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N° 43 du 16 octobre 2006

 

 Bruxelles lance l'artillerie lourde contre les intérêts français

 

 

 

Secteurs stratégiques, viticulture, poste, jeux d'argent : l'Union européenne va lancer dès jeudi une salve d'initiatives dirigées contre les intérêts français. La Commission de Bruxelles s'apprête à déclencher pas moins de cinq procédures disciplinaires contre la France, au nom d'une certaine idée de la concurrence et de la mondialisation, et prépare deux directives qui font déjà scandale, l'une sur le vin, l'autre sur les services postaux. Est-ce parce que notre économie et notre pays ont besoin de sérieuses réformes qu'il faut laisser Bruxelles balayer nos intérêts, nos identités et nos cultures pour mieux formater nos modes de vie dans le seul intérêt du marché ?

 

L'Europe semble être la seule région du monde où le "patriotisme économique", c'est à dire la défense par un Etat de secteurs économiques sensibles ou stratégiques, est considérée comme une abomination. 

Dans son collimateur, on trouve d'abord le fameux décret renforçant les procédures de contrôles et d'approbation des investissements étrangers en France - que les Etats-Unis viennent aussi de renforcer chez eux - dit "décret anti-OPA", pris par Dominique de Villepin le 31 décembre 2005, après les rumeurs de rachat de Danone par l'Américain PepsiCo. Ce décret soumet à approbation des autorités la prise de contrôle (33,33%) par des groupes étrangers de sociétés françaises dans onze secteurs économiques : jeux d'argent, sécurité privée, recherche ou développement de moyens destinés à faire face à l'utilisation illicite, dans le cadre d'activités terroristes, d'agents pathogènes, matériels conçus pour l'interception des correspondances et des conversations, technologies de l'information utilisées dans le domaine de la sécurité, technologies à double usage, cryptologie, activités de recherche, de production ou de commerce d'armes, activités liées à un contrat avec le ministère de la défense ou exercées avec des entreprises dépositaires de secrets défense et prestation fournie à un opérateur public ou privé d'importance vitale. 

Selon le Commissaire McCreevy, successeur de Bolkestein, le décret contient une définition "floue" de l'intérêt national, notion qui ne peut être en effet que vulgaire ou pire, étrangère, aux yeux d'une institution supranationale, précisément programmée pour s'en affranchir. De son bureau bruxellois de super-ministre du 'Marché intérieur" de l'Europe, McCreevy peut dire, sans être contredit à Paris, ce qui est conforme ou non à l'intérêt supérieur de la France, et en l'occurrence, de juger que le décret français va "au-delà de ce qui est nécessaire pour la défense des intérêts nationaux". Le gouvernement français aura deux mois pour faire part de ses observations à la Commission, dans une procédure qui se terminera à n'en pas douter, par une condamnation de la France devant la Cour de justice de l'Union européenne. 

La Commission européenne planche également sur la libéralisation complète de l'agriculture viticole, qui transformera le vin en produit uniformisé. Ce que nos vignerons appellent déjà le "world wine" ("vin mondial") sans identification géographique et de tradition, un "Coca-cola du vin". Tout en proposant d'arracher en cinq ans 400.000 hectares de vignes (près de 12% des 3,4 millions d'hectares en Europe) la Commissaire danoise Boel veut "simplifier" l'étiquetage des vins pour mettre fin aux multiples appellations, indications d'origine géographique et de tradition, qui selon elle "déroutent les consommateurs, notamment à l'exportation", et sont même désignées comme responsables de la crise viticole en France... Elle estime plus simple de faire un vin générique genre "Bourgogne-rouge" où l'on mélangerait les vins de tous les vignobles et de tous les cépages. Le projet prévoit aussi d'autoriser certaines pratiques œnologiques, très développées sur les continents américain et australien qui, d'une certaine façon, permettent de se passer du terroir : de la chaptalisation (adjonction de sucre), aux copeaux de chêne, aux arômes synthétiques et autres enzymes, levures et cépages aromatiques transgéniques. Le "vin mondial» fait déjà l'objet d'une promotion intensive par les pays dits du « nouveau monde » (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Canada, Chili, États-Unis et Nouvelle-Zélande) venus conquérir les marchés européens. A juste titre, les viticulteurs de la Confédération paysanne reprochent ainsi à la Commission de vouloir légaliser une « conception industrielle » de vins « compatibles avec un standard de consommation imaginé par les spécialistes du marketing des alcooliers internationaux. On pourra aromatiser le vin, lui enlever de l'alcool, lui ajouter du glycérol, fermenter en Europe des moûts concentrés d'Argentine ou bien encore importer des jus de raisin pour fabriquer des "vins" suédois ! » C'est en d'autres termes, la fin programmée du vin traditionnel et à travers lui, du goût, du terroir et du bon-vivre français. 

Bruxelles accuse également la France de protéger son marché du jeu d'argent, contestant notamment le monopole de la société de paris hippiques PMU. Ce contrôle par l'Etat du marché des jeux répond à des nécessités relevant de l'ordre et de la morale publique. Le Commissaire européen se défend, lui, de vouloir libéraliser le marché des jeux. D'aucuns le soupçonnent de vouloir prendre sa revanche après avoir échoué à maintenir les jeux dans le champ de la directive service, sachant qu'il est aussi lui même grand amateur de courses hippiques et proche des bookmakers britanniques et irlandais. 

Autre cible enfin de la Commission européenne : la Poste. Elle va présenter sa directive visant à l'ouverture totale du marché postal dès le 1er janvier 2009. Après une procédure ouverte contre le livret A, la Commission s'en prend à la garantie de l'Etat qui permet à l'entreprise publique d'emprunter à des taux favorables, au cofinancement, par le Trésor public de son régime de retraite, et au monopole de la distribution du courrier de moins de 50 grammes. D'ores et déjà, l'entreprise est soumise à une cure d'austérité qui passe notamment pas la fermeture d'un grand nombre de bureaux de poste sur tout le territoire. 

Patriotisme économique, services publics, traditions culturelles et terroirs : ces nouveaux assauts que lance la Commission contre la France sont symptomatiques de ce qu'est devenue l'intégration européenne : une machine à broyer les intérêts nationaux, les cultures et des civilisations millénaires. Il s'agit de standardiser nos modes de vie et de consommation pour permettre à quelques uns de faire beaucoup argent. Parfaitement sourde et aveugle devant le réveil des peuples, tel qu'il se manifeste scrutin après scrutin dans toute l'Europe et encore avec éclat le 29 mai 2005 en France, cette Union européenne haït, en définitive, les valeurs de l'Europe léguées par l'Histoire. Nous avons hérité d'un monde tout en nuances, en variétés, en traditions, en identités, en savoir-vivre. L'Union européenne les balaye pour y installer son administration et ses normes, amnésiques, inhumaines, uniformisatrices et pour tout dire, folles.  


Christophe Beaudouin  - Lundi 09 Octobre 2006