Une polémique enfle à propos
d'une éventuelle ratification du Protocole de Londres sur les brevets
européens par le parlement, des chercheurs et intellectuels s'y opposant
au nom de la défense de la langue française, alors que le gouvernement
l'appelle de ses vœux.
Un "comité contre le
Protocole de Londres", présidé par le linguiste Claude Hagège, "dénonce"
dans une pétition "les risques d’une éventuelle ratification (...) dont
les grandes entreprises étrangères bénéficieraient au détriment des PME
et TPE françaises, et surtout ses conséquences dramatiques pour la
langue française".
La ratification de ce
protocole, signé en juin 2001, "aboutirait en effet, en Europe, à la
suppression de l’obligation actuelle de traduire en français tous les
brevets rédigés en langue anglaise ou allemande sous prétexte de
diminuer le coût des brevets d’invention", rappellent les signataires.
Dans une tribune publiée le
12 juillet dans le journal Le Monde, la ministre de l'Enseignement
supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse
(photo ci-contre) et le secrétaire d'Etat
aux Affaires européennes Jean-Pierre Jouyet se faisaient l'avocat de la
ratification, en soulignant que le Protocole "permettrait d'alléger les
coûts de traduction, qui représentent 40% de l'investissement initial en
vue de l'obtention d'un brevet".
"Le prix de revient élevé
des brevets européens ne résulte pas des traductions", affirme pour sa
part le Comité contre le Protocole, faisant état d'une étude réalisée
par l’Office européen des brevets (OEB) qui l'estime à seulement 15%, en
moyenne, de celui du dépôt.
Actuellement, les brevets
doivent être publiés dans les langues des 32 pays membres de l'OEB. Dans
le cadre du Protocole, il y aurait trois langues "officielles" (Anglais,
Français et Allemand), et les textes pourraient être publiés dans une
seule des trois.
La ratification, déplore le
Comité, "reviendrait à admettre, en réalité, l’usage de l’anglais en
droit français et serait très dangereuse pour la pérennité de la langue
française comme langue scientifique, technique et commerciale".
Actuellement 100% des
brevets sont traduits en Français mais, avec le protocole de Londres,
"la part de la francophonie passerait à 7 %", dit-il. Car, selon le
Comité, aujourd'hui 70% des brevets sont déposés en Anglais, 23% en
Allemand et 7% en Français.
Il rappelle que sur les 31
pays concernés, seuls 13 ont ratifié ce texte et 17 ont refusé de le
signer et "continueront d’exiger une traduction obligatoire des brevets
européens dans leur langue nationale".
"L’accord de la France étant
indispensable pour que ce traité entre en vigueur, c’est elle qui
détient le sort de notre langue et du plurilinguisme", souligne le
Comité.
Pour la Compagnie nationale
des Conseils en propriété industrielle (CNCPI), la ratification "serait
un cadeau sans contrepartie aux multinationales anglo-saxonnes et
japonaises, qui pourraient déposer plus de brevets encore, et renforcer
leur hégémonie et la dépendance juridique et technologique de la France
notamment".
Le député Nicolas
Dupont-Aignan
(photo ci-contre),
député non inscrit, qui a signé la pétition, rappelle que "la
traduction en français des brevets étrangers constitue pour nos
entreprises et, pour toutes les entreprises des pays francophones, une
source d'information très importante pour appréhender les connaissances
technologiques de leurs concurrents".
Dans sa tribune du Monde,
Valérie Pécresse défendait le Protocole sur un plan économique plus
général, estimant que le brevet communautaire est "le meilleur
instrument car il est le seul qui permette d'avoir un titre unique de
protection de la propriété industrielle dans l'Union européenne".
LE MONDE 24.07.07
•
A
propos de la politique européenne des brevets, la ministre de
l'enseignement et de la recherche et le secrétaire d'Etat aux affaires
européennes se sont exprimés récemment en faveur de la ratification du
protocole de Londres (Le Monde du 12 juillet). Leur argument principal :
cette ratification, par les économies qu'elle permettrait, ne pourrait
que relancer l'innovation des PME. Argument de bon sens, nous disent les
partisans du protocole : toute économie devrait être bonne à prendre.
Pourtant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que cet accord est
loin d'être aussi favorable qu'on pourrait le penser.
En premier lieu, on ne peut
qu'être étonné d'une relance de ce dossier vieux de plus de sept ans au
moment même où la convention sur le brevet européen est refondue en
profondeur - le brevet européen existe depuis 1978. Cette refonte
entrera en vigueur le 13 décembre 2007 et transforme radicalement la
portée juridique du protocole de Londres.
En effet, pour la première
fois, le propriétaire d'un brevet européen délivré pourra modifier à
tout moment et pendant toute la vie de son brevet l'étendue de sa
protection - définie par les revendications - à partir de ce qui figure
dans la description, et cela sans aucun contrôle de fond par l'Office
européen des brevets (OEB). Jamais donc, dans l'histoire des brevets, la
description - qui ne serait plus traduite en application du protocole de
Londres - n'aura joué un rôle aussi fondamental. Il devient, en
conséquence, indispensable que les brevets délivrés en anglais ou en
allemand soient traduits en français dans leur intégralité (description
comprise), sous peine d'une insécurité juridique qui se révélerait à
terme dramatique pour les entreprises françaises. Les conséquences du
protocole de Londres sont dangereuses pour nos entreprises. Certains ne
s'y sont pas trompés, comme l'Irlande, l'Italie ou encore l'Espagne, qui
ont pris la décision de ne pas adhérer au protocole de Londres.
En second lieu, les
économies potentielles resteront faibles. A peine quelques pour cent du
coût d'un brevet européen. Les entreprises françaises devront quoi qu'il
en soit faire traduire leurs brevets en anglais, ne serait-ce que pour
se protéger aux Etats-Unis. Elles devront également continuer à produire
des traductions pour les pays d'Europe ayant pris la décision de ne pas
adhérer. Des pays comme la Suède ou le Danemark ont indiqué qu'ils
exigeront une traduction des revendications dans leur langue nationale,
la description devant quant à elle être disponible en anglais. Enfin,
au-delà des traductions, les entreprises continueront à s'acquitter des
taxes officielles ponctionnées par l'OEB et qui représentent l'essentiel
des coûts. Pour un brevet moyen protégeant six pays sur vingt ans, le
coût des traductions représente tout au plus 10 %, sur un total de
l'ordre de 70 000 euros, dont près de 75 % correspondent aux seules
annuités de maintien en vigueur.
Il est en outre faux de
penser que le fait d'abaisser les coûts permettra de relancer les dépôts
d'origine française. Le coût d'un brevet français est déjà deux fois
inférieur à celui des brevets des autres grands pays. Cela n'a à
l'évidence pas permis de multiplier les premiers dépôts en France, alors
que les protections d'origine étrangère sur le territoire français ne
faisaient quant à elles qu'augmenter. En réalité, n'en déplaise au
Medef, les causes principales du déficit sont parfaitement connues.
Elles résident d'abord dans une recherche et développement française (R
& D) privée notoirement insuffisante. D'autres causes aussi sont
probablement à rechercher dans un manque de confiance dans le système
judiciaire réprimant la contrefaçon, ou dans l'absence de moyens humains
dédiés à la diffusion de la "culture brevets", ou, encore plus grave,
dans un enseignement de la propriété industrielle largement insuffisant,
contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis.
Le protocole de Londres
n'améliorera en rien la situation en France. Pire, il introduit de
nouveaux déséquilibres, puisqu'il transfère le coût de la traduction du
titulaire du droit à ceux auxquels ce droit est opposé. Inéquitable et
choquant ! Le protocole de Londres est une aubaine extraordinaire pour
les non-Européens qui mènent des stratégies de dépôts massifs comme les
Américains, les Japonais et demain sans nul doute les Chinois et les
Indiens. On est loin de la réciprocité pourtant si chère à notre nouveau
président : aucun des pays dont sont originaires les grands acteurs
précités ne prévoit évidemment que des brevets en une langue étrangère
aient force de loi sur son territoire.
Les entreprises françaises
qui voudront rester à armes égales avec leurs concurrents n'auront pas
d'autres choix que de déposer elles aussi directement leurs textes de
brevets en anglais auprès de l'OEB. Un recul énorme pour la place du
français dans le monde à l'heure où Google a mis en ligne, gratuitement,
tous les brevets américains, et annonce qu'il continuera avec les autres
brevets, notamment européens.
D'un point de vue
économique, il ne faut pas se leurrer : le basculement au tout anglais
vers lequel nous irions constituerait un handicap supplémentaire. Nous
le savons, les Français sont loin de posséder une parfaite maîtrise de
la langue de Shakespeare, surtout quand il s'agit d'allier expression
technique et finesse juridique.
Les thuriféraires du
protocole de Londres croient naïvement que la France s'attirera les
bonnes grâces de ses partenaires. Quelle illusion ! Cet accord est un
marché de dupes.
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