- L'appel
Jacques baumel
Daniel
cordier
Jean
d'Escrienne
Christian
fouchet
Olivier
guichard
Stéphane
hessel
Claude
Hettier de
Boislambert
François
jacob
Edgard de
Larminat
Lucien
neuwirth |
-
Jacques
Baumel, membre du réseau "Combat"
"Quand
un vieux soldat prestigieux, le maréchal Pétain, tout auréolé de la
victoire de Verdun, s'était adressé le 17 juin aux Français d'une voix
tremblante pour annoncer qu'il faisait " don de sa personne à la France
pour atténuer ses malheurs " et que, " le cœur serré ", il ordonnait de "
cesser le combat ", son appel avait été largement entendu, avec tristesse
mais également avec soulagement et même gratitude. " L'honneur est sauf ",
pourrait-il ajouter dans un discours radiodiffusé du 25 juin, qui
rencontrerait de nouveau l'adhésion de l'immense majorité des Français.
(…). Qu'entre ces deux messages radiodiffusés, il y ait eu un autre appel,
venu de Londres celui-là, et où le mot de Résistance était prononcé pour
la première fois, ne prouvait pas grand-chose, sinon qu'un officier
brillant, et proche naguère du Maréchal, était porteur d'une autre vision,
et se faisait une autre idée de la France. Combien sont ceux qui ont
entendu cet appel du 18 juin, dont on ne possède même pas l'enregistrement
? Combien auraient pu miser un sou sur les chances de ce paria ? Qui,
alors, écoutait la BBC ? Pas moi, en tout cas. Et personne autour de moi.
On connaissait très vaguement l'existence d'un noyau de Français qui
s'étaient installé en Angleterre, on parlait d'un certain général qui
s'appelait curieusement de Gaulle, mais on n'en savait guère plus."
in Résister : histoire
secrète des années d'Occupation, Paris, Albin Michel, 1999
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Daniel Cordier,
secrétaire de Jean Moulin
A ce
moment-là, aviez-vous entendu parler de l'appel de De Gaulle ?
"Non,
et c'est incompréhensible puisque je lisais attentivement les journaux. Il
y a quelques années, en feuilletant la collection des quotidiens palois,
j'ai constaté que " l'appel " était résumé. Pourquoi ne l'ai-je pas
remarqué puisque je me souviens du discours de Churchill publié le même
jour ? Pourtant, sur le bateau, j'ignore encore l'appel. Pourquoi cette
cécité alors qu'une semaine auparavant, au moment de son entrée au
gouvernement, des amis de ma famille avaient évoqué son appartenance à
l'Action française ? A la suite de cette révélation, j'avais lu les
articles que l'Action française avait publiés sur lui, révélant qu'il
était un des éléments brillants de l'armée française, que son père était
monarchiste et que sa présence au gouvernement était une promesse de
victoire. J'avais même vu sa photo publiée par les journaux, au milieu des
membres du gouvernement, sur le perron de l'Elysée. Je n'ai appris la
présence du général à Londres que le 25 juin, jour de mon débarquement en
Angleterre, à Falmouth. Le capitaine m'a fait appeler dans le poste de
commandement. C'est là qu'il m'a annoncé qu'un général français du nom de
De Gaulle avait lancé un appel à la BBC, demandant aux Français de le
rejoindre pour continuer la guerre. Sans doute avait-il entendu un des
appels suivant celui du 18 juin. En réalité, le discours qui a provoqué mon départ n'est pas l'appel du
18 juin, mais l'allocution de Pétain, le 17."
in, C'était un temps
déraisonnable, Georges-Marc Benamou, Robert Laffont, 1999
-
Jean d'Escrienne, Cadet
de la France libre "Cette
sensation personnelle d'avoir été mis K.O. et de rester emprisonné comme
dans une sorte
d'état second, sans doute en serais-je sorti peu à peu
avec le temps, par raison, et aussi grâce à ma jeunesse naturellement
optimiste… Mais il y eut, au bout de quelques jours, " l'événement
extérieur " qui m'en sortit d'un seul coup, et définitivement ! Le 22
juin, ma mère, qui était en parfaite communauté de sentiments avec moi,
mais avait été moins traumatisée par les faits, probablement en raison
de son âge, me dit qu'un de nos voisins avait entendu, à une émission
française de la BBC, un général français qui n'acceptait pas l'armistice
et voulait continuer la guerre aux côtés des Britanniques. Je perçus
aussitôt comme une lueur dans les ténèbres. Avec l'impatience qu'on
imagine, j'attendis, tout l'après-midi, que vînt l'heure de l'émission
du soir. Quand elle sonna enfin, pour moi, la lueur devint lumière. Je
me souviens : la grande voix inconnue jusqu'à alors, s'élevait dans le
silence et le calme de ce beau soir d'été… Le ton était inhabituel,
mais c'était, à n'en pas douter celui d'un homme droit, d'un chef lucide
et décidé. Ce jour-là, il parlait de " l'honneur ", du " bon sens ",
de " l'intérêt supérieur de la Patrie ". Les mots étaient exactement
ceux que j'attendais sans le savoir ! Alors, oui, d'un seul coup, adieu
les ténèbres et les doutes. Debout ! Et puisqu'il y avait encore un chef
français pour qui l'ennemi à combattre était bien celui qui occupait
Paris et la France, il n'y avait qu'une voie : combattre et combattre
avec lui."
in De Gaulle
de loin de près, Paris, Plon, 1978
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Christian Fouchet,
diplomate
"L'avion se posa sur un aérodrome de la RAF voisin de
Londres, à Hendon, le 17 juin au soir. Nos camarades anglais nous
accueillirent fraternellement. Le lendemain j'obtins l'autorisation de
me rendre à Londres. Je pris contact avec quelques amis dans différentes missions françaises.
Mais déjà ils étaient résignés et faisaient les bagages… Le soir en
rentrant à Hendon, je lus dans le journal, " l'appel du 18 juin ".
Tout changeait à nouveau ! Mais cette fois vers la lumière ! Le 19 au matin je pus savoir où était descendu le général de Gaulle. Au
début de l'après-midi je me rendis à sa demeure. Je n'eus guère à
attendre. Bientôt une voiture militaire s'arrêta devant la maison. Un
général français en descendit. Il était grand ; son visage était
impassible. Je saluai. Il me rendit le salut, distraitement, s'engouffra
sous le porche. Derrière lui se pressait un jeune lieutenant de
cavalerie au képi bleu ciel en qui je reconnus, avec surprise et joie,
mon ancien condisciple des Sciences Politiques, Geoffroy de Courcel."
in Mémoires
d'hier et de demain, 1. Au service du général de Gaulle, Plon, 1971
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Olivier
Guichard, étudiant
"Le 19 juin 1940 à dix-huit heures, ma sœur, mon ami
Louis et moi, nous partîmes pour la frontière espagnole. Nous
n'avions entendu aucun appel le 18 juin, mais nous savions que
l'armistice avait été demandé le 16 et que les Allemands
progressaient de plus en plus rapidement à travers la France. Faute de pouvoir leur résister par les armes, nous avions décidé de nous
mettre hors de leur portée. Nous allions avoir vingt ans et on ne nous
avait pas enseigné comment pouvait se terminer une guerre perdue."
in, Vingt ans
en 40, Fayard, 1999
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Stéphane Hessel, membre du BCRA
Quand on
interroge vos compagnons de résistance, ils sont, en 1940, tous
anti-allemands plutôt qu'antinazis. Vous c'est vraiment le contraire. "C'est
une de mes caractéristiques… Prisonnier, à la fin de l'exode, au camp de
Bourbonne-les-bains en juin 1940, quand j'entends parler de l'appel du
18 juin, j'ai la même conviction que cet inconnu qui s'appelle de
Gaulle. Je pense que la guerre sera mondiale et antinazie. Je pense
même que, tôt ou tard, les Allemands se débarrasseront de Hitler et que
l'armée allemande ne pourra pas continuer à accepter ce régime. Après
deux jours dans ce camps de prisonniers, je m'évade, avec la ferme
intention de rejoindre l'Angleterre."
in, C'était un
temps déraisonnable, Georges-Marc Benamou, Robert Laffont, 1999
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Claude Hettier de
Boislambert, chef-adjoint du cabinet du Général
"A l'ambassade de France, après quelques échanges
désagréables et un refus sec de m'indiquer où je trouverai un général,
déjà rebelle, qui parle de continuer le combat, et au moment où je
ressors le concierge m'arrête : " Mon lieutenant, vous cherchez le général de Gaulle ? Je sais où il
est. " L'homme m'entraîne dans sa loge et, à l'oreille, me glisse une
adresse. " Mais faites attention. Il paraît qu'on lui a ordonné de rejoindre la
France et qu'il a refusé. " C'est près de Hyde Park, à Seymour Place, tout à côté du Dorchester. Une
maison à appartements. Je sonne. Une grande et belle jeune fille brune
m'ouvre la porte. Elle a si bien l'air français que c'est dans notre
langue que je demande à voir le Général. Elisabeth de Miribel m'introduit dans une vaste pièce qui donne sur le
parc. Regardant par la fenêtre, le général de Gaulle me tourne le dos. " Mes devoirs, mon Général ! " Le Général a reconnu ma voix, et se retourne : " Alors, Boislambert, vous voilà en Angleterre. Que venez-vous faire ? - La guerre, si possible, mon Général. - Connaissez-vous mon appel ? - Non, mon Général, c'est parce que je vous ai vu commander sur le front
de France que je viens à vous. " (…) Le Général me dit alors le thème de l'Appel qu'il a lancé à la radio
la veille. En quelques instants ma décision est prise, c'est près de De
Gaulle que je resterai."
in Les fers de
l'espoir, Plon, 1978
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François Jacob,
médecin des Forces françaises libres
"Cinq heures du soir. Le petit port de Saint-Jean-de-Luz
illuminé par le soleil d'un été qui naît ce 21 juin 1940. Sur le quai,
une cohue de civils et de militaires qui attendent. Toute la journée,
des barques de pêcheurs ont conduit, à bord de deux navires ancrés dans
la rade, les restes de deux divisions polonaises qui ont combattu à nos
côtés. Nous nous insérons Roger et moi, parmi les civils qui espèrent
trouver là un moyen de quitter la France. (...) Dans la soirée, nous
nous retrouvons assis côte à côte sur le pont avec le petit jockey et un
autre passager. Angleterre ? Afrique du Nord ? Nul ne sait la
destination du navire. " De Gaulle, vous connaissez ? " lance soudain le
petit jockey. Et sans attendre la réponse, il poursuit : " C'est un
général. Je l'ai entendu à la TSF. Il a dit qu'il continue la guerre en
Angleterre. Il a dit que tôt ou tard, on finira par les avoir. Les
autres se couchent devant Hitler. Alors les choses sont simples, non ?"
in, La statue
intérieure, Odile Jacob/Seuil, 1987
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Edgard de Larminat, lieutenant-colonel, rallie l'AEF
"En fin de journée du 17, un télégramme à la flotte
émanant de l'amiral Darlan rasséréna un peu les esprits par son ton
ferme et pondéré. Nous voulûmes y voir une assurance que tout n'était
pas perdu et qu'en France même il y avait des hommes décidés à continuer
la lutte. Le 18 fut beaucoup plus brillant et la résolution s'y affirma bruyamment
de tenir jusqu'au bout, jusqu'à la victoire finale, aux côtés de nos
Alliés. Et les télégrammes commencèrent à s'échanger avec l'Afrique du
Nord, Djibouti et toutes autres possessions d'outre-mer, affirmant cette
résolution et prônant sa généralisation. L'appel du général de
Gaulle, parvenant dans cette fièvre " jusqu'auboutiste ", fut considéré
comme l'expression d'une nécessité évidente, et au surplus nul ne
doutait qu'il ne fût superflu, tant était répandue cette idée qu'il n'y
avait pas d'autre attitude possible pour les territoires et les forces
d'outre-mer, et que de France même devaient s'évader spontanément et de
toutes façons d'importants moyens. Certains militaires pensaient que ce
colonel de la veille était bien osé de se tailler un rôle facile dans
l'emballement général, sinon d'enfoncer des portes ouvertes."
in Chroniques
irrévérencieuses, Plon, 1962
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Lucien Neuwirth,
résistant
"En juin 1940, je passe mes vacances dans une petite
commune de Haute-Loire, Yssinguaux. Le 17, avec ma mère, nous écoutons à
la radio le discours de Pétain annonçant l'armistice dans "l'honneur, la
dignité, etc. ". C'est la première fois de ma vie que j'ai vu pleurer ma
mère. Elle était, pourtant, une maîtresse femme, une dure. Cela m'a
impressionné. Le lendemain, 18 juin, je bricole ma radio, un poste en ronce de noyer,
comme ceux qu'on trouve maintenant chez les brocanteurs. Je tombe par
hasard sur Londres - quelques milliers seulement de Français ont entendu
cet appel; c'était la bande des trente et un mètres, ça je ne l'ai pas
oublié ; un type parle français, quelqu'un que je ne connais pas... Il
explique que cette guerre est mondiale, que l'empire est intact, qu'il
faut continuer le combat. C'était de Gaulle bien sûr, je n'avais jamais
entendu parler de lui. (…) Comme les gamins de mon âge, je m'interroge :
"La France ne peut pas disparaître ainsi." C'est pourquoi, lorsque j'entends de Gaulle dire : "L'empire est intact,
il nous reste des forces pour continuer le combat", je m'enthousiasme.
Et ma mère aussi. Ce jour-là, elle s'est dressée, pâle, blanche, elle
m'a saisi par le poignet : "Lucien, il a raison ! C'est lui qu'il faut
suivre ! " Mon sort était scellé. Aussitôt - j'ai seize ans, je suis né le 18 mai 1924 -, j'explique avec
fougue à mon père : "Je dois rejoindre le général de Gaulle à Londres
!" in,
C'était un
temps déraisonnable, Georges-Marc Benamou, Robert Laffont, 1999
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