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6 mai 2008

 

Turquie et constitution européenne sont liées, évidemment !      

 

 

Le document reproduit ci-dessous est la version longue d’une tribune de Nicolas Dupont-Aignan, député et Président de "Debout la République" qui fut publiée en février 2005 dans les colonnes du Figaro. Le propos souligne que la Constitution européenne (devenue traité de Lisbonne en 2007) favorise l’entrée de la Turquie en Europe, en faisant sauter le verrou institutionnel du traité de Nice. Les dirigeants de la droite et du centre en France, se disant hostiles à l’adhésion turque, ont toujours récusé ce lien : ils ont prétendu ainsi pouvoir faire en même temps campagne pour la Constitution européenne et contre l’entrée de la Turquie. Les médias en France se sont montrés très discrets sur cette question, effectivement explosive. Mais le dernier mot sur cette controverse est revenu à Angela Merkel, alors titulaire de la présidence tournante de l’UE : en février 2007 à la tribune du Parlement européen, la chancelière allemande a avoué sans complexe que la Constitution européenne / traité de Lisbonne était indispensable à l’élargissement de l’Europe à la Turquie pour des raisons institutionnelles. Ce que nous n’avions nous-mêmes cessé d’affirmer depuis plusieurs années, dans l’indifférence médiatique et malgré les démentis méprisants des partis dominants…

 

Le traité constitutionnel n’aurait rien à voir avec l’adhésion programmée de la Turquie à l’Union européenne. C’est en tout cas ce que martèlent ses partisans, à tel point qu’on en vient à se demander s’ils ne cherchent pas d’abord à s’en convaincre eux-mêmes. A les en croire, il n’y aurait qu’un malencontreux télescopage de calendrier.

Mais comme le pressentent à juste titre de plus en plus de Français, le lien entre les deux questions est en réalité fondamental.

Pour la raison simple, tout d’abord, que la constitution européenne n’est rien d’autre que le contrat de mariage qui propose de lier entre elles les nations d’Europe. Or, comment prétendre inviter nos concitoyens à parapher ce contrat de mariage en leur enjoignant de ne surtout pas se demander avec qui ils le signent ? C’est un peu se moquer du monde car chacun sait que quand on se marie, on se soucie bien plus du conjoint que du Code civil ! Or le conjoint est aussi turc.

« Mais cette adhésion n’est pas certaine ! », nous répondra-t-on. Au contraire, deuxième secret de polichinelle, il est bien évident qu’il ne sera pas possible de dire non après une décennie de négociation avec Ankara : la crise qui s’ouvrirait alors avec la Turquie serait trop grave pour que quiconque en prenne le risque. Comme le dit joliment Robert Badinter, on ne dit pas non devant Monsieur le Maire après 10 ans de fiançailles. Ajoutons qu’on nous dira dans 10 ans qu’il serait suicidaire pour la France de bloquer solitairement l’adhésion turque dans le cadre de la constitution, cette dernière faisant dépendre la plupart de nos lois du bon vouloir de la majorité (qualifiée) de nos partenaires. C’est donc seulement en juin prochain, en refusant de signer la constitution, que les Français auront la dernière chance d’empêcher le mariage forcé avec la Turquie. Après, il sera définitivement trop tard.

« Mais vous allez sacrifier le traité constitutionnel pour une question qui n’a rien à voir avec lui ! ». Serait-ce vraiment le cas ? A lire la constitution, on a au contraire le sentiment que celle-ci est non seulement l’instrument de l’adhésion turque mais encore, plus fondamentalement, son complice.

Tout d’abord, omettant délibérément de définir les frontières de l’Europe, la constitution ouvre la voie à l’intégration turque là où le traité de Nice l’empêchait. En effet, ce dernier attribue nominativement aux 27 pays membres (les 25 actuels plus la Roumanie et la Bulgarie) le nombre de sièges au Parlement européen et de voix au Conseil. La Turquie ne figure pas dans cette liste. A l’inverse, la constitution fait sauter ce verrou en inscrivant seulement le principe de la représentation des pays membres au poids démographique, laissant la porte ouverte à n’importe quelle adhésion future. Ainsi, refuser la constitution, c’est en rester à un traité de Nice qui paralyse institutionnellement et politiquement cette intégration, la possibilité de parvenir dans ce système à un accord taillé sur mesures pour l’entrée de la Turquie étant très problématique à de nombreux égards. Ce serait donc le meilleur moyen pour les peuples d’exercer une pression vigilante sur leurs dirigeants, afin qu’ils négocient un nouveau traité, délimitant vraiment celui-là les frontières de l’Europe.

Plus grave, l’adhésion de la Turquie, qui est en soi nocive pour l’Europe, deviendrait franchement dangereuse avec le traité constitutionnel : premièrement, ce pays, bien que le moins européen de l’Union, en deviendrait le plus puissant parce que le plus peuplé (100 millions d’habitants à l’horizon 2025). En effet, la constitution établit le poids politique relatif des pays membres dans l’Union au prorata de leur population. Ensuite, l’influence prépondérante de la Turquie se ferait sentir dans les 25 nouveaux domaines de compétences (dont l’immigration) auxquels le traité constitutionnel étend la majorité qualifiée : la France prendrait ainsi le risque de se voir infliger des lois européennes fortement inspirées par la Turquie. Notons enfin que la constitution renforce dangereusement les droits des minorités ethniques et religieuses (les Cours de justice européennes en étant les garantes face aux Etats), ce qui encouragerait davantage les revendications communautaristes des immigrés turcs d’Europe au détriment de la cohésion sociale et nationale des pays d’accueil.

Ainsi, non seulement le traité constitutionnel permet l’intégration turque mais de surcroît il en aggrave l’impact. Il n’y a là aucun hasard, puisque… la Turquie a participé à l’élaboration du projet de constitution et l’a signée en octobre dernier à Rome, comme si elle était déjà membre à part entière de l’UE ! Plus généralement, la complicité de la constitution avec l’adhésion turque n’est pas fortuite dans la mesure où l’Europe qu’organise le traité constitutionnel est exactement la même, mais dans une version aggravée, que celle qui a d’ores et déjà conduit à l’ouverture des fatales négociations d’adhésion : ce sont en effet les mêmes hommes, la même logique institutionnelle et donc la même vision de l’Europe qui ont conduit, d’un côté, à la signature de la constitution européenne fin octobre et, de l’autre, à l’accord de Bruxelles du 17 décembre, un mois et demi plus tard. Les Français ne doivent donc avoir aucun état d’âme à dire non en mai 2005.

En somme, le oui condamne l’Europe là où le non lui offre sa dernière chance de sursaut.

Dire non en mai 2005, ce serait épargner à l’Europe une fatale dislocation : la Turquie n’a pas vocation à entrer dans l’Union, moins parce qu’elle est musulmane que parce qu’elle n’est pas européenne. Sa taille, sa situation géographique, sa culture, son économie, sa démographie, son insertion géopolitique dans l’Asie centrale turcophone, sa contiguïté avec le Moyen-Orient arabo-musulman, sa laïcité bottée et ambiguë, son nationalisme incapable de reconnaître le génocide arménien, en font un pays non-européen dont l’adhésion mettrait en péril non seulement la pérennité de l’UE mais aussi, en tout état de cause, sa propre cohésion.

Dire non, ce serait ensuite contraindre les dirigeants européens à négocier un nouveau traité qui délimiterait une fois pour toutes la construction européenne au continent européen.

Dire non en mai 2005, ce serait plus généralement récuser un système antidémocratique qui cherche à imposer ses orientations par la politique du fait accompli, la dilution des responsabilités et le détournement de la souveraineté populaire au travers de mécanismes de contrôle démocratique fallacieux (droit de pétition, renforcement factice du contrôle parlementaire sur la Commission).

Dire non, ce serait en définitive refuser la perspective d’une Europe très affaiblie à l’intérieur, ouverte à tous les vents de la mondialisation (article 314 CE) et réintégrée dans le giron de l’OTAN (article 41 CE). Bref, ce serait refuser l’Europe-impuissance sur laquelle misent les Etats-Unis en favorisant l’adhésion de la Turquie, leur deuxième cheval de Troie après la Grande-Bretagne, et qu’anticipe le Parlement européen en préconisant la communautarisation du siège de la France au Conseil de sécurité des Nations Unies (rapport Laschet).

Dire non, en fin de compte, ce serait ouvrir la voie à une nouvelle organisation de l’Europe, qui délimiterait ses frontières, démocratiserait ses institutions en instaurant une confédération d’Etats respectueuse de la souveraineté démocratique des peuples et qui organiserait les coopérations scientifiques et industrielles à géométrie variable (type Airbus) seules capables de rendre au continent toute sa place et son rayonnement sur la scène mondiale.

Le choix historique qu’offre le référendum ne consiste pas à approuver ou à rejeter l’Europe, mais à dire laquelle nous voulons : l’Europe condamnée d’avance de la Turquie et de la constitution ou l’espoir d’une Europe réellement européenne au service des peuples.