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02 janvier 2009

 

Attaques contre le gaullisme

 

Au début, il ne s’agissait que d’une pointe ici ou là au détour d’un article ou d’une émission. Les critiques du général de Gaulle portaient sur les terrains habituels de l’extrême droite : Vichy, l’indépendance de l’Algérie,   ou du clan  libéral : son hostilité à l’Europe de Jean Monnet, son antiaméricanisme supposé hystérique, la politique arabe de la France. Rien de bien nouveau.

Mais depuis quelques mois, les attaques sournoises  ou ouvertes visant l’œuvre du général de Gaulle se sont multipliées, plus à droite qu’à gauche, il faut bien le dire. Leur nouveauté  est de porter sur les questions économiques et sociales ou sur l’éducation nationale, terrains où le général avait été jusque là peu mis en cause.

 

Nouvelles critiques 

Ainsi Denis Kessler, un temps éminence grise du MEDEF se  proposait il y a quelques mois de casser  ce qui était à ses yeux aux origines de toutes les tares de la France : le programme du Conseil national de la Résistance, l’auteur désignant pêle-mêle  sous ce vocable, la Sécurité sociale, le Code du travail, le rôle de l’Etat dans l’économie, la toute-puissance de l’éducation nationale etc. Ce programme  résultait, disait-il, d’un compromis entre gaullistes et communistes.

Le même courant de pensée  fait grief à de Gaulle d’avoir promu la planification en 1945, l’économie dirigée et la politique industrielle après 1958, d’une façon générale le rôle excessif de l’Etat.

Plus inédite encore, l’idée que le général  aurait livré l’éducation nationale aux communistes : en mettant en place la commission Langevin-Wallon, en promouvant l’éducation de masse et les réforme  pédagogiques, en conférant l’autonomie aux universités.

Derrière ces critiques économiques ou sociales, une critique politique plus fondamentale : de Gaulle aurait passé dès 1943 un pacte  avec les communistes, à la fois contre Giraud et  contre les Anglo-Saxons. Ce pacte, payé de nombreuses concessions à l’idéologie communiste,  n’aurait eu d’autre but que de lui permettre de se maintenir. Il  aurait entraîné la France de 1945   trop à gauche et aurait  creusé le fossé entre   les partisans de Vichy et ceux de la Résistance.

Ce pacte scellé par le voyage à Moscou du chef du gouvernement provisoire en décembre 1944   aurait été renouvelé par un pacte secret passé  avec le commandant en chef des forces soviétiques en Allemagne  à Baden-Baden le 29 mai 1968 tendant à  s’assurer de la neutralité des  communistes avant d’ écraser la révolte étudiante.

On peut s’étonner que ce tissu de fadaises trouve quelque crédit , y compris auprès de personnalités qui ne viennent pas de l’extrême-droite comme Philippe Nemo qui s’en fait l’écho  dans un ouvrage récent (1),   n’hésitant  pas devant des énormités du genre :  « au début de la guerre, de Gaulle n’était pas plus hostile aux communistes russes qu’aux capitalistes anglo-saxons »  ou encore  « il ne comprendra la vraie nature du communisme qu’à partir de 1944 quand les communistes voudront lui imposer leurs volontés et surtout  au début de la guerre froide »,  ce qui est véritablement prendre le chef de la France libre, ancien compagnon de captivité de Toukhatchevski pour un benêt.

Pourquoi ce renouveau des attaques contre le général de Gaulle ? Un certain nombre d’ouvrages récents, tel ceux  qu’a commis le petit-fils du général Giraud, se sont avérés des succès de librairie,  Si la veine de la gauche antigaulliste est tarie, une certaine extrême-droite antigaulliste produit toujours et trouve des échos dans la droite modérée et le centre.  Surtout la génération des grands témoins du gaullisme venant progressivement  à l’extinction, il est à nouveau permis  de dire n’importe quoi.

Prenons une à une ces allégations.

 

Economie et société

D’abord le programme du Conseil national de  la résistance – et sa mise en œuvre  par les gouvernements de la Libération. A supposer que ce programme ait été mauvais, ce qui reste à démontrer, la république sociale qu’il promouvait était dans le strict prolongement  de ce qui avait commencé avant guerre (assurances sociales,  allocations familiales, mesures sociales et nationalisations du Front populaire etc.) et même des idées  du régime « national-corporatiste » de Vichy et  à l’unisson de ce  qui devait rester l’idéologie dominante  en Occident  jusque vers 1970. Il n’en allait pas différemment en Allemagne (économie sociale de marché), aux Etats-Unis (New Deal, nouvelle frontière) et même en Angleterre : sait-on que la prégnance de l’idéologie marxiste  fut au sortir de la guerre au moins aussi forte de l’autre côté de la Manche que chez nous ?  La médecine y fut entièrement nationalisée, ce que nous n’osâmes pas faire, un George Orwell ne trouvait pas d’éditeur dans l’Angleterre de 1946 ! De Gaulle qui n’avait pas d’idées bien arrêtées en matière économique et sociale, sinon une  référence générale à  la doctrine sociale de l’Eglise,  ne se démarqua jamais sur ces sujets de l’air du temps – sauf quand plus tard il tenta d’imposer la participation. A supposer qu’il ait eu en la matière une politique propre,   il n’eut pas trouvé jusqu’en 1947 de force politique pour l’appuyer. On ne saurait oublier en effet que dans les assemblées de la Libération, il n’y a pas de parti gaulliste. Contrairement à ce que dit Denis Kessler, le pacte national de la résistance ne fut pas l’effet d’une entente directe entre gaullistes et communistes ; les  deux forces politiques dominantes étaient dès 1944 le MRP et la SFIO ; le parti communiste était aussi puissant qu’eux dans les urnes   mais il avait été  (grâce à de Gaulle !) écarté  des postes clef.; or ces deux là s’entendirent comme larrons en foire jusqu’en 1958, non seulement pour écarter de Gaulle mais  pour imposer une économie mixte à fort contenu social. Les années soixante marquent par rapport à cette tendance  plutôt un  retour vers le  libéralisme. Non seulement de Gaulle ne fut jamais critiqué par les libéraux de son temps mais son principal conseiller économique à partir de 1958, Jacques Rueff, passait pour un libéral pur et dur. 

Qui ne voit  au demeurant que les principales réalisations qui font la force de l’Europe d’aujourd’hui : industrie aéronautique, armement, nucléaire, TGV, espace,  pétrole, sont le produit direct de la politique industrielle française des années cinquante et soixante ? Rien de tout cela n’existerait si on avait alors appliqué les principes du  libéralisme strict.

 

L’Education nationale

Passons à l’Education nationale : la commission Langevin (auquel Wallon succède à sa mort) destinée à réfléchir à une réforme de l’éducation nationale   est bien mise en place en novembre 1944.  L’un et l’autre sont communistes. Mais la commission  ne rendit son rapport qu’en 1947, quand le général avait quitté le pouvoir. Et il ne s’agissait que d’un rapport,  que personne ne se sentit tenu d’appliquer. Les premières années, il resta lettre morte.

Au demeurant le modèle de tronc commun qu’il promouvait s’inscrivait ans un contexte tout à fait différent  de celui d’aujourd’hui. Avant 1950, 95 % des enfants d’une  classe d’âge n’avait pas accès à l’enseignement secondaire. Démocratiser, c’était permettre à tous ces enfants d’avoir une chance de faire « les mêmes études » que les fils de notaire. Ce principe de démocratisation faisait alors l’unanimité. Que ce système  ait ensuite posé des problèmes du fait qu’il conduisait à imposer  le même moule aux enfants quelle que soit, non plus leur classe sociale mais  leurs  capacités, au détriment des meilleurs, c’est sans doute une vraie question mais que personne n’avait encore perçue dans les années cinquante et qui était tempérée au cours des années soixante par l’existence  de filières.au sein du collège. On sait combien certains antigaullistes patentés crurent trouver leur revanche avec la victoire de Giscard. Or c’est un ministre de Giscard, René Haby, membre du parti républicain,  qui mit en œuvre en 1976 la réforme destinée à pousser jusqu’à leurs extrémités les plus absurdes (la suppression des filières internes au collège) les idées du plan Langevin-Wallon. Les giscardiens qui critiquent la politique gaullienne de l’éducation nationale feraient mieux de s’en souvenir. 

Même chose pour les  critiques faites à la   loi d’orientation de l’enseignement supérieur d’Edgar Faure votée  dans foulée  de  mai 68 en vue de conférer une certaine  autonomie aux universités. On donnait ainsi, dit-on,  le pouvoir à la gauche. Comme si elle ne l’avait pas eu déjà  au sein des facultés !  Les mêmes, curieusement, se  pâment devant les modèles anglo-saxons décentralisés   ou chantent les louanges  de la réforme Sarkozy qui donne encore plus d’autonomie aux universités.  

Plus fondée sans doute est le reproche fait au général de Gaulle d’avoir sous le ministère Peyrefitte promu au sein de l’école primaire les méthodes dites globales, emblématiques de ce qu’il est convenu d’appeler le   « pédagogisme ». On sait aujourd’hui ce qu’ont de désastreux ces méthodes. Il est bien vrai que le général, peu familier des affaires de l’éducation nationale, avait tendance à faire confiance aux spécialistes. Alain Peyrefitte que sa  culture humaniste aurait du prévenir contre ces innovations idéologiques, se fit au contraire le porte-parole zélé des technocrates de  la  rue de Grenelle. Pompidou, homme de bon sens,  était plus critique mais il n’eut pas le dernier mot. Il suffisait, dans les sujets qu’il ne  se réservait pas,   que l’on parlât  au général de  « rénovation » de « modernisation » pour qu’il dise « allez-y ! ». Mais aucun de ses successeurs n’a à cet égard redressé la barre, y compris ceux qui ont fait carrière sur le « oui, mais » ou le « non » au général !  Il n’y avait en tous   cas là nulle volonté de livrer l’école aux communistes, bien au contraire.

 

Un pacte avec les communistes ?

Venons-en au grief politique : celui d’un pacte diabolique   avec le parti communiste. Il est vrai qu’une fois entré dans la Résistance, le PC eut sa place à Londres. Tant que l’ennemi à abattre   était le nazisme, le général ne pouvait évidemment  pas se permettre d’ouvrir un second front contre le parti communiste. Une telle démarche  eut conduit tout droit à  la légion Charlemagne ! Qui ne voit surtout que le « pacte », si pacte il y eut entre le général et le PC,  n’était que l’exacte reproduction sur la scène intérieure française de l’alliance mondiale passée entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni avec  l’URSS, alliance qui dura jusqu’à ce que l’hydre nazie soit abattue. Pourquoi de si stupides griefs à l’égard de De Gaulle de la part de gens qui ne le  trouvent par ailleurs pas assez docile aux diktats de Roosevelt. Un Roosevelt bien plus naïf que ne le fut jamais de Gaulle sur la véritable nature du communisme. 

Qui ne voit que si De Gaulle avait cédé  le pouvoir à Giraud en 1943, l’AMGOT (2) eut été imposée à la France, ce qui aurait fait  le lit du communisme ainsi promu porte-parole exclusif  du sentiment national français.

La raideur du général vis à vis des FTP en 1945, son souci prioritaire de rétablir l’Etat contre les factions, sont  dans toutes les mémoires. Conscient de la menace communiste, il fit du RPF le principal mole de résistance au parti communiste en France, lequel ne s’y trompa pas, abreuvant d’injures le nouveau mouvement gaulliste. De 1947 à 1969,  pour le sentiment populaire, gaullisme et communisme représentaient bien deux pôles opposés. C’est encore le parti communiste qu’il désigne comme le principal adversaire dans son discours de combat du 30 mai 1968. La boutade de Malraux « entre les communistes et nous, il n’y a rien » était d’abord une arme de combat électoral qui exclut patelle-même toute idée de pacte et il est bien vrai que si le gaullisme n’avait pas existé, le parti communiste français aurait rencontré bien moins de résistance.

Quant au  supposé accord de  Baden-Baden entre le général et  le commandant en chef des forces soviétiques en Allemagne,  colporté par Henri-Christian Giraud, il tient du roman. Si tant est qu’ils s’y soient rencontrés, ce fut par hasard et  très brièvement. De Gaulle n’avait évidemment pas besoin d’aller à Baden-Baden pour connaître les sentiments du pouvoir soviétique vis à vis de la révolte de mai 68. Imaginer qu’il eut pu envisager de s’inféoder  aux Soviétiques pour réduire  une révolte française est une allégation  monstrueuse. La négociation avec la CGT durait depuis plusieurs jours  et  on connaissait sa position,  très hostile au mouvement étudiant, il y avait un ambassadeur d’URSS à Paris, un ambassadeur de France à Moscou.  S’il était préférable pour que de Gaulle reprenne la main que les Soviétiques n’envisagent pas d’instaurer le communisme en France, l’hypothèse paraissait alors tellement éloignée qu’imaginer que le chef de l’Etat aurait du aller en Allemagne chercher des assurances sur ce sujet tient de l’enfantillage.    

                                                              Roland HUREAUX

 

1.      Philippe Nemo, Les deux républiques françaises, PUF, 2008

2.      Projet d’administration directe de la France libérée par les Américains.