Si
l'on voulait juger des entreprises de notre temps suivant les
errements anciens, on pourrait s'étonner que le Gouvernement
français ait décidé de réunir cette Conférence africaine.
" Attendez ! "
nous conseillerait, sans doute, la fausse prudence d'autrefois.
" La guerre n'est pas à son terme. Encore moins peut-on savoir
ce que sera demain la paix. La France, d'ailleurs, n'a-t-elle
pas, hélas ! des soucis plus immédiats que l'avenir de ses
territoires d'outre-mer?"
Mais il a paru au
Gouvernement que rien ne serait, en réalité, moins Justifié que
cet effacement, ni plus imprudent que cette prudence. C'est
qu'en effet, loin que la situation présente, pour cruelle et
compliquée qu'elle soit, doive nous conseiller l'abstention,
c'est, au contraire, l'esprit d'entreprise qu'elle nous
commande. Cela est vrai dans tous les domaines, en particulier
dans celui que va parcourir la Conférence de Brazzaville.
Car, sans vouloir
exagérer l'urgence des raisons qui nous pressent d'aborder
l'étude d'ensemble des problèmes africains français, nous
croyons que les immenses événements qui bouleversent le monde
nous engagent à ne pas tarder ; que la terrible épreuve que
constitue l'occupation provisoire de la Métropole par l'ennemi
ne retire rien à la France en guerre de ses devoirs et de ses
droits enfin, que le rassemblement, maintenant accompli, de
toutes nos possessions d'Afrique nous offre une occasion
excellente de réunir, à l'initiative et sous la direction de M.
le Commissaire aux Colonies, pour travailler ensemble,
confronter leurs idées et leur expérience, les hommes qui ont
l'honneur et la charge de gouverner, au nom de la France, ses
territoires africains. Où donc une telle réunion devait-elle se
tenir, sinon à Brazzaville, qui, pendant de terribles années,
fut le refuge de notre honneur et de notre indépendance et qui
restera l'exemple du lus méritoire effort français?
Depuis un
demi-siècle, à l'appel d'une vocation civilisatrice vieille de
beaucoup de centaines d'années, sous l'impulsion des
gouvernements de la République et sous la conduite d'hommes tels
que : Gallieni, Brazza, Dodds, Joffre, Binger, Marchand, Gentil,
Foureau, Lamy, Borgnis-Desbordes, Archinard, Lyautey, Gouraud,
Mangin, Largeau, les Français ont pénétré, pacifié, ouvert au
monde, une grande partie de cette Afrique noire, que son
étendue, les rigueurs du climat, la puissance des obstacles
naturels, la misère et la diversité de ses populations avaient
maintenue, depuis l'aurore de l'Histoire, douloureuse et
imperméable.
Ce qui a été fait
par nous pour le développement des richesses et pour le bien dés
hommes, à mesure de cette marche en avant, il n'est, pour le
discerner, que de parcourir nos territoires et, pour le
reconnaître, que d'avoir du cœur. Mais, de même qu'un rocher
lancé sur la pente roule plus vite à chaque instant, ainsi
l’œuvre que nous avons entreprise ici nous impose sans cesse de
plus larges tâches. Au moment où commençait la présente guerre
mondiale, apparaissait déjà la nécessité d'établir sur des bases
nouvelles les conditions de la mise en valeur de notre Afrique,
du progrès humain de ses habitants et de l'exercice de la
souveraineté française.
Comme toujours,
la guerre elle-même précipite l'évolution. D'abord, par le fait
qu'elle fut, jusqu'à ce jour, pour une bonne part, une guerre
africaine et que, du même coup, l'importance absolue et relative
des ressources, des communications, des contingents d'Afrique,
est apparue dans la lumière crue des théâtres d'opérations. Mais
ensuite et surtout parce que cette guerre a pour enjeu ni plus
ni moins que la condition de l'homme et que, sous l'action des
forces psychiques qu'elle a partout déclenchées, chaque individu
lève la tête, regarde au-delà du jour et s'interroge sur son
destin.
S'il est une
puissance impériale que les événements conduisent à s'inspirer
de leurs leçons et à choisir noblement, libéralement, la route
des temps nouveaux où elle entend diriger les soixante millions
d'hommes qui se trouvent associés au sort de ses quarante-deux
millions d'enfants, cette puissance c'est la France.
En premier lieu
et tout simplement parce qu'elle est la France, c'est-à-dire la
nation dont l'immortel génie est désigné pour les initiatives
qui, par degrés, élèvent les hommes vers les sommets de dignité
et de fraternité où, quelque jour, tous pourront s'unir. Ensuite
parce que, dans l'extrémité où une défaite provisoire l'avait
refoulée, c'est dans ses terres d'outre-mer, dont toutes les
populations, dans toutes les parties du monde, n'ont pas, une
seule minute, altéré leur fidélité, qu'elle a trouvé son recours
et la base de départ pour sa libération et qu'il y a désormais,
de ce fait, entre la Métropole et l'Empire, un lien définitif.
Enfin, pour cette raison que, tirant à mesure du drame les
conclusions qu'il comporte, la France est aujourd'hui animée,
pour ce qui la concerne elle-même et pour ce qui concerne tous
ceux qui dépendent d'elle, d'une volonté ardente et pratique de
renouveau.
Est-ce à dire que
la France veuille poursuivre sa tâche d'outremer en enfermant
ses territoires dans des barrières qui les isoleraient du monde
et, d'abord, de l'ensemble des contrées africaine? Non, certes !
et, pour le prouver, il n'est que d'évoquer comment, dans cette
guerre, l'Afrique Équatoriale et le Cameroun français n'ont
cessé de collaborer de la façon la plus étroite avec les
territoires voisins, Congo belge, Nigeria britannique, Soudan
anglo-égyptien, et comment, à l'heure qu'il est, l'Empire
français tout entier, à l'exception momentanée de l'Indochine,
contribue dans d'importantes proportions, par ses positions
stratégiques, ses voies de communications, sa production, ses
bases aériennes, sans préjudice de ses effectifs militaires, à
l'effort commun des Alliés. Nous croyons que, pour ce qui
concerne la vie du monde de demain, l'autarcie ne serait, pour
personne, ni souhaitable, ni même possible. Nous croyons, en
particulier, qu'au point de vue du développement des ressources
et des grandes communications, le continent africain doit
constituer, dans une large mesure, un tout. Mais, en Afrique
française, comme dans tous les autres territoires où des hommes
vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit
un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en
profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient
s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de
participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires.
C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit
ainsi.
Tel est le but
vers lequel nous avons à nous diriger. Nous ne nous dissimulons
pas la longueur des étapes. Vous avez, Messieurs les Gouverneurs
généraux et Gouverneurs, les pieds assez bien enfoncés dans la
terre d'Afrique pour ne jamais perdre le sens de ce qui y est
réalisable et, par conséquent, pratique. Au demeurant, il
appartient à la nation française et il n'appartient qu'à elle,
de procéder, le moment venu, aux réformes impériales de
structure qu'elle décidera dans sa souveraineté. Mais, en
attendant, il faut vivre, et vivre chaque jour c'est entamer
l'avenir.
Vous étudierez
ici, pour les soumettre au Gouvernement, quelles conditions
morales, sociales, politiques, économiques et autres vous
paraissent pouvoir être progressivement appliquées dans chacun
de nos territoires, afin que, par leur développement même et le
progrès de leur population, ils s'intègrent dans la communauté
française avec leur personnalité, leurs intérêts, leurs
aspirations, leur avenir. |