Obsèques nationales des dix soldats français
en l’église Saint-Louis-des-Invalides, le 21 août
2008. |
Les obsèques nationales, présidées par M.
Sarkozy, des parachutistes français morts en Afghanistan ne
sauraient valoir approbation de la mission qu'il leur a confiée.
Il est nécessaire de s'interroger sur les raisons de cette
guerre et sur sa légitimité. Il est nécessaire de sortir d'un
engagement auquel le président de la République n'aurait pas dû
souscrire, seul, au nom de la France.
Dix soldats français sont tombés au champ
d'honneur, le 18 août en Afghanistan. Cette nouvelle glace le
sang, car nous, Français, sommes tous responsables de leur mort.
Ils avaient accepté de prendre le risque ultime lorsque, en
notre nom collectif, le président de la République les avaient
envoyés en mission. Ils pensaient nous défendre face à un
danger, certes lointain, mais bien réel. Ils pensaient servir
notre patrie.
Or, nous savons tous qu'il n'en est rien. Nicolas
Sarkozy lui-même admettait lors de sa campagne électorale que la
présence française en Afghanistan n'était pas essentielle pour
nos intérêts. Pourtant, une fois élu, il a pris la décision,
contre l'avis de l'état-major interarmes et contre celui de la
majorité des Français, d'envoyer 700 hommes supplémentaires sur
ce front. C'est une lourde responsabilité. |
Aucune analyse nouvelle ne motive ce revirement. Le président Sarkozy a
toutefois considéré que s'il n'y a aucun intérêt vital pour la France à
combattre en Afghanistan, il y en a un à développer l'OTAN. C'est pour
faire vivre l'Alliance que nos concitoyens sont morts.
Une guerre illégale
Pour comprendre les enjeux de ce conflit et le rôle de l'OTAN,
souvenons-nous des événements précédents. En janvier 2001, le président
George W. Bush entre à la Maison-Blanche. Le vice-président Dick Cheney
consacre toute son énergie à la mise en place du Groupe de développement
de la politique énergétique nationale (NEPD), dont il préside les débats
à huis-clos. Il y est décidé d'exclure autant que faire ce peut la
Russie et l'Iran de l'exploitation des hydrocarbures de la Mer
Caspienne. À cette fin, un premier pipe-line transportera le pétrole
jusqu'à la Méditerranée via la Géorgie (le « BTC ») et un second jusqu'à
l'Océan indien via l'Afghanistan.
Au
printemps 2001, l'Allemagne, en tant que présidente du Groupe de suivi
de l'Afghanistan, organise des négociations multipartites à Berlin.
Outre l'Émirat taliban non reconnu par la communauté internationale, les
États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie et le Pakistan y sont conviés.
Autour de la table, on discute de l'avenir du pays, mais dans les
couloirs on ne parle que du pipe-line que souhaite construire la firme
californienne Unocal. En définitive, selon le rapport du négociateur
pakistanais Naiz Naik, les Anglo-Saxons, furieux de l'intransigeance
talibane, mettent fin à la réunion et annoncent que ce sera la guerre.
En
août 2001, l'OTAN achemine 40 000 hommes en Égypte, tandis que la marine
britannique se déploie en mer d'Oman. Le 9 septembre, le leader du Front
islamique (pro-russe)
[1], Shah Massoud, est assassiné, de sorte que
Moscou n'ait pas de relais locaux pour s'opposer à l'invasion
anglo-saxonne.
Le 11
septembre des attentats spectaculaires frappent New York et Washington.
L'administration Bush les attribue à Oussama Ben Laden, lequel vit dans
l'émirat taliban. Ils exigent qu'il leur soit livré pour être jugé, ce
que Kaboul accepte de faire. Mais il est trop tard, l'armada
états-unienne, positionnée sur zone depuis août, est déjà en mouvement.
Les ambassadeurs états-unien et britannique à l'ONU remettent chacun une
lettre au président du Conseil de sécurité pour évoquer la légitime
défense. Le secrétaire d'État Colin Powell, assure que les preuves de la
responsabilité afghane dans les attentats seront présentées incessamment
sous peu au Conseil de sécurité. Elles ne viendront jamais.
Étrangement, les États-Unis qui ont invoqué la clause 5 du Traité de
l'Atlantique Nord pour mobiliser leurs alliés contre les terroristes
dont ils se disent victimes, n'associent que le Royaume-Uni (puis
l'Australie) à leur expédition militaire. Mais c'est bien ainsi qu'elle
était planifiée avant le 11 septembre. Des groupes locaux sont enrôlés
comme mercenaires pour mener les combats au sol, les Anglo-Saxons se
limitant à leur fournir un appui aérien, puis liquidant sous un tapis de
bombes les poches de résistance.
Après
la déroute des talibans, Washington installe des institutions fantoches
présidées par Hamid Karzaï (ressortissant états-unien, ex-agent de la
CIA devenu cadre d'Unilocal en charge de la construction du pipe-line).
La communauté internationale prend acte du fait accompli, tandis que la
Russie, qui n'a toujours pas digéré l'agression de l'OTAN contre le
Kosovo, avale cette nouvelle couleuvre. Toutefois, prenant date avec
l'Histoire, le président Poutine observe que la légitime défense n'est
pas établie et que l'invasion de l'Afghanistan est illégale.
L'engrenage
Une coalition de pays se porte volontaire, lors de la conférence de Bonn
sur la reconstruction, pour assurer la sécurité en Afghanistan d'abord
en lien avec l'Autorité de transition, puis avec les nouvelles
institutions dans le cadre de l'ONU. Tous les volontaires sont des
satellites des États-Unis qui adoptent les thèses de Washington. La
Russie et ses alliés, qui dénoncent une grave violation du droit
international, refusent d'envoyer des hommes.
Progressivement, il s'avère que la population afghane, même opposée aux
talibans, n'approuve ni le gouvernement Karzai --dont l'œuvre se limite
à avoir fait du pays le premier producteur mondial de pavot--, ni la
présence anglo-saxonne. En août 2003, face à l'instabilité grandissante,
Washington (qui concentre alors son effort en Irak) souhaite que l'OTAN
prenne le commandement de la Coalition des volontaires et lance une
offensive contre-insurrectionnelle. Il ne s'agit plus de lutter contre
le régime taliban, mais contre la population afghane.
Certains des États volontaires, dont la France, se sentant piégés,
tentent de s'en tenir au mandat de l'ONU visant à sécuriser le pays et à
le reconstruire. À l'inverse de son prédécesseur, le choix de Nicolas
Sarkozy aura été de faire basculer la mission des forces françaises du
mandat onusien initial vers la stratégie atlantiste de
contre-inusurrection. De facto, les forces françaises se retrouvent
supplétives des états-uniennes dans une guerre coloniale. Ce n'est pas
pour cela que nos soldats se sont rangés sous notre drapeau.
Les
forces US étant déjà surdéployées en Irak, l'OTAN ne peut augmenter ses
troupes en Afghanistan qu'en mobilisant des contingents alliés.
Washington espère d'abord une aide canadienne, mais le rapport Manley
met en garde Ottawa : le fardeau est trop lourd et ne doit être accepté
que si un autre membre de l'OTAN en partage le poids. Washington
sollicite alors Paris qui prend le temps de la réflexion. En France,
rien ou presque ne filtre dans la presse des analyses en cours à
l'Élysée et rue Saint-Dominique, tandis qu'au Canada, le Premier
ministre Stephen Harper et les leaders politiques les plus en vue
rapportent leurs contacts avec le président Sarkozy et donnent des
détails sur ce que sera l'engagement français. En définitive, celui-ci
est annoncé par Condoleezza Rice lors d'une conférence de presse
conjointe avec le Premier ministre britannique aux Chequers. La nouvelle
est confirmée par Nicolas Sarkozy, non pas au peuple français ou à ses
représentants, mais aux députés britanniques lors de son discours de
Westminster.
La
mise des troupes françaises au service du projet colonial anglo-saxon et
leur renforcement préfigurent la réintégration de la France dans le
commandement intégré de l'OTAN, prévue pour avril 2009. Le président
Sarkozy a souhaité qu'elle aille le plus loin possible. C'est
l'obstination du général Bruno Cuche, chef d'état-major de l'armée de
terre, qui y a posé une limite, empêchant notamment le déploiement des
chars Leclerc. On sait que celui-ci a refusé de se couvrir du même
déshonneur que Nicolas Sarkozy et qu'il lui a présenté sa démission
lorsque l'occasion s'est présentée.
Nous
ignorons quelles menaces ou quelles gratifications les États-Unis ont
promis au Canada et à la France pour les convaincre d'envoyer des
troupes pour le seul bénéfice de l'Oncle Sam. Par contre, nous observons
que les décisions de Stephen Harper et de Nicolas Sarkozy correspondent
à la réintroduction par le département d'État US du pétrolier
franco-canadien Total en Irak. Un accord a été signé entre Chevron (la
société dont Condoleezza Rice était administratrice) et Total (dont le
Canadien de Neuilly-sur-Seine Paul Desmarais, mécène des campagnes
électorales d'Harper et de Sarkozy, est l'actionnaire de référence).
Ceci
étant posé, nous devons songer à nos soldats morts. Ils ont fait leur
devoir. Le nôtre, c'est d'éviter que d'autres jeunes gens ne soient
sacrifiés comme eux à des intérêts étrangers ou privés. La France doit
immédiatement retirer toutes ses troupes d'Afghanistan.
[1] Le Front islamique a été renommé par les spin doctors de la
Maison-Blanche et les médias occidentaux « Alliance du Nord » pour
gommer son identité religieuse. |