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Communiqué du 18 février  2006
 

 

Décès de Jacques Baumel

 
  • Compagnon de la Libération et gaulliste de la première heure

 

Jacques Baumel est mort au cours de la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 février, à l'âge de 87 ans.

En son hommage, la Fondation Charles de Gaulle nous propose l'article que Paul-Marie de la Gorce lui avait consacré à l'occasion de la sortie de son ouvrage Résister paru en 2003.

 

Résister, par Jacques Baumel.

Dans l'histoire tourmentée des relations entre le général de Gaulle et les Français, depuis les engagements inoubliables de la guerre et de la Résistance jusqu'au « gaullisme politique » des IVe et Ve Républiques, le parcours de Jacques Baumel est exemplaire. Etudiant en médecine en 1940, entamant son aventure de Résistant à 22 ans qui le porta aux responsabilités les plus élevées, seul Résistant choisi par le Gaulle pour faire partie du premier Comité directeur du RPF, comptant parmi les fondateurs et plus tard secrétaire général de l'UNR devenue UDR, il n'a manqué aucune étape de cette histoire.

A ce titre, le témoignage qu'il apporte dans son premier livre Résister, sur les années de l'occupation, puis dans le second, de Gaulle, l'exil intérieur, sur le RPF et la IVe République, est naturellement d'un très grand intérêt pour ceux qui les ont vécues comme pour les historiens. Mais ce n'est pas réduire son importance concernant les événements que Jacques Baumel a connus, que de dire que sa valeur tient avant tout au talent avec lequel il rend compte du climat ou, si l'on préfère, de l'esprit de cette époque. On le voit, d¹abord et avant tout, pour le temps de l'occupation et de la Résistance. L'histoire du mouvement Combat, les conversations avec Jean Moulin, l'affaire de Caluire, les préparatifs de la libération y ont naturellement leur place. Mais aussi la couleur des jours, le ton des voix qui se font entendre, les visages qui se succèdent. Pour comprendre ce qui s'est alors passé en France, les pages les plus éclairantes sont celles où sont évoqués les nuits en train, le contrôleur qui a détourné l'attention de la police allemande alors que rien d'autre ne pouvait lui éviter d'être arrêté, la gaieté de sa jeune secrétaire dont il n'a plus jamais retrouvé le sourire après son retour de déportation, la précarité des « planques » successives, la terrible vulnérabilité de ces agents de liaison dont, pour la plupart, personne ne se souvient et dont le silence, quand ils étaient arrêtés, conditionnait la survie de tant d'autres.

Inlassablement, Jacques Baumel revient sur les choix que chacun fit à cette époque, sur le mystère qui les entoure ou, du moins, sur ce qu'ils avaient de difficilement explicable, en apparence. Avec raison, il évoque, parlant de lui-même, « l'instinct » qui l'a déterminé, reconnaissant toutefois « qu'on prononce en général le mot pour s'éviter de penser ». Mais c'est bel et bien le tempérament, la sensibilité, le caractère, qui déterminaient les choix bien plus que les clivages traditionnels ou les distinctions sociales. Mais aussi, sans nul doute, ce que les événements imposaient à chacun : Jacques Baumel ne parlerait sans doute pas de la réaction de beaucoup de Français à l'égard de Pétain et de Vichy, s'il avait été, dès les premiers temps, dans la zone occupée où Vichy n'avait aucune existence réelle et où la présence de l'ennemi interdisait que l'on oublie l'essentiel.

Au long des pages du premier livre de Jacques Baumel, on voit revivre les situations et les débats du temps de la Résistance. Et, les ayant vécus, il a le mérite de les restituer tels qu'il les a ressentis. Du coup, les lecteurs d'aujourd'hui, qui ont des raisons d'être concernés par cette période de notre Histoire, seront légitimement tentés d'en discuter.

Jacques Baumel n'a pas tort d'évoquer l'éloignement qu'ils ressentaient, ses compagnons et lui, à l'égard de « Londres » et l'indifférence ou l'ignorance envers la Résistance intérieure que l'on soupçonnait chez les responsables anglais ou français de l'autre côté de la Manche : mais dès le mois de décembre 1940, le général de Gaulle créa auprès de lui une direction politique chargée de l'action en France, et les premières missions de Pierre Forman et de Philippe Roques datent du printemps 1941. Avec raison aussi, Jacques Baumel rappelle tous les arguments qui s'opposaient à un recours prématuré ou inorganisé à la lutte armée : mais on mesure mieux, à distance, que la Résistance intérieure n'aurait jamais pris sa dimension ni pesé d'un poids aussi lourd sans devenir aussi, et aussitôt qu'elle le pouvait, une Résistance armée.

Mais au-delà de ces controverses, ce qui ressort de l'histoire de ces quatre années, c'est bien que la France libre et son chef, et la Résistance intérieure qui en fut, en définitive, solidaire, c'était la France elle-même. On ne peut dire quelque chose et son contraire : prétendre que le régime de Vichy était la France - comme il le prétendait - est moralement inexcusable puisque ce serait insulter tous les Résistants et Français libres en contestant qu'ils aient alors été la France, politiquement inacceptable puisque la France, identifiée à Vichy, aurait été comme tous les régimes collaborateurs de l'Allemagne et comme l'Allemagne elle-même, dans le camp des vaincus, historiquement insoutenable puisque Vichy n'est apparu qu'avec l'invasion allemande et a disparu à l'instant où elle a cessé. Jacques Baumel en parle avec passion mais aussi avec raison : « Je peux attester, écrit-il, que jamais le général de Gaulle n'accepta que l'on puisse confondre Vichy avec la France. L'accepter est une injure pour tous les Français qui se battirent parce que, pour eux, Vichy n'incarnait pas la France. Le général de Gaulle fut toujours net sur ce point car c'est toute la légitimité de son action pendant quatre ans qui se trouverait remise en question si on acceptait que Vichy était la France ». Et c'est avec raison, encore une fois, qu'il trouve « scandaleux » qu'on puisse remettre en question « ce point fondamental de notre histoire ».

Après la libération, vint le temps d'autres choix. Parmi ceux des Français libres et des Résistants qui pensèrent qu'ils devaient poursuivre leur tâche en s'impliquant eux-mêmes dans les affaires publiques, et dont Jacques Baumel faisait partie, il fut de ceux qui crurent qu'un grand mouvement politique, à la fois pour la restauration des libertés publiques et individuelles et pour l'organisation de l'économie nationale pour un « travaillisme à la française », aurait dû se former et rassembler la très grande majorité des Français et apporter son concours au général de Gaulle qui en eut été le chef de file. Dans ses deux livres, il continue d'affirmer que Pierre Brossolette, dont c'était la thèse, avait raison. On peut croire, à l'inverse, que rien ne pouvait empêcher, dès lors que le pays était à nouveau libre, la diversité des familles politiques traditionnelles, leur résurgence et leur compétition, que leur union, aussi longtemps que possible, était souhaitable, que le général de Gaulle voulait préserver cette union et qu'il a eu raison de prescrire à Jean Moulin, qui le pensait aussi, d'agir en ce sens dès la formation du conseil national de la Résistance. Mais il est vrai que dès les premiers débats constitutionnels du printemps 1945 on voyait se former, hors des communistes et des conservateurs, une majorité telle que Jacques Baumel la souhaitait mais sans qu'elle put se constituer réellement. C'est seulement après les occasions perdues des référendums et des élections de 1946, que le général de Gaulle se décida à former autour de lui ce rassemblement qui ne lui paraissait pas souhaitable auparavant.

Jacques Baumel en fut, logiquement, un partisan enthousiaste et résolu. Sur l'histoire de la naissance, de l'apogée, du déclin et de la mort du RPF, son témoignage est essentiel. Mais, par-dessus tout, sur les analyses dont s'inspirait de Gaulle. Elles se résument pour une grande part au sentiment qu'il avait du caractère inévitable et probablement imminent d'une guerre entre l'Est et l'Ouest. Au point que, raconte Jacques Baumel, il admettait que si la rivalité russo-américaine ne conduisait pas la planète à sa destruction, disait le général de Gaulle, « nous ne servirons à rien ». Jacques Baumel, qui, précise-t-il, ne partageait pas ce pessimisme, le confirme à plusieurs reprises : « combien de fois l'ai-je entendu, au cours de ces années 1947-48, confier que nous allions à la guerre, que Prague n'était qu'une répétition de Berlin » et que Paris serait « l'ultime « étape ». On peut penser qu'en se situant sur ce terrain alors que les gouvernements en place et résolus à le rester pratiquaient sans gêne une surenchère anti-soviétique et anti-communiste, le RPF répondait mal à l'attente de la majorité des Français et se condamnait à être marginal. Mais il fut autre chose aussi : une étape importante du dialogue entre le général de Gaulle et le peuple français, un rassemblement qui servit de préface à ce qu'il fut après 1958 et, pour commencer, une force politique suffisante pour, avec d'autres, mettre en échec le projet de communauté européenne de défense qui eut supprimé l'existence d'une armée française et aboli toute défense indépendante.

Après cet épisode, une page était tournée. Une autre allait s'ouvrir en 1958...

Paul-Marie de LA GORCE