Le
2 février dernier, Nicolas Sarkozy remettait l’ordre de commandeur de la
légion d’honneur à Jean Charest, Premier ministre du Québec. Rien de
bien exceptionnel sauf que dans le discours qui a suivi, le président
français a taillé des croupières aux indépendantistes québécois. “Dans
les valeurs universelles que nous portons au Québec comme en France, il
y a le refus du sectarisme, le refus de la division, le refus de
l’enfermement sur soi-même, le refus de cette obligation de définir son
identité par opposition féroce à l’autre.” Passée sous silence dans
l’hexagone, l’affirmation présidentielle qui n’a rien d’un dérapage a
suscité de vives réactions dans la belle province.
Nicolas Sarkozy a de la suite dans les idées. En octobre, à l’occasion
du Sommet de la Francophonie, à Québec, M. Sarkozy avait soutenu que le
monde n’avait pas besoin “d’une division supplémentaire” et que “par son
fédéralisme”, le Canada envoyait “un message de respect de la diversité
et d’ouverture”. Quelques mois plus tard, il remet ça. La remise de
décoration à l’Elysée n’aurait dû être qu’un simple moment protocolaire
mais, Nicolas Sarkozy, en difficulté sur le terrain intérieur, ne rate
pas une occasion pour tenter d’occuper la scène internationale. Les
subtilités de la diplomatie, les propos précautionneusement pesés et
ciselés ce n’est pas pour le président français.”Ni indifférence ni
ingérence qui a été la règle pendant des années, honnêtement ce n’est
pas trop mon truc” a-t-il déclaré.
Nos
cousins d’Amérique ne s’en sont pas encore remis. Ils ont, à juste
titre, le sentiment d’avoir été poignardés par le président français
dont l’alignement sur les intérêts anglo-saxons est aux antipodes de la
doctrine gaulliste. “La-bas”, l’opposition entre fédéralistes et
souverainistes, ce ne sont pas seulement des mots mais des visions très
différentes portées sur l’avenir d’une communauté qui cherche à
maintenir sa différence culturelle.
De
nombreuses personnalités politiques québécoises ont réagi aux propos
présidentiels. Tous se déclarent surpris. Les plus cléments évoquent un
excès d’enthousiasme. Les souverainistes considèrent eux qu’il s’agit
d’une gifle à leur égard. “S’il y a du sectarisme, ce n’est pas au
Québec. S’il y a de l’agressivité, ce n’est pas au Québec. Ce mouvement
de la souveraineté et de l’indépendance se vit dans un rapport
démocratique exemplaire” a tenu à rectifier Gérald Larose le président
du Conseil de la souveraineté.
Même
Jean Charest, l’heureux récipiendaire, pourtant fédéraliste, n’a pas
caché son embarras : “Je ne vois pas d’autre politique possible pour la
France que celle de ni ingérence et ni indifférence, dans le cadre d’un
référendum.” L’accusation de xénophobie portée contre les souverainistes
a du mal à passer outre-Atlantique où l’on ne manque pas de relever la
contradiction avec la position française favorable à l’indépendance du
Kosovo.
Pauline Marois et Gilles Duceppe, les responsables des deux partis
indépendantistes du Québec ont pris la plume pour adresser une réponse,
rendue publique, à Nicolas Sarkozy. Une longue lettre de quatre pages
envoyée à l’ambassade de France d’Ottawa et au consulat de la France à
Québec. “Nous devons à la vérité de vous faire savoir que jamais un chef
d’État étranger n’a autant manqué de respect aux plus de deux millions
de Québécois qui se dont prononcés pour la souveraineté”. “Aucun n’a
utilisé envers le mouvement indépendantiste les épithètes pour tout dire
méprisantes que vous employez”.
Le
texte revient sur l’idée d’un souverainisme perclus de ressentiments,
bâti sur la haine du Canada. “Malgré nos différends importants avec nos
voisins, nous respectons ce pays, ses valeurs et sa population, écrit le
tandem. Nous pensons que l’indépendance du Québec mettrait un terme aux
rancœurs et aux débats épuisants qui jalonnent l’histoire de notre
présence dans le Canada.”
Le
quotidien canadien anglophone The Globe and Mail écrit que “Cela fait
longtemps qu’une telle bouffée d’air frais n’était pas venue de
France », se félicitant que les déclarations de M. Sarkozy mettent un
point final à l’épisode ouvert par le célèbre
« Vive le Québec libre » lancé en 1967 par le
général de Gaulle à Montréal. Au plan politique, Stephen Harper
le premier ministre canadien a saisi l’occasion pour reprocher au chef
du Bloc québécois devant la Chambre des communes, son “sectarisme”, son
“intolérance” et son “idéologie sectaire”.
Le
Québec a connu deux référendums sur la question de son indépendance, en
1980 et 1995. La seconde fois, les souverainistes sont passés de très
peu à côté du succès (49,4% des suffrages). Depuis pourtant, l’idée
semble en recul (43% d’avis favorables selon un sondage récent). Le
“lâchage” par la France arrive donc à un bien mauvais moment pour les
partisans dun Québec libre. |