À
Strasbourg et à Kehl, le soixantième anniversaire de l’Otan
cache mal les doutes sur son avenir. Pourtant le président de la
République a choisi de faire revenir notre pays dans le
commandement intégré.
Il y a là une
réelle rupture, alors que la France avait acquis une situation
originale dans l’Otan, « un pied dedans, un pied dehors ». Ainsi
depuis 1995, elle défendait ses intérêts et pesait sur la
conduite des opérations, comme au Kosovo, tout en participant à
trente-six des trente-huit comités et à toutes les missions.
Cette rupture
est d’autant plus forte qu’elle tourne le dos à un héritage
historique et à un consensus national. Est-elle opportune ?
Elle
intervient à contretemps car, après la tentation unilatérale
américaine, il s’agit aujourd’hui de construire un monde
multipolaire pour faire face aux nombreux défis — prolifération
nucléaire, terrorisme, crises régionales enlisées —, aggravés
par la crise économique mondiale.
Elle est à
contresens, car c’est l’Europe de la défense qui est notre
avenir. C’est de l’affirmation d’une volonté européenne commune
qu’ont résulté les avancées, de la déclaration de Saint-Malo en
1998 à la stratégie européenne de sécurité.
Elle est à
contre-emploi, car il y a une originalité française qui
s’enracine dans son histoire, dans sa présence outre-mer, dans
son message universel. Elle nourrit sa vocation de trait d’union
entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest, mettant sa voix
au service du dialogue des cultures et de la paix.
En
définitive, cette décision va à rebours de l’histoire, car
l’Otan est la réponse d’hier, occidentale et militaire, aux
défis de demain.
Cette
réintégration n’est pas sans risques, chèque en blanc signé à
une Otan en quête d’un rôle et d’une légitimité, tentée par la
fuite en avant.
Elle est
source de dangers, quand elle incarne une « famille
occidentale » qui cristallise les rejets et réveille les
logiques de blocs antagonistes, au risque de donner corps au
« choc des civilisations ».
Elle est
source de blocages, quand elle bride les progrès d’une meilleure
gouvernance en matière de sécurité. Substitut commode mais
pernicieux, elle tend à empiéter sur de nombreux domaines comme
la cybercriminalité, la sécurité des mers et la prolifération.
Elle est
source de distorsions, quand elle prend l’allure d’une « ONU
bis », sans limites et sans vision claire, ayant la tentation de
s’étendre à toutes les démocraties du globe et de se voir
déléguer la gestion des crises internationales.
Dès lors,
cette décision doit être comprise comme un triple pari sur
l’avenir.
Premier
pari : la réintégration permettra de renforcer l’Europe de la
défense. Mais certaines réticences britanniques, turques ou
est-européennes, comme la lourdeur des procédures de
non-dédoublement des opérations entre Otan et Union européenne
la bloquent. Les occasions de mesurer les avancées possibles ne
tarderont pas, qu’il s’agisse de l’État-major de planification,
du développement de nos moyens d’intervention ou encore de
l’Agence européenne de défense. Cela suppose aussi des efforts
pour relever les crédits de défense.
Deuxième
pari : la France sera à même de « codiriger » l’Otan. La tutelle
américaine y reste lourde. Les postes attribués à la France,
sans impact opérationnel réel, ne changent pas la donne.
Codiriger,
c’est accepter d’être coresponsable de tous les choix, jusqu’à
la logique de blocs et la militarisation du règlement des
conflits, qui conduit à leur enlisement. En Afghanistan, nous
devons tirer les leçons de l’Irak et faire prévaloir notre
vision d’une solution politique.
Codiriger,
c’est aussi peut-être lâcher la proie pour l’ombre. Ne bridons
pas cette liberté d’action et de parole qui permettait à la
France, en 2003, de poser la question de la légitimité de
l’intervention en Irak et d’empêcher le vote d’une résolution
aux Nations unies. Paradoxalement, la règle du consensus, si
elle nous laisse libres quant aux modalités, tend à nous
contraindre sur le fond.
Troisième
pari : l’Otan sera capable de changer pour s’adapter à la
multipolarité. En contrepoint d’une mécanique militaire lourde,
la prééminence du dialogue politique doit être affirmée.
L’Amérique de Barack Obama donne des signaux encourageants. Mais
un vrai débat doit avoir lieu sur la modernisation de
l’organisation, sur l’installation du bouclier antimissile ou
sur l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie. L’Otan doit
s’engager dans une logique de partenariats équilibrés.
Assumons
notre devoir d’indépendance en nous tournant résolument vers
l’avenir. Partout, l’initiative est nécessaire pour défendre
notre vision, nos intérêts et faire entendre la voix de la
France. Aussi, dès maintenant, il nous appartient de proposer
aux États de l’Union une conférence pour la relance de la
défense européenne. De même, le moment venu, il faudra refonder,
dans la clarté et l’égalité, les relations transatlantiques. La
France doit rester vigilante et exigeante, fidèle à ses valeurs
et à son ambition.
Dominique de VILLEPIN
Tribune publiée dans Le Figaro
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Pierre Lefranc,
ancien chef de Cabinet du Général de Gaulle
L’OTAN,
débordant de sa mission d’origine, devenue la cinquième colonne
de l’impérialisme américain, obscurcit le jugement de nos
dirigeants civils et militaires.
La
subordination de nos moyens de défense à un commandement
étranger motivé par des considérations et poursuivant des
objectifs qui ne sont pas les nôtres, représente l’abdication de
notre indépendance, élément essentiel de toute politique
étrangère libre.
Quel rôle
mondial de détente, d’entente et de coopération peut, dans ces
conditions, jouer notre pays qui ne manquera pas d’être entraîné
dans quelque folle aventure.
De surcroît
notre force de dissuasion qui nous a coûté tant d’efforts et
d’investissements, garantie de notre survie, ainsi enchaînée
voit se perdre sa crédibilité.
Consultés,
nos concitoyens auraient dit NON à cet abandon que rien ne
justifie.
Alerte !
Cette décision inconsidérée voulue au plus haut niveau et
acceptée par une majorité aux ordres, constitue un renoncement
déshonorant et inacceptable qui porte une profonde atteinte à la
liberté historique de la France. |