Allocution radiotélévisée du général de Gaulle, Président de la
République
Le 4 mars 1967

Françaises, Français,
A la veille du jour où le pays va voter après avoir entendu tant
et tant d'arguments opposés, j'ai le devoir d'évoquer devant
vous ce qui nous est commun à tous, je veux dire le bien de la
France.
Car chacun sait au fond de lui-même que, par-dessus toutes les
tendances, tous les souhaits, tous les griefs, il y a le salut
ou le malheur de notre peuple. Chacun sait qu'au long de notre
vie nationale, autrement dit de notre combat contre les
difficultés du dedans, la concurrence du dehors, parfois
l'agression étrangère, tous nous gagnons ou nous perdons suivant
que notre pays gagne ou perd. Chacun sait pour quelles raisons
historiques et constitutionnelles il me revient d'exprimer et de
soutenir, au-dessus des compétitions, ce qui est l'intérêt
supérieur, permanent, collectif, de la nation.
Or, du flot des multiples débats concernant les affaires
publiques et auxquels nous venons d'assister, il se dégage trois
conclusions, dont je crois bien qu'en dépit des partis pris
électoraux elles sont, en réalité, partagées par tout le monde.
La première, c'est qu'à l'époque et dans l'univers où nous
sommes, et compte tenu notamment des terribles épreuves qu'a
subies notre pays et des graves retards qu'il a longuement
accumulés, nous avons beaucoup de difficultés à vaincre pour
assurer à la France le progrès, l'indépendance et la paix. La
seconde conclusion, c'est que, quoi que ceux-ci où ceux-là
puissent contester ou réclamer pour les besoins de leur cause,
beaucoup, beaucoup est accompli à l'heure actuelle. La troisième
c'est que, pour aller plus avant sur la route qui nous mène à la
prospérité économique, à la justice sociale, à la coopération
européenne et mondiale, il nous reste beaucoup, beaucoup à
faire.
Mais justement, comment le faire si les pouvoirs de l'État
devaient être, comme naguère, paralysés par les crises ? Comment
le faire si moi-même, confirmé à la tête de la République par
mandat de notre peuple et chargé, comme je le suis, de garantir
le destin de la France, par conséquent de conduire sa politique
et de nommer son gouvernement, je trouvais au sein du Parlement
les partis numériquement en mesure de m'empêcher d'accomplir ma
tâche et de bloquer le fonctionnement régulier des pouvoirs,
sans être capables de remplacer par rien de cohérent les
institutions stables et efficaces que nous ayons établies ?
Comment faire tout ce qu'il faut faire si notre pays se voyait
lui-même et se montrait à l'étranger comme voué de nouveau à
d'absurdes et ruineuses secousses ?
Au contraire, tous les espoirs sont permis à la nation si notre
Vème République l'emporte. Car, alors, elle prendra le départ
pour une étape nouvelle de notre marche en avant. Alors,
l'action qu'elle mène à l'intérieur pour le progrès dans tous
les domaines sera, sans nul doute, renforcée par la confiance
des citoyens et élargie ensuite par l'adhésion d'un nombre
grandissant de ceux qui, jusqu'à présent, se sont tenus à son
égard éloignés ou incertains. Alors, elle aura encore plus de
poids et de crédit à l'extérieur, pour accomplir la mission de
notre pays, pour aider l'Europe tout entière à s'unir et à
s'organiser, et pour travailler à la paix du monde.
Françaises, Français, vous le voyez, une fois de plus, au moment
décisif, je vous ai parlé pour la France.
Vive la République ! Vive la France !
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La
préparation des législatives de 1967 - le "troisième tour" des
présidentielles de 1965 selon Jacques Fauvet*-
occupe très tôt les esprits. Pourtant, ces élections ne
paraissent pas devoir conduire à de profonds changements.
L'élection présidentielle de décembre 65 semble avoir conforté
la majorité et les sondages prévoient une relative stabilité des
principales forces politiques. Le pays est en pleine prospérité,
en paix et au cœur d'une longue période de stabilité
gouvernementale. Toutefois, après la mise en ballottage du
Général, après la formation de la Fédération de la Gauche
Démocratique et Socialiste (FGDS**),
ces élections présentent un enjeu politique national certain.
La majorité a pris pour étiquette
"Comité d'action pour la Vème République". Le Général intervient
directement à la télévision le 9 février et le 4 mars à
la veille du premier tour, suscitant des polémiques sur le rôle
d'arbitre qu'il devrait avoir.
Georges Pompidou s'implique
fortement et apparaît même comme le véritable chef de campagne.
Il se présente lui-même pour la première fois dans le Cantal.
Dès mai 1966, face aux velléités d'indépendance des Républicains
Indépendants (la Fédération nationale des républicains
indépendants est créée en juin 1966) et des gaullistes de
gauche, il réussit à imposer l'idée d'une candidature unique de
toute la majorité. Le "Comité d'action pour la Vème République"
est ainsi créé. Présidé par le Premier ministre, il est chargé
de distribuer les investitures. Si le leader des RI, Valéry
Giscard d'Estaing prononce sa formule "Oui... mais... " Son
autonomie réelle est néanmoins limitée.
Georges Pompidou intervient en
particulier lors de deux débats : l'un contre François
Mitterrand, l'autre contre Pierre Mendès France. Il suit
également de près la préparation de ce scrutin, Olivier Philip***
en est particulièrement chargé au sein de son cabinet. Ces
élections témoignent d'une volonté de conquête de terres
jusqu'ici non gaullistes comme l'illustre l'opération des
"Jeunes Loups". Jean Charbonnel, Jacques Chirac, Jean-Pierre
Dannaud, Bernard Pons se lancent à l'assaut de ces terres du
sud-ouest après des mois de travail sur le terrain. C'est ainsi
lors de ces élections que Georges Pompidou commence
véritablement à marquer de son empreinte la majorité, il place
ses hommes dans le mouvement et cherche promouvoir une nouvelle
génération.
La gauche prépare également les
élections. François Mitterrand parvient à imposer une
candidature unique de la FGDS par circonscription. Après
l'épisode peu fructueux du contre-gouvernement (mai 1966), le
programme de la FGDS est adopté en juillet 1966 et, surtout, un
accord de désistement signé avec le PC en décembre de cette même
année. En janvier 1967, le PSU se rallie à cet accord de
désistement.
Les centristes s'organisent
également puisque, après les résultats de Jean Lecanuet aux
présidentielles de 1965, le Centre démocrate est formé (février
1966).
La campagne aborde les sujets
économiques et sociaux mais l'un des principaux demeure celui
des institutions. La majorité avance en effet l'argument selon
lequel ne pas la reconduire, ce serait renoncer à la Vème
République, au système en place depuis 1958. La tactique du
mouvement gaulliste est bien de s'identifier au combat pour la
défense des "nouvelles" institutions. La question des
conséquences d'une éventuelle victoire de la gauche apparaît
alors.
Cette campagne est marquée par
l'utilisation prononcée des sondages. Les gaullistes font appel
à des professionnels pour organiser leur campagne dont ils
confient la préparation à l'organisme de marketing politique
"Services et Méthodes" dirigé par Michel Bongrand.
Le premier tour montre une forte
mobilisation des électeurs et une certaine stabilité des
résultats, malgré une légère progression de l'opposition de
gauche. Les sondages entre les deux tours donnent même une
avance à la majorité assez proche de la situation de 1962. La
réalité est très différente.
Le second tour surprend et modifie
profondément l'équilibre des forces. Sur les 470 sièges
métropolitains, 233 reviennent à la majorité contre 237 pour
l'opposition. Restent alors à attendre les votes des
circonscriptions d'outre-mer ; ceux-ci donnent finalement 14 à
la majorité et 3 l'opposition. La répartition finale donne ainsi
247 sièges à la majorité et 240 à l'opposition. La majorité
sortante conserve donc sa position mais elle bénéficie désormais
d'une avance réduite.
Plusieurs raisons peuvent être
invoquées pour expliquer cette "fragile victoire" de la majorité
: le second tour a connu une réelle absence de dramatisation et
a entraîné une démobilisation, la défection du centre doit être
aussi prise en compte, mais surtout l'unité de la gauche,
l'alliance entre FGDS et PC, a porté ses fruits.
*
Journaliste – 1914-2002 – Directeur
du quotidien Le Monde de 1969 à 1982
**
La Fédération de la gauche démocrate et socialiste (créée sous
l'impulsion de François Mitterrand en décembre 1965) est une
organisation politique française résultant de la fusion des
groupes parlementaires Socialiste et du Rassemblement
Démocratique, et regroupant :
la
SFIO de Guy Mollet - le Parti radical-socialiste de René
Billères - l'Union Démocratique et Socialiste de la Résistance (UDSR)
et la Convention des Institutions Républicaines de François
Mitterrand - l'Union des groupes et clubs socialistes (UGCS) de
Jean Poperen - l'Union des clubs pour le renouveau de la gauche
d'Alain Savary
***
Olivier Philip est né le 31 août 1925 à New-York. Étudiant aux
facultés de droit de Lyon et de Paris, docteur en droit, diplômé
de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, il est ancien élève
de l'École libre des sciences politiques et de l'E.N.A. (1947).
Il a été conseiller technique au cabinet de Georges Pompidou
Premier ministre en 1966-1967.
Par ailleurs, il a été :
- Directeur de cabinet de Maurice Herzog haut commissaire puis
secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports (1958-1964)
- Préfet de la Nièvre (1964-1966)
- Préfet de la région du Limousin et du département de la
Haute-Vienne (1967-1972), de la région Bretagne et du
département d'Ille-et-Vilaine (1972-1977) |