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02 janvier 2009

 

Le gaullisme, une boussole pour le 21ème siècle                                                                                                    par Laurent Pinsolle

 

 

Il y a cinquante ans, le plus illustre des Français devenait Président de la République. Trente après, le système communiste s’effondrait et certains y voyaient la fin de l’histoire et la victoire du modèle libéral anglo-saxon. Malheureusement, ce système montre tous les jours ses limites. Et si l’héritage du Général de Gaulle pouvait encore nous guider pour le 21ème siècle ?

 

Une pensée plus contemporaine que les autres

Cette question en surprendra sans doute beaucoup qui ne manqueront pas de se demander en quoi les idées d’un homme du 20ème siècle peuvent guider la France du troisième millénaire. Cependant, la pensée gaulliste est bien plus récente que les pensées libérales ou socialistes qui sont pourtant les pierres angulaires de la plupart des partis de gouvernement en Europe…

En outre, le plus illustre des Français s’est souvent fait remarquer par une capacité hors du commun d’anticiper le cours des évènements. Il avait vu avant les autres le bouleversement que la force mécanique apportait à l’art de la guerre, plaidant en vain pour la constitution de divisions blindées en France alors que le Führer les appliquait en Allemagne. Le 18 juin 1940, son appel expliquait déjà comment la guerre allait se finir. Il avait également vu que la Russie de toujours finirait par boire le communisme, qui n’était qu’un nouvel habit de son impérialisme.

Sur beaucoup de questions que le monde moderne se pose aujourd’hui, le gaullisme peut à nouveau se révéler être une boussole bien utile pour nous diriger. Que ce soit sur l’organisation des pouvoirs publics, l’organisation de l’économie, les relations internationales, les grands principes du Général de Gaulle peuvent encore nous guider. Car il ne nous a pas laissé une feuille de route qu’il conviendrait d’appliquer quelques soient les circonstances. Il était un pragmatique qui savait adapter ses décisions en fonction du moment. Les principes qu’il nous a légués peuvent encore nous guider.

 

Une pensée économique alternative bien utile

La crise économique actuelle en est sans doute le meilleur exemple. En 1965, le Général affirmait que « le laisser faire ! le laisser passer ! appliqué à l’économie depuis l’aurore du machinisme a souvent, grâce au bénéfice, à l’esprit d’entreprise, à la libre concurrence, donné au développement une puissante impulsion. Mais on ne saurait méconnaître qu’il en est résulté beaucoup de rudes secousses et une somme énorme d’injustices ». Paradoxalement, ces paroles sont encore plus actuelles aujourd’hui que dans les années 60, où les inégalités se réduisaient et où la croissance était régulière.

En revanche, elles trouvent une grande modernité à l’époque des parachutes dorés, des délocalisations boursières et des travailleurs pauvres. Et que dire des secousses économiques que nous traversons depuis 1987, entre de multiples krachs boursiers et crises économiques provoquées par des bulles financières, dont on imagine bien ce qu’aurait pu penser le Général, pour qui la « politique de la France ne se faisait pas à la corbeille ». Toute sa vie, il a cherché à créer un système économique dont l’homme était la seule finalité, la « seule querelle qui vaille », alors qu’aujourd’hui l’homme semble au service de la finance.

Le Général de Gaulle, s’il croyait à l’économie de marché, voulait dépasser le capitalisme de deux manières. Tout d’abord, en l’encadrant par un Etat qu’il n’hésitait pas à qualifier de « dirigiste ». Et c’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui. Les Etats doivent reprendre la main sur les marchés et le monde de la finance pour beaucoup mieux les réglementer. La deuxième était l’association du capital et du travail pour « ouvrir une brèche dans le mur qui sépare les classes » parce que « le capitalisme du point de vue de l’homme n’offre pas de solution satisfaisante ». Cette troisième voie reste à inventer et est sans doute le moyen d’humaniser une économie de marché dont les travers néolibéraux sont chaque jour plus flagrants.

 

Une pensée géopolitique adaptée au troisième millénaire

La pensée gaulliste n’est pas moins actuelle en matière géopolitique. Alors que le monde vivait dans un contexte de guerre froide entre les deux super puissances qu’étaient les Etats-Unis et l’URSS, le Général de Gaulle rejetait ce partage du monde pour proposer une vision davantage multipolaire, où l’Europe serait Européenne plus qu’occidentale, où l’Occident justement renoncerait à son tropisme parfois impérialiste pour davantage respecter les autres cultures et civilisations. Il fut le premier dirigeant occidental à se rendre en URSS et en Chine, ouvrant la voie aux Etats-Unis d’un Richard Nixon qui l’admirait beaucoup.

Et le nouveau contexte planétaire correspond parfaitement à la vision gaulliste. Le monde devient de plus en plus multipolaire, avec l’émergence de la Chine et de l’Inde, le réveil de la Russie mais aussi l’affirmation du Brésil. Bref, les Etats-Unis et l’Europe ne sont plus seuls. Cela impose à l’Occident et notamment aux Etats-Unis d’en finir avec ses mauvais réflexes et d’adopter une position plus ouverte sur le monde. Dans ce cadre là, la France a encore un grand rôle à jouer, à la fois par son histoire, qui lui a fait planter son drapeau sur tous les continents, mais aussi par sa vision plus équilibrée des relations internationales, qui peut en faire le pont entre le Nord et le Sud comme celui entre l’Ouest et l’Est. L’épisode de la guerre d’Irak montre que notre pays a toujours vocation à un rôle majeur.

 

Le plus démocrate des démocrates

La pensée du Général de Gaulle peut également être une source d’inspiration pour l’organisation du pouvoir politique. Déjà dans les années 30, alors qu’il était pourtant militaire, il soutenait que la conduite de la guerre était une affaire politique à cause de l’ampleur des éléments à maîtriser et il ne souhaitait pas qu’elle fût décidée directement par des militaires. Toute sa vie durant, il a défendu une conception de la démocratie où le peuple devait décider des grandes orientations politiques, ce qu’il a mis en place avec la Cinquième République et l’élection du président de la République au suffrage universel.

Aujourd’hui, cette responsabilité des politiques devant le peuple est à nouveau battue en brèche par deux phénomènes. Le premier est le pouvoir croissant d’institutions technocratiques indépendantes, qui ont conquis des pans importants du pouvoir politique, au premier rang desquels les banques centrales. Le second est purement européen avec une construction qui ne tient pas compte du vote des peuples et a tendance à confisquer une part très importante des pouvoirs politiques pour les exercer sans réel contrôle, de manière irresponsable et anti-démocratique.

Deux auteurs Américains, Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie) et Robert Reich (ancien ministre de Bill Clinton), ont dénoncé cette dérive anti-démocratique de nos sociétés dans « La grande désillusion » et « Supercapitalisme ». Fort heureusement, ils ne sont adeptes de la théorie du complot et soulignent que ces institutions technocratiques agissent en général en pensant bien faire mais que leur nature même les pousse à l’erreur. Leurs analyses, faites de culture de la responsabilité, d’humanisme et de souci démocratique, rappellent celles du Général à propos de la Quatrième République. Comme en 1958, le gaullisme peut nous aider à restaurer un système plus démocratique et responsable.

Bien plus que le socialisme ou le libéralisme, la pensée gaulliste peut nous guider dans ce nouveau millénaire. Elle nous offre une boussole bien utile pour nous diriger sur les trois défis des prochaines années : refonder l’économie après la crise, apaiser les relations internationales et défendre la démocratie.