Il
y a cinquante ans, le plus illustre des Français devenait Président de
la République. Trente après, le système communiste s’effondrait et
certains y voyaient la fin de l’histoire et la victoire du modèle
libéral anglo-saxon. Malheureusement, ce système montre tous les jours
ses limites. Et si l’héritage du Général de Gaulle pouvait encore nous
guider pour le 21ème siècle ?
Une pensée plus
contemporaine que les autres
Cette question en surprendra sans doute beaucoup
qui ne manqueront pas de se demander en quoi les idées d’un homme du 20ème
siècle peuvent guider la France du troisième millénaire. Cependant, la
pensée gaulliste est bien plus récente que les pensées libérales ou
socialistes qui sont pourtant les pierres angulaires de la plupart des
partis de gouvernement en Europe…
En outre, le plus illustre des Français s’est
souvent fait remarquer par une capacité hors du commun d’anticiper le
cours des évènements. Il avait vu avant les autres le bouleversement que
la force mécanique apportait à l’art de la guerre, plaidant en vain pour
la constitution de divisions blindées en France alors que le Führer les
appliquait en Allemagne. Le 18 juin 1940, son appel expliquait déjà
comment la guerre allait se finir. Il avait également vu que la Russie
de toujours finirait par boire le communisme, qui n’était qu’un nouvel
habit de son impérialisme.
Sur beaucoup de questions que le monde moderne se
pose aujourd’hui, le gaullisme peut à nouveau se révéler être une
boussole bien utile pour nous diriger. Que ce soit sur l’organisation
des pouvoirs publics, l’organisation de l’économie, les relations
internationales, les grands principes du Général de Gaulle peuvent
encore nous guider. Car il ne nous a pas laissé une feuille de route
qu’il conviendrait d’appliquer quelques soient les circonstances. Il
était un pragmatique qui savait adapter ses décisions en fonction du
moment. Les principes qu’il nous a légués peuvent encore nous guider.
Une pensée économique
alternative bien utile
La crise économique actuelle en est sans doute le
meilleur exemple. En 1965, le Général affirmait que « le laisser faire !
le laisser passer ! appliqué à l’économie depuis l’aurore du machinisme
a souvent, grâce au bénéfice, à l’esprit d’entreprise, à la libre
concurrence, donné au développement une puissante impulsion. Mais on ne
saurait méconnaître qu’il en est résulté beaucoup de rudes secousses et
une somme énorme d’injustices ». Paradoxalement, ces paroles sont encore
plus actuelles aujourd’hui que dans les années 60, où les inégalités se
réduisaient et où la croissance était régulière.
En revanche, elles trouvent une grande modernité à
l’époque des parachutes dorés, des délocalisations boursières et des
travailleurs pauvres. Et que dire des secousses économiques que nous
traversons depuis 1987, entre de multiples krachs boursiers et crises
économiques provoquées par des bulles financières, dont on imagine bien
ce qu’aurait pu penser le Général, pour qui la « politique de la France
ne se faisait pas à la corbeille ». Toute sa vie, il a cherché à créer
un système économique dont l’homme était la seule finalité, la « seule
querelle qui vaille », alors qu’aujourd’hui l’homme semble au service de
la finance.
Le Général de Gaulle, s’il croyait à l’économie de
marché, voulait dépasser le capitalisme de deux manières. Tout d’abord,
en l’encadrant par un Etat qu’il n’hésitait pas à qualifier de
« dirigiste ». Et c’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui. Les Etats
doivent reprendre la main sur les marchés et le monde de la finance pour
beaucoup mieux les réglementer. La deuxième était l’association du
capital et du travail pour « ouvrir une brèche dans le mur qui sépare
les classes » parce que « le capitalisme du point de vue de l’homme
n’offre pas de solution satisfaisante ». Cette troisième voie reste à
inventer et est sans doute le moyen d’humaniser une économie de marché
dont les travers néolibéraux sont chaque jour plus flagrants.
Une pensée géopolitique
adaptée au troisième millénaire
La pensée gaulliste n’est pas moins actuelle en
matière géopolitique. Alors que le monde vivait dans un contexte de
guerre froide entre les deux super puissances qu’étaient les Etats-Unis
et l’URSS, le Général de Gaulle rejetait ce partage du monde pour
proposer une vision davantage multipolaire, où l’Europe serait
Européenne plus qu’occidentale, où l’Occident justement renoncerait à
son tropisme parfois impérialiste pour davantage respecter les autres
cultures et civilisations. Il fut le premier dirigeant occidental à se
rendre en URSS et en Chine, ouvrant la voie aux Etats-Unis d’un Richard
Nixon qui l’admirait beaucoup.
Et le nouveau contexte planétaire correspond
parfaitement à la vision gaulliste. Le monde devient de plus en plus
multipolaire, avec l’émergence de la Chine et de l’Inde, le réveil de la
Russie mais aussi l’affirmation du Brésil. Bref, les Etats-Unis et
l’Europe ne sont plus seuls. Cela impose à l’Occident et notamment aux
Etats-Unis d’en finir avec ses mauvais réflexes et d’adopter une
position plus ouverte sur le monde. Dans ce cadre là, la France a encore
un grand rôle à jouer, à la fois par son histoire, qui lui a fait
planter son drapeau sur tous les continents, mais aussi par sa vision
plus équilibrée des relations internationales, qui peut en faire le pont
entre le Nord et le Sud comme celui entre l’Ouest et l’Est. L’épisode de
la guerre d’Irak montre que notre pays a toujours vocation à un rôle
majeur.
Le plus démocrate des
démocrates
La pensée du Général de Gaulle peut également être
une source d’inspiration pour l’organisation du pouvoir politique. Déjà
dans les années 30, alors qu’il était pourtant militaire, il soutenait
que la conduite de la guerre était une affaire politique à cause de
l’ampleur des éléments à maîtriser et il ne souhaitait pas qu’elle fût
décidée directement par des militaires. Toute sa vie durant, il a
défendu une conception de la démocratie où le peuple devait décider des
grandes orientations politiques, ce qu’il a mis en place avec la
Cinquième République et l’élection du président de la République au
suffrage universel.
Aujourd’hui, cette responsabilité des politiques
devant le peuple est à nouveau battue en brèche par deux phénomènes. Le
premier est le pouvoir croissant d’institutions technocratiques
indépendantes, qui ont conquis des pans importants du pouvoir politique,
au premier rang desquels les banques centrales. Le second est purement
européen avec une construction qui ne tient pas compte du vote des
peuples et a tendance à confisquer une part très importante des pouvoirs
politiques pour les exercer sans réel contrôle, de manière irresponsable
et anti-démocratique.
Deux auteurs Américains, Joseph Stiglitz (prix
Nobel d’économie) et Robert Reich (ancien ministre de Bill Clinton), ont
dénoncé cette dérive anti-démocratique de nos sociétés dans « La grande
désillusion » et « Supercapitalisme ». Fort heureusement, ils ne sont
adeptes de la théorie du complot et soulignent que ces institutions
technocratiques agissent en général en pensant bien faire mais que leur
nature même les pousse à l’erreur. Leurs analyses, faites de culture de
la responsabilité, d’humanisme et de souci démocratique, rappellent
celles du Général à propos de la Quatrième République. Comme en 1958, le
gaullisme peut nous aider à restaurer un système plus démocratique et
responsable.
Bien plus que le socialisme ou le libéralisme, la
pensée gaulliste peut nous guider dans ce nouveau millénaire. Elle nous
offre une boussole bien utile pour nous diriger sur les trois défis des
prochaines années : refonder l’économie après la crise, apaiser les
relations internationales et défendre la démocratie.
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