Législatives 1967

Retour                                                                                                                       Mis en ligne le 25 mai 2007

 

Allocution radiotélévisée du général de Gaulle, Président de la République
Le 4 mars 1967

 

 

Françaises, Français,

A la veille du jour où le pays va voter après avoir entendu tant et tant d'arguments opposés, j'ai le devoir d'évoquer devant vous ce qui nous est commun à tous, je veux dire le bien de la France.

Car chacun sait au fond de lui-même que, par-dessus toutes les tendances, tous les souhaits, tous les griefs, il y a le salut ou le malheur de notre peuple. Chacun sait qu'au long de notre vie nationale, autrement dit de notre combat contre les difficultés du dedans, la concurrence du dehors, parfois l'agression étrangère, tous nous gagnons ou nous perdons suivant que notre pays gagne ou perd. Chacun sait pour quelles raisons historiques et constitutionnelles il me revient d'exprimer et de soutenir, au-dessus des compétitions, ce qui est l'intérêt supérieur, permanent, collectif, de la nation.

Or, du flot des multiples débats concernant les affaires publiques et auxquels nous venons d'assister, il se dégage trois conclusions, dont je crois bien qu'en dépit des partis pris électoraux elles sont, en réalité, partagées par tout le monde. La première, c'est qu'à l'époque et dans l'univers où nous sommes, et compte tenu notamment des terribles épreuves qu'a subies notre pays et des graves retards qu'il a longuement accumulés, nous avons beaucoup de difficultés à vaincre pour assurer à la France le progrès, l'indépendance et la paix. La seconde conclusion, c'est que, quoi que ceux-ci où ceux-là puissent contester ou réclamer pour les besoins de leur cause, beaucoup, beaucoup est accompli à l'heure actuelle. La troisième c'est que, pour aller plus avant sur la route qui nous mène à la prospérité économique, à la justice sociale, à la coopération européenne et mondiale, il nous reste beaucoup, beaucoup à faire.

Mais justement, comment le faire si les pouvoirs de l'État devaient être, comme naguère, paralysés par les crises ? Comment le faire si moi-même, confirmé à la tête de la République par mandat de notre peuple et chargé, comme je le suis, de garantir le destin de la France, par conséquent de conduire sa politique et de nommer son gouvernement, je trouvais au sein du Parlement les partis numériquement en mesure de m'empêcher d'accomplir ma tâche et de bloquer le fonctionnement régulier des pouvoirs, sans être capables de remplacer par rien de cohérent les institutions stables et efficaces que nous ayons établies ? Comment faire tout ce qu'il faut faire si notre pays se voyait lui-même et se montrait à l'étranger comme voué de nouveau à d'absurdes et ruineuses secousses ?

Au contraire, tous les espoirs sont permis à la nation si notre Vème République l'emporte. Car, alors, elle prendra le départ pour une étape nouvelle de notre marche en avant. Alors, l'action qu'elle mène à l'intérieur pour le progrès dans tous les domaines sera, sans nul doute, renforcée par la confiance des citoyens et élargie ensuite par l'adhésion d'un nombre grandissant de ceux qui, jusqu'à présent, se sont tenus à son égard éloignés ou incertains. Alors, elle aura encore plus de poids et de crédit à l'extérieur, pour accomplir la mission de notre pays, pour aider l'Europe tout entière à s'unir et à s'organiser, et pour travailler à la paix du monde.

Françaises, Français, vous le voyez, une fois de plus, au moment décisif, je vous ai parlé pour la France.

Vive la République ! Vive la France !

La préparation des législatives de 1967 - le "troisième tour" des présidentielles de 1965 selon Jacques Fauvet*- occupe très tôt les esprits. Pourtant, ces élections ne paraissent pas devoir conduire à de profonds changements. L'élection présidentielle de décembre 65 semble avoir conforté la majorité et les sondages prévoient une relative stabilité des principales forces politiques. Le pays est en pleine prospérité, en paix et au cœur d'une longue période de stabilité gouvernementale. Toutefois, après la mise en ballottage du Général, après la formation de la Fédération de la Gauche Démocratique et Socialiste (FGDS**), ces élections présentent un enjeu politique national certain.

La majorité a pris pour étiquette "Comité d'action pour la Vème République". Le Général intervient directement à la télévision le 9 février et le 4 mars à la veille du premier tour, suscitant des polémiques sur le rôle d'arbitre qu'il devrait avoir.

Georges Pompidou s'implique fortement et apparaît même comme le véritable chef de campagne. Il se présente lui-même pour la première fois dans le Cantal. Dès mai 1966, face aux velléités d'indépendance des Républicains Indépendants (la Fédération nationale des républicains indépendants est créée en juin 1966) et des gaullistes de gauche, il réussit à imposer l'idée d'une candidature unique de toute la majorité. Le "Comité d'action pour la Vème République" est ainsi créé. Présidé par le Premier ministre, il est chargé de distribuer les investitures. Si le leader des RI, Valéry Giscard d'Estaing prononce sa formule "Oui... mais... " Son autonomie réelle est néanmoins limitée.

Georges Pompidou intervient en particulier lors de deux débats : l'un contre François Mitterrand, l'autre contre Pierre Mendès France. Il suit également de près la préparation de ce scrutin, Olivier Philip*** en est particulièrement chargé au sein de son cabinet. Ces élections témoignent d'une volonté de conquête de terres jusqu'ici non gaullistes comme l'illustre l'opération des "Jeunes Loups". Jean Charbonnel, Jacques Chirac, Jean-Pierre Dannaud, Bernard Pons se lancent à l'assaut de ces terres du sud-ouest après des mois de travail sur le terrain. C'est ainsi lors de ces élections que Georges Pompidou commence véritablement à marquer de son empreinte la majorité, il place ses hommes dans le mouvement et cherche promouvoir une nouvelle génération.

La gauche prépare également les élections. François Mitterrand parvient à imposer une candidature unique de la FGDS par circonscription. Après l'épisode peu fructueux du contre-gouvernement (mai 1966), le programme de la FGDS est adopté en juillet 1966 et, surtout, un accord de désistement signé avec le PC en décembre de cette même année. En janvier 1967, le PSU se rallie à cet accord de désistement.

Les centristes s'organisent également puisque, après les résultats de Jean Lecanuet aux présidentielles de 1965, le Centre démocrate est formé (février 1966).

La campagne aborde les sujets économiques et sociaux mais l'un des principaux demeure celui des institutions. La majorité avance en effet l'argument selon lequel ne pas la reconduire, ce serait renoncer à la Vème République, au système en place depuis 1958. La tactique du mouvement gaulliste est bien de s'identifier au combat pour la défense des "nouvelles" institutions. La question des conséquences d'une éventuelle victoire de la gauche apparaît alors.

Cette campagne est marquée par l'utilisation prononcée des sondages. Les gaullistes font appel à des professionnels pour organiser leur campagne dont ils confient la préparation à l'organisme de marketing politique "Services et Méthodes" dirigé par Michel Bongrand.

Le premier tour montre une forte mobilisation des électeurs et une certaine stabilité des résultats, malgré une légère progression de l'opposition de gauche. Les sondages entre les deux tours donnent même une avance à la majorité assez proche de la situation de 1962. La réalité est très différente.

Le second tour surprend et modifie profondément l'équilibre des forces. Sur les 470 sièges métropolitains, 233 reviennent à la majorité contre 237 pour l'opposition. Restent alors à attendre les votes des circonscriptions d'outre-mer ; ceux-ci donnent finalement 14 à la majorité et 3 l'opposition. La répartition finale donne ainsi 247 sièges à la majorité et 240 à l'opposition. La majorité sortante conserve donc sa position mais elle bénéficie désormais d'une avance réduite.

Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer cette "fragile victoire" de la majorité : le second tour a connu une réelle absence de dramatisation et a entraîné une démobilisation, la défection du centre doit être aussi prise en compte, mais surtout l'unité de la gauche, l'alliance entre FGDS et PC, a porté ses fruits.

 


* Journaliste – 1914-2002 –  Directeur du quotidien Le Monde de 1969 à 1982

** La Fédération de la gauche démocrate et socialiste (créée sous l'impulsion de François Mitterrand en décembre 1965) est une organisation politique française résultant de la fusion des groupes parlementaires Socialiste et du Rassemblement Démocratique, et regroupant :

la SFIO de Guy Mollet - le Parti radical-socialiste de René Billères - l'Union Démocratique et Socialiste de la Résistance (UDSR) et la Convention des Institutions Républicaines de François Mitterrand - l'Union des groupes et clubs socialistes (UGCS) de Jean Poperen - l'Union des clubs pour le renouveau de la gauche d'Alain Savary

*** Olivier Philip est né le 31 août 1925 à New-York. Étudiant aux facultés de droit de Lyon et de Paris, docteur en droit, diplômé de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, il est ancien élève de l'École libre des sciences politiques et de l'E.N.A. (1947).
Il a été conseiller technique au cabinet de Georges Pompidou Premier ministre en 1966-1967.
Par ailleurs, il a été :
- Directeur de cabinet de Maurice Herzog haut commissaire puis secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports (1958-1964)
- Préfet de la Nièvre (1964-1966)
- Préfet de la région du Limousin et du département de la Haute-Vienne (1967-1972), de la région Bretagne et du département d'Ille-et-Vilaine (1972-1977)

La composition des groupes à l'Assemblée nationale

Président de l'Assemblée nationale : Jacques Chaban-Delmas
- Groupe d'Union démocratique pour la Vème République : 180 membres

Président du groupe : Henry Rey - Apparentés : 20 membres
- Groupe de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste : 116 membres

Président du groupe : Gaston Defferre - Apparentés : 5 membres
- Groupe communiste : 71 membres
Président du groupe : Robert Ballanger - Apparentés : 2 membres
- Groupe des Républicains indépendants : 39 membres
Président du groupe : Raymond Mondon - Apparentés : 3 membres
- Groupe Progrès et Démocratie moderne : 38 membres
Président du groupe : Jacques Duhamel - Apparentés : 3 membres
- Députés n'appartenant à aucun groupe : 9 membres