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La
polémique enfle au sein de la doctrine française depuis que quarante
professeurs d’université, parmi nos plus éminents juristes, ont jeté un
pavé dans la mare du conformisme eurobéat, en publiant il y a un mois
une
lettre
ouverte au Président de la République. Ils mettent en
garde contre une dérive normative communautaire « gravement attentatoire
à la démocratie puisqu’elle retire aux législateurs nationaux tout
pouvoir ».
S’opposant à la proposition de règlement de la Commission européenne sur
la loi applicable aux obligations contractuelles (revenant sur la
convention de Rome du 19 juin 1980), ces professeurs mettent en garde
contre une « entreprise qui, par sa portée, dépasse en gravité tous les
excès de pouvoirs auxquels, hélas, les autorités communautaires se sont
désormais habituées ». Il suffit de se reporter ainsi aux nombreux
arrêts rendus par la Cour de justice qui bousculent la lettre des
traités européens au nom d’une interprétation téléologique revendiquée
pour faire « avancer » l’intégration supranationale. L’arrêt du 13
septembre 2005 autorisant la Commission à édicter des sanctions pénales
en lieu et place des Etats, en est le dernier fameux exemple. Pour les
éminents signataires de la lettre ouverte, « la proposition de règlement
communautaire est très gravement attentatoire à la démocratie
puisqu’elle retire aux législateurs nationaux tout pouvoir ».
Excès de pouvoir manifeste
Solennels, ils placent d’emblée leur interpellation sur le terrain de la
« démocratie », c’est-à-dire de la « légitimité » du pouvoir édictant la
règle de droit dont dépend l’obéissance citoyenne.
« Dans une démocratie organisée selon les principes de l’Etat de droit,
une règle n’est légitime que si elle émane d’une autorité investie du
pouvoir de l’édicter » rappellent-ils. Or, selon les professeurs,
« Comme on l’enseigne aux étudiants de première année des facultés de
droit, sinon déjà aux collégiens dans leurs cours d’instruction civique,
ce n’est qu’à cette condition qu’elle est une règle de droit et mérite
donc obéissance ». Evoquant un « excès de pouvoir manifeste » de la
Commission de Bruxelles, les quarante enseignants préviennent qu’« ils
ne pourront plus longtemps se résoudre à se déshonorer, dans leurs
écrits comme dans leurs enseignements, en affectant de tenir pour du
droit ce qui n’en est évidemment pas ».
« Vice du consentement » de la France
Ils
demandent en conclusion au Président de la République de « rappeler aux
institutions de l’Union européenne que le Traité CE ne lie la France que
tel que le Conseil constitutionnel en a autorisé la ratification et non
pas tel qu’elles veulent le comprendre ».
On
se souvient que, dans des termes similaires, le président du Conseil
constitutionnel Pierre Mazeaud lui-même, avait adressé cette mise en
garde, en observateur averti de la « chose » européenne qu’il est,
évoquant carrément un « vice du consentement » du peuple français :
« Oui, il y aurait vice de consentement de la France si, le traité une
fois entré en vigueur, les Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allaient
au-delà de cette lecture naturelle et raisonnable » [1],
ce dont il sait parfaitement qu’elles sont hélas coutumières depuis
l’origine.
Réplique
Quelques jours après cette publication, d’autres universitaires, moins
inquiets que leurs collègues sur l’évolution européenne actuelle,
entendaient leur répondre, dans la même revue (JCPG, 10 janvier 2007, p.
13). Ces soixante-dix-sept professeurs de droit estiment que, en ce qui
les concerne, ils « ne considèrent pas qu’ils se déshonorent en
enseignant, oralement ou par écrit, le droit communautaire et en le
tenant pour du Droit ». Dans ce qui se présente comme un rappel à
l’ordre d’une partie de la doctrine à l’égard d’une autre, ces derniers
jugent que, « quelles que soient les opinions que l’on peut avoir sur la
construction de l’Europe, les problèmes difficiles posés par la
transformation de la convention de Rome en règlement appellent des
réponses plus constructives que le très excessif procès d’intention
intenté par les auteurs de la lettre ».
Dont
acte, pourrait-on dire, un passionnant débat est ainsi ouvert. Et
pourtant non. Il n’y a pas, et il ne peut pas y avoir, semble-t-il, de
débat de fond sur l’Europe telle qu’elle roule.
Procès Kravchenko
On
lira en effet avec dépit ou amusement c’est selon, l’article à ce sujet
publié sur le
blog
personnel du correspondant accrédité de Libération à
Bruxelles, Jean Quatremer. Les quarante signataires de l’interpellation
s’y voient inondés d’insultes, d’ailleurs aussi peu originales
qu’imbéciles, parce que ces professeurs de droit ont le tort de ne pas
penser la construction européenne comme M. Quatremer.
« Tous les anti-communistes sont des chiens » disait Sartre. M. Quatremer
poursuit, lui, page après page, avec hargne les anti-fédéralistes, ou
supposés tels. Courant visiblement après le titre de blogueur le plus
intolérant du web, le journaliste, s’en prend violemment à ces juristes,
joliment qualifiés de « souverainistes les plus rancis », ce qui sous sa
plume est à lire comme un pléonasme, puisqu’il n’est plus selon lui de
souverainetés nationales admissibles, du moins en Europe.
Se
livrant à un réquisitoire digne du procès de Kravchenko, M. Quatremer
cite nommément trois ou quatre de ces professeurs dissidents, qu’il
expédierait bien durablement à l’ombre. L’un des prévenus décroche même
le titre de « très réactionnaire » (Soljenitsyne ou de Gaulle ont
entendu la même chose), qualificatif qui ne s’appliquerait donc pas à
M. Quatremer, lui qui défend avec acharnement un retour au
supranationalisme européen, le progressisme même ! Il est amusant de
lire plus loin qu’il invite cordialement les internautes qui déposent
des commentaires à « rester polis » car « ceux qui sont racistes,
malveillants, grossiers, complètement hors sujet ou ceux qui contiennent
des faits manifestement erronés, seront effacés ». Ouf !, on a eu peur
que « réactionnaire » et « ranci » soient des termes malveillants ou
grossiers...
« Fanatisme antieuropéen »
Le
journaliste de Libé s’embarque ensuite dans une pauvre caricature de la
lettre ouverte des quarante profs, faute d’être intellectuellement armé
et politiquement distant pour y répondre par des contre-arguments : « Le
moment est venu de terrasser la « bête immonde », ce droit européen
impur polluant notre beau droit national ! » ricane-t-il dans son petit
coin derrière son clavier.
Jusqu’à ce qu’il s’étrangle en lisant dans la liste des signataires un
autre grand nom du droit français qu’il appréciait jusque là : « Ils ont
curieusement réussi à embarquer dans leur aventure un grand juriste
comme Pierre Mayer (Panthéon Sorbonne) », définitivement disqualifié à
ses yeux pour avoir osé critiquer la "bête immonde" et expédié à son
tour dans un champs de maïs pour "fanatisme antieuropéen", le fanatisme
proeuropéen ayant donc lui, au contraire, droit de cité. Et de conclure,
en lettres rouges que « L’affaire pourrait être anecdotique, digne d’un
moderne Clochemerle, mais elle est grave car ces gens forment des
générations de juristes qui auront une vue pour le moins tronquée du
droit européen » Ah ma pauv’dame, c’est plus comme de not’ temps, avec
tous ces jeunes désoeuvrés ! Ils feraient mieux de venir se former au
droit communautaire sur le blog de M.Quatremer, c’est sûr.
M. Quatremer
aurait été mieux inspiré de relever que le « non » du 29 mai a eu le
mérite de libérer les consciences, y compris les plus éminentes, sur
l’avenir européen qui est l’affaire de tous, pas seulement la sienne.
Encore faut-il aimer sincèrement la démocratie et se soucier de sa
vitalité.
Aujourd’hui, les grandes orientations économiques et trois lois sur
quatre sont d’origine communautaire, échappant donc aux parlements
nationaux élus. Les Français le savent. Il est donc normal de pouvoir
débattre sereinement, publiquement et sans s’injurier, de la légitimité
démocratique du droit applicable en France et en Europe. Est-il possible
dans ce pays d’entrer enfin dans le fond du débat européen, d’avoir le
droit de discuter de toutes les questions qui se posent effectivement,
sur la dilution du contrôle démocratique, sur le sens, le contenu et les
limites d’un projet politique comme celui-là, sans se faire admonester,
insulter, excommunier toute la journée par les institutions de Bruxelles
et leurs obligés... ?
Mauvaise mine du canari
Certains « progressistes » croient encore comme Marx qu’il y a un « sens
de l’Histoire », et que nul ne saurait en dévier sans s’exclure
lui-même. Tel n’est pas notre avis.
Nous
ne ferons pas d’ailleurs comme eux, en allant scruter ou émettre des
hypothèses sur les appartenances politiques ou philosophiques des
soixante dix sept autres juristes signataires de la contre-lettre
défendant, et c’est leur droit, la Commission européenne et la Cour de
Luxembourg.
Nous
n’irons pas vérifier combien d’entre eux sont titulaires de chaires
« Jean-Monnet » ou sont « relais d’opinion » de la Commission
européenne, c’est à dire dans les deux cas financièrement soutenus donc
dépendants des mannes de Bruxelles. Nous croyons, nous, à la nécessaire
tradition universitaire d’indépendance financière, garante de
l’indépendance intellectuelle et politique des professeurs et de la
pensée.
Non,
il n’y a pas que les chaires « Jean-Monnet » et leurs comparses qui ont
le droit de parler d’Europe ! La violence plumitive de M. Quatremer qui
ne répond à aucun des arguments et se contente d’insulter est sans doute
un symptôme du désarroi de la machine. L’auteur du présent article
s’attend d’ailleurs, à son tour, à un procès en fascisme aggravé sur le
fameux
blog,
puisque tel en est visiblement l’objet. (Voilà, c’est fait le 25 janvier
à 8h50). Heureusement, plusieurs internautes sont venus, eux, échanger
des arguments en marge de l’invective du journaliste-militant.
Comme autrefois on plaçait des canaris dans les galeries des mines, il
suffit en réalité de lire son blog depuis plusieurs mois pour constater
l’asphyxie progressive dans laquelle se trouve le système. Avec cette
dernière salve, on imagine que la machine bruxelloise est manifestement
au bord de l’apoplexie.
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