A
l'évidence, le grand projet d'après guerre de la construction européenne
ne suscite plus l'enthousiasme des peuples : la désaffection gagne
inéluctablement et la faible participation aux élections européennes
partout en Europe le prouve, consultation après consultation.
Cette désaffection n'est
en rien une divine surprise, n'est-ce pas le destin de toute idéologie
humaine de naître, croître, stagner puis de décliner ? Le XX ème siècle
a connu plusieurs exemples d'idéologies qui ont suscité la passion puis
se sont brisées sur les réalités du monde.
Les causes du déclin de
la construction européenne sont multiples. En premier lieu, et ce n'est
pas un paradoxe, la construction européenne a réussi dans le domaine des
échanges, c'est un fait. Nous sommes sortis du chauvinisme des économies
de guerre dont le XX ème siècle a été l'expression la plus vive. Nos
frontières sont ouvertes, la libre circulation des personnes, des biens
est redevenue la règle, comme cela avait été le cas ou presque avant
1914. Ce succès est réel et doit être souligné.
Mais les peuples ont-ils
vraiment le désir d'aller plus loin, dès lors que le concept d'Europe
puissance passe obligatoirement par l'abaissement des Etats-Nations qui
constituent la base même de leur identité collective et individuelle ?
Le prix à payer apparaît beaucoup trop fort.
Au-delà de ce saut
qualitatif refusé - même inconsciemment - par les peuples, il existe des
raisons conjoncturelles à cette désaffection.
Comment demander aux
Français de se passionner pour des élections européennes, alors que
lorsqu'ils se prononcent négativement par référendum sur un traité
constitutionnel, un traité quasi identique est adopté au Parlement,
contre leur avis ?
Toutes ces raisons ne
suffisent cependant pas à expliquer le déclin de la construction
européenne dans l'opinion publique mais aussi chez un nombre croissant
de politiques.
Le déclin de la
construction européenne est structurel.
Le système européen a été
pensé à un moment où le monde était bipolaire, partagé en deux blocs.
L'objectif était de faire de l'Europe un troisième bloc. Or, la fin de
l'URSS et la mondialisation ont bouleversé totalement ce moment de
l'histoire. Nous sommes aujourd'hui entré dans l'ère des puissances
relatives. Les intérêts économiques, touristiques, sociologiques et
politiques des Français et des autres Européens ne sont plus
exclusivement européens mais mondiaux. La globalisation transcende le
concept même d'Europe qui s'est réduit à un enjeu régional.
Les principes de la
construction européenne sont en réalité « décalés » par rapport au monde
globalisé du XXI ème siècle.
Pourquoi reconstituer un
bloc alors que les Etats européens se sont relancés à la conquête du
monde, les entreprises françaises, allemandes, « jouent » le Brésil,
l'Inde, la Chine (BRIC) et y cherchent des alliances? Bruxelles a
d'ailleurs poussé à la roue, se faisant le champion de l'ouverture
totale des frontières, abandonnant toute préférence communautaire au nom
du slogan « gagnant-gagnant » qui a accru la désindustrialisation de
l'Europe. L'Europe, par sa propre faute, a perdu toute identité
commerciale, elle est devenue une sous zone de l'économie mondiale, sans
écluse, tournant le dos à la conception originelle du traité de Rome
fondé sur la préférence communautaire.
Alors que les grands
concurrents de l'Europe pratiquent le protectionnisme sélectif ou total,
l'Europe pratique le tout concurrence et le concept de politique
industrielle lui demeure étranger.
Ajoutons à cela des
dysfonctionnements internes au Marché unique engendrés par un
élargissement trop rapide vers les économies des pays de l'Est qui
tirent des avantages compétitifs considérables en raison de l'absence de
protection sociale et surtout de monnaies faibles, ce qui provoque des
délocalisations au sein même de l'Union. C'est le concept même de Marché
unique, substitut du Marché commun, qui est en cause.
Ajoutons encore à cela un
transfert massif à Bruxelles de multiples compétences - à partir de
l'Acte unique de 1984 - qui alourdissent et paralysent la prise de
décisions publiques. L'affaire de la TVA sur la restauration l'illustre
parfaitement. La machine européenne est en train de mourir d'apoplexie
sous le poids des 4000 directives et 100 000 pages d'acquis
communautaire aux mains d'une technocratie autiste.
De surcroît, faire
miroiter aux peuples « l'Europe puissance » relève de l'incantation.
Comment croire que 27 Etats, bientôt 30, à forte identité nationale,
conférant à l'Union une totale hétérogénéité, pourront conduire une
politique étrangère et de défense cohérente, active, qui nécessite des
prises de décisions immédiates? Cela relève du mythe. Sans oublier que
les 9/10ème de nos partenaires ont depuis longtemps aliéné leur volonté
de défense, leur expression diplomatique dans l'OTAN, machine
américaine !
Il faut se rendre à
l'évidence, ce système européen est épuisé. Alors, que faire ?
Certains, emportés par
leur lyrisme naturel, déclarent qu'il faut retrouver l'esprit des pères
fondateurs. Esprit es-tu là ? Il est mort en réalité, et depuis
longtemps, car il fut engendré par un moment de l'histoire. Il fut une
réaction unique à une situation unique issue de la seconde guerre
mondiale. Il est vain de croire qu'il reviendra, il n'y a plus de danger
ni allemand, ni même soviétique.
Une révision déchirante
de la construction européenne s'impose pour sauver désormais l'essentiel
car si l'intégrisme européen ne répond ni à nos intérêts ni à la
nouvelle donne mondiale, nous avons cependant besoin de coopération
européenne. Le Traité de Lisbonne n'est pas une réponse au défi de la
globalisation et de l'Europe car ce traité reste dans la logique du
centralisme de ses prédécesseurs.
Il faut tout remettre à
plat.
En premier lieu, les
Etats doivent reprendre le pouvoir sur la Commission, notamment en
matière de commerce international à l'OMC où elle n'en a fait qu'à sa
tête, par exemple en bradant la PAC contre l'avis de la France et en
pratiquant la dérégulation financière à l'origine de la crise mondiale.
La manière dont la France a assuré la présidence de l'Union montre la
voie de ce qui doit prévaloir.
En second lieu, l'Europe
doit s'alléger et s'en tenir à l'essentiel avec quelques politiques qui
concernent l'organisation du continent : des règles de concurrence et
une politique industrielle, des règles pour l'environnement, une gestion
politique de l'euro, la maîtrise des flux migratoires; les Etats
retrouvant une totale liberté de coopérer sur des projets selon leur
choix.
Seule une réorganisation
de ce type, souple, flexible, respectant la subsidiarité sera de nature
à répondre à nos intérêts qui dépassent largement l'isthme européen, car
les défis ne sont plus en Europe, nos intérêts s'inscrivent dans le
monde, particulièrement en Méditerranée, en Afrique et en Asie. En un
mot, il faut passer le rêve européen à l'aune de la raison et des
réalités.
Jacques Myard, député de la Nation
Président du Cercle Nation et République |