouveau président : aucun des pays dont sont originaires les grands acteurs précités ne prévoit évidemment que des brevets en une langue étrangère aient force de loi sur son territoire.

Les entreprises françaises qui voudront rester à armes égales avec leurs concurrents n'auront pas d'autres choix que de déposer elles aussi directement leurs textes de brevets en anglais auprès de l'OEB. Un recul énorme pour la place du français dans le monde à l'heure où Google a mis en ligne, gratuitement, tous les brevets américains, et annonce qu'il continuera avec les autres brevets, notamment européens.

D'un point de vue économique, il ne faut pas se leurrer : le basculement au tout anglais vers lequel nous irions constituerait un handicap supplémentaire. Nous le savons, les Français sont loin de posséder une parfaite maîtrise de la langue de Shakespeare, surtout quand il s'agit d'allier expression technique et finesse juridique.

Les thuriféraires du protocole de Londres croient naïvement que la France s'attirera les bonnes grâces de ses partenaires. Quelle illusion ! Cet accord est un marché de dupes.