Chers amis,
Je ne vous dissimulerai pas mon plaisir d'être à
nouveau avec vous aujourd'hui.
Nous en effet savons les uns et les autres quelle
importance a tout point de vue a revêtu la bataille politique contre
la Constitution Européenne. Et notre rencontre dans cette lutte a
révélé, je le crois, au delà de nos différences d'origine ou de
sensibilité, une vraie convergence de vue dans des domaines
essentiels.
L'oligarchie qui domine n'a rien compris ou pire
encore, elle a parfaitement compris mais cherche désespérément
comment se débarrasser du problème qui lui est posé. Elle ne
comprend pas cependant que le roi est nu et que ça se voit.
Les françaises et les français ont émis tout le
contraire d'un vote nihiliste ou corporatiste. C'et un vote de
raison, motivé, et si on cherche à bien le comprendre, tout en
nuances.
On ferait je crois, un premier contresens si l'on
interprétait le vote du 29 mai comme un refus en bloc de la
"mondialisation".
Nos concitoyens comprennent parfaitement que la
nouvelle phase des échanges mondiaux est facteur de progrès pour
nous comme pour les pays émergents. Une formidable révolution des
forces productives est en marche, qui n'a d'équivalent récent dans
l'histoire de l'humanité que la période de l'invention de
l'imprimerie.
Nos concitoyens savent que l'économie de marché est
le moteur de cette révolution, parce qu'elle permet l'initiative,
l'expérimentation, la prise de risque, la circulation de
l'expérience et des savoirs.
Mais nos concitoyens ne veulent pas qu'on confonde le
moteur et le pilote, et que nous soyons embarqués dans une voiture
folle sans direction et sans but. Autrement dit , ce qu'ils
refusent, c'est une caractéristique majeure de cette mondialisation,
qui est le prise du pouvoir par le capital financier à court terme.
Ils veulent du progrès, ils ne veulent pas de la jungle. Une
économie de marché oui, mais une politique économique qui l'encadre.
Autrement dit, ce que les françaises et les français
refusent , c'est de ce dogme commun aux archéo-marxistes et aux
post-modernes, selon lequel toute la société ne serait que de
l'économie concentrée. Une économie de marché, oui. Une société de
marché , non.
C'est le mérite clair du "non de gauche" d'avoir
dénoncé avec force la jungle économique et d'avoir donné au "non" la
dynamique sociale dont il avait besoin.
Mais aussitôt ce "non de gauche" démontre ses
limites. Ses divisions, ses chamailleries sont symptomatiques de ce
qu'il ne sait que faire d'une victoire qui devrait pourtant être
aussi la sienne.
C'est que le "non de gauche" est doublement à
contresens : il reste hostile à la nation sur le plan politique et
en conséquence, il ne nous dit pas qui va être le pilote politique
que les français réclament. La seule réponse en leur sein, celles de
ceux qui sont "fédéralistes" sur le plan européen et reprochaient en
quelque sorte à la Constitution de ne pas aller assez loin a, on le
comprend, du plomb dans l'aile pour un moment. Et d'un autre côté,
le "non de gauche" reste majoritairement hostile idéologiquement à
l'économie de marché, n'ayant pas encore digéré toutes les
conséquences de l'échec socialiste du XX° siècle. Le non de gauche
n'est donc pas en situation de répondre politiquement aux français,
même si je pense, et nous devons l'intégrer, qu'il est une des
composantes de cette réponse.
On commettrait un deuxième contresens si on
interprétait ce vote comme un refus en bloc de l'Europe, et nous
l'avions parfaitement anticipé dans notre campagne : "J'aime
l'Europe, je vote non".
Précisément en raison de ce contexte de
mondialisation des échanges, l'espace européen est perçu comme une
nécessité d'échelle. Un monde multipolaire, c'est bâtir des
contrepoids aux géants d'aujourd'hui (les USA) et de demain (la
Chine, l'Inde, la Russie reconstruite). Chacun comprend que la
France n'a pas la puissance requise pour exercer à elle seule ce
contrepoids ; mais pour autant, l'indépendance de la France, sa
liberté d'initiative sont un levier dans cette direction.
Autrement dit, ce que veulent nos concitoyens, c'est
une Europe qui soit démultiplicatrice de la puissance française, une
Europe de synergie des puissances nationales, alors que l'Union
Européenne dans ses modalités actuelles leur est antagonique, et
constitue donc un affaiblissement.
De ce point de vue, le vote des Français n'est pas un
vote souverainiste au sens où les français ne croient pas à la
souveraineté nationale conçue comme un retour et comme un remède en
elle-même.
Les françaises et les français veulent l'indépendance
de la France, mais pour l'Europe et pour le monde. Et ils conçoivent
que l'Europe soit non pas un abandon de souveraineté à une instance
supra-nationale, par définition anti-démocratique, mais un partage
de souveraineté. Ainsi par exemple l'Euro est-il l'objet de
sentiments contradictoires : d'un côté c'est un facteur de vie chère
et de croissance bloquée compte tenu de la politique, de l'absence
de politique doit-on dire, de la B.C.E.. Mais de l'autre, nos
concitoyens pressentent que ce pourrait être, entre les mains d'un
groupe d'Etats décidés, un puissant instrument de rééquilibrage du
monde qui vit encore sous la dictature factice du dollar-papier,
dont la puissance ne repose plus sur un étalon mesurable, mais sur
la prosternation à ses pieds des européens et sur la planche à
billets de la Réserve Fédérale, et qui permet aux Etats-Unis
d'aujourd'hui d'être un colosse aux pieds d'argile qui survit aux
dépends du monde, comme de la misère d'une partie de son peuple.
Mais un tel rééquilibrage du désordre monétaire exige précisément un
rapport de force qu'une France qui déciderait d'en revenir au Franc
ne serait pas en mesure d'imposer seule.
Par ce vote, enfin, les Français ont renouvelé
l'expression de leur lassitude de la politique institutionnelle et
de la stérilité du débat des faux-frères-ennemis UMP/PS. Ils ont
dans les faits assumé la convergence des "non", et leur vote a
montré que les non n'était pas "incompatibles" comme l'a dit
l'Arlésienne, mais complémentaires.
La victoire du "non"a fait une nouvelle fois voler en
éclats le système établi; mais il nous oblige donc en retour a de
l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace, c'est à dire à
une traduction politique dont il soit bien clair qu'elle ne se
nourrit pas à la soupe... impopulaire.
Il s'agit d'abord et avant tout d'un programme de
fond reposant sur le réservoir d'énergie nationale et républicaine,
c'est à dire celle qui demande des efforts à tous mais qui garantit
que ceux-ci bénéficieront à tous.
- un nouveau pacte social dont le pivot ne peut être
que les PME et les salariés.
- un emprunt massif public, national et européen,
pour les grands travaux, les transports à grande vitesse , le
ferroutage, l'énergie, la recherche biotechnologique, investissant
pour les cinquante ans qui viennent et créant les emplois du futur.
Un tel emprunt public bâti et garanti en commun par des Etats
européens librement associés et décidés serait la base d'un
véritable new deal à l'échelle européenne, au lieu d'abandonner
l'épargne populaire à la logique stérile des fonds de pension.
Devant une telle initiative, la Banque centrale Européenne devrait
se soumettre ou se démettre.
- un effort de rénovation de l'Etat et des services
publics, qui ne peut réussir qu'en s'appuyant sur les citoyens,
fonctionnaires et usagers. Cela implique, oui, d'y introduire
partout l'efficience, la récompense de l'effort et de l'initiative,
la productivité du travail. Mais la condition, c'est qu'une telle
révolution soit au service d'un objectif : redonner à l'Etat ses
marges de manoeuvre au service de tous et non pour brader ses
richesses. Redonner au service public le rapport qualité/prix qu'on
est tous en droit d'exiger, non pour aller vers son morcellement et
sa privatisation, mais pour en faire le ciment renouvelé de notre
cohésion sociale.
- une politique de croissance et d'échange en Europe
et pour l'Europe, et non pas ce ventre mou ouverts à tous les vents
qu'on a voulu nous vendre dans un emballage de contrebande. Cela
implique sa redéfinition en trois zones articulées : son centre,
groupes d'Etats fondateurs du marche commun et proches par leur
niveau social. Son deuxième cercle, celui des nouveaux arrivants
avec lequel il faut définir les écluses pour qu'ils rejoignent
progressivement le premier groupe; la périphérie, celle du Maghreb,
du Proche-Orient, de la Russie, de l'Afrique, qui attendent et
espèrent en une alternative à la logique prédatrice nord-américaine.
Tous ces projets impliquent la refondation de
l'alliance franco-allemande. L'Allemagne parvient , après un siècle
de convulsions, à la maturité nationale. Et avec des problèmes
sociaux, démographiques, industriels qui sont, malgré une
trajectoire bien différente, désormais similaires aux nôtres. Une
telle politique permettra de d'ancrer définitivement l'Allemagne
dans la modernité, et partant de tendre la main à Moscou rassuré et
à Pékin pour ce monde multipolaire, qui n'est pas le libre marché
sauvage, mais celui d'un nouvel équilibre entre puissances
raisonnées.
Les électeurs du "non" attendent à ce qu'on s'adresse
à eux tous, pour les rassembler tous.
Quelque soit la famille idéologique à laquelle on
appartient, il n' y a que cette démarche ouverte, dynamique,
novatrice, bouleversante qui pourra convaincre.
Autant dire que les logiques "plus à gauche que moi
tu meurs", ou "plus à droite que moi tu meurs" sont mort-nées.
Ce que nous propose par exemple Philippe de Villiers,
c'est pour toute perspective de brider l'Union Européenne actuelle
tout en continuant la logique de la privatisation des services
publics, comme dans le cas de l'Assurance-maladie et dit-il "autant
que possible" dans tous les autres cas. En quelque sorte ce serait
la poursuite de l'ultra-capitalisme financier, mais bien de chez
nous, assorti du rassemblement de la droite sectaire. C'est une
impasse, elle retransformera Philippe De Villiers, dont il faut
saluer la campagne intelligente et dynamique pour le non, en témoin
du passé.
Et on en dira autant de Laurent Fabius, qui a apporté
au "non" un décisif bagage d'homme d'Etat, mais qui perdra l'aura
qu'il a ainsi gagné, si il continue à s'enfermer dans la gauche de
la gauche, en voulant imiter le coup du père François de 1981, mais
dans un contexte et avec des partenaires qui ne sont plus les mêmes.
Ce que veulent les françaises et les français c'est
au contraire un nouvel élan pour toute la France et pour l'Europe.
Pour la France, un nouveau départ qui s'appuie sus ses atouts
nationaux et historiques, et pour l'Europe un changement radical de
politique, qui permette à toutes ses Nations de s'inscrire dans la
mondialisation en en changeant le cours au lieu de la subir.
C'est pourquoi nous devons assumer pleinement nos
responsabilités. Nous devons bâtir ce rassemblement républicain
moderne, novateur, qui ne craint pas l'Europe parce qu'il défend la
France.
Soyons hardis, et comme on n'est jamais aussi malin qu'en donnant
des conseils aux autres, je voudrais me permettre de dire à Nicolas
: vas - y ! Ne laisse pas la place libre au débat entre trompe-
l'oeil entre le populisme financier qui nous annonce en fait un
retour à l'Ancien Régime et les brissotins qui au fond voudraient
continuer à godiller sans ne rien choisir.
Dis-leur à tous que tu seras un pivot irréductible de ce projet et
de cette vision, et nous avec toi.
Merci !
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