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Dossier TVA SOCIALE

 

 

FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE : POSER LE VRAI PROBLÈME par Pierre AUNAC                                               Mis en ligne : 08/06/2006

 

A l’occasion de la présentation de ses vœux à la Nation, le Président de la République a posé publiquement le problème du financement de notre système de protection sociale, en termes clairs : « Il faut que notre système de cotisations sociales favorise les entreprises qui emploient en France » a-t-il précisé ; ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Depuis cet appel le débat s’est ouvert et de nombreux articles l’ont abordé dans la presse. Mais il ne semble pas que la problématique en ait été éclaircie pour autant. Or le sujet est d’importance. En effet, il ne concerne pas seulement le problème du financement de la protection sociale et des redoutables équilibres des budgets sociaux ; il dépasse ce simple enjeu car il concerne aussi – et c’est sans doute bien plus important – la compétitivité du tissu économique français avec toutes ses conséquences : délocalisations des entreprises, érosion du tissu industriel, et finalement, le douloureux problème de l’emploi, et c’est là que réside le vrai problème, le véritable enjeu.  Le reste n’est que broutilles.

Certes, personne n’ignore que le poids des charges sociales est l’un des facteurs principaux du manque de compétitivité de nos entreprises et des pertes de parts des marchés qui en résultent. Mais à voir l’inanité des mesures prises et l’échec récurrent des réformes qui se succèdent, années après années, sans apporter de solution définitive, on a l’impression qu’il s’agit là d’un problème subalterne. La plupart des partenaires concernés, obnubilés par l’importance et la récurrence des déficits sociaux,  ne voient qu’eux et oublient les effets économiques désastreux de notre mode de financement. Alors, bon an mal an, à chaque nouvelle réforme on se contente de poser quelque rustine supplémentaire sans s’attaquer à la cause même du mal, et, en définitive, on se contente d’augmenter peu ou prou la charge des prélèvements sociaux qui plombent la compétitivité des entreprises, creusent les déficits et gonfle la masse des chômeurs.

En remarquant fort opportunément que « plus une entreprise licencie, plus elle délocalise, et moins elle  paie de charges sociales » Jacques Chirac a mis le doigt sur la cause première des difficultés sociales et économiques du pays. Il nous rappelle le caractère pernicieux du système, un caractère qui saute aux yeux dès lors qu’on observe qu’une entreprise qui, pour fabriquer et vendre sa production, donne du travail à 25.000 salariés, doit payer 25.000 cotisations sociales, tandis que celle qui importe de l’étranger les mêmes biens avec une cinquantaine d’employés seulement n’en paie que 50 !

Comment s’étonner de la morosité persistante de notre économie et des difficultés de nos organismes sociaux quand on prend conscience que ce système de financement a les mêmes effets qu’un “droit de douane à rebours”, un “droit de douane à l’envers” qui pénalise la production nationale et favorise les importations ? La première mesure qui s’impose pour rétablir des conditions de compétitivité normales, non faussées, consiste à mettre un terme à ce système aberrant, absurde et suicidaire. La solution apparaît alors évidente. Il faut lui substituer un mode de financement qui ne pèse pas sur les prix de revient, tout en procurant les ressources nécessaires à nos organismes sociaux. Cette solution existe. Elle a été proposée par divers économistes depuis déjà longtemps déjà : il s’agit de la TVA sociale[1]. Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’on entend par là car, derrière ces termes, se cache une redoutable méprise.

Pour de nombreux auteurs et commentateurs, la TVA sociale consisterait à supprimer une partie des cotisations sociales et à les remplacer à due concurrence par une augmentation de la TVA, que nous appellerons pour plus de clarté la TVA fiscale. C’est ce que propose Jean Arthuis avec une obstination méritoire : « Je propose donc, avec Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, de basculer une partie des cotisations patronales vers la TVA. »[2]

Mais cette réforme n’est pas la panacée. Comme nous le verrons plus loin, elle se heurte à diverses difficultés pratiques qui en condamnent l’application. C’est pourquoi nous proposons tout autre chose : une TVA sociale distincte de la TVA fiscale.

On voit donc que cette expression, “TVA sociale”, désigne deux réformes différentes, dont les effets ne sont pas nécessairement identiques. De plus la lecture des nombreux articles publiés à la suite de l’intervention du Président de la République montre que divers commentateurs proposent une troisième réforme qui se bornerait à étendre l’assiette des cotisations à la valeur ajoutée. Bref, on nage ne pleine confusion et l’on perd de vue l’essentiel : l’amélioration de la compétitivité des entreprises et l’éradication d’un mode de prélèvement suicidaire.

 

L’extension de l’assiette à la valeur ajoutée : une erreur funeste

L’extension de l’assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée a été proposée par divers auteurs qui, oubliant l’enjeu principal de la réforme, ne voient que les effets maléfiques des investissements de productivité sur l’emploi. Ils veulent, disent-ils « faire payer les robots. » Mais il s’agit là d’une proposition plus que contestable.

Remarquons d’abord qu’il existe deux sortes d’investissements, des investissements de production et des investissements de productivité. Les premiers sont générateurs d’emplois, et rien ne permet de les distinguer des  seconds dans la valeur ajoutée. En voulant taxer les “robots” on pénalise donc la croissance.

Quant aux investissements de productivité, s’il est vrai qu’ils ont pour effet de réduire la part de la main œuvre dans la production, la baisse des prix qu’ils entraînent se traduit souvent par un développement accéléré des échanges qui sont, en définitive, créateurs d’emploi. Nous en avons deux exemples spectaculaires avec l’essor de l’industrie automobile qui a créé des millions d’emplois et celui des technologies nouvelles, informatiques et numériques.

Il ne faut donc pas s’étonner si de nombreux chroniqueurs, comme Yves de Kerdrel se sont élevés contre ce projet[3]. Il rappelle notamment à juste titre que les groupes multinationaux peuvent aisément transférer à l’étranger des activités handicapées par des charges trop fortes. Bref, n’est-il pas incohérent de vouloir surtaxer les investissements quand le Chef de l’Etat ambitionne pour la France une économie dynamique et moderne, fondée sur le développement du numérique, des nanotechnologies, du spatial, de l’énergie, etc. toutes activités qui devront faire appel à des investissements lourds, tant dans le domaine de la recherche que des moyens de production ?

Enfin, il ne faut pas oublier l’objectif premier de la réforme que nous avons rappelé ci-dessus. L’extension de l’assiette à la TVA n’allègera en rien le poids des prélèvements sociaux. Et les entreprises françaises de production seront toujours fortement handicapées par rapport aux entreprises importatrices dont la valeur ajoutée est toujours bien plus faible puisque les travaux de recherche et de production sont effectués hors du territoire national.

Bref, ce mode de financement perpétue et pérennise la situation difficile dans laquelle se trouvent nos entreprises, et en particulier le funeste “effet de droit de douane à rebours.

 

L’augmentation de la TVA : une fausse bomme idée.

A priori, on pourrait penser que la suppression de quelques cotisations compensée par une augmentation de la TVA a les mêmes effets que l’instauration d’une TVA sociale distincte de la TVA fiscale. Mais, ce qui est exact en théorie se heurte à quelques difficultés pratiques qui  condamnent le recours à une augmentation de la TVA. Mais avant d’en examiner quelques exemples, replaçons-nous dans la problématique européenne.

On se souvient qu’une dizaine de pays de l’Europe de l’Est ont été intégrés au sein de l’UE.  Or, le salaire horaire moyen des huit pays les plus pauvres est compris entre 5,5 et 16 % du salaire horaire moyen français. La compétition intra-européenne est soudain devenue féroce. On comprend que les entreprises de notre pays, confrontées à un défi d’une telle ampleur, aient du mal à faire face et soient contraintes à déposer leur bilan, réduire leurs effectifs ou délocaliser leurs ateliers de production. Ainsi, tandis que se construit à Varna un complexe industriel automobile gigantesque que certains comparent à Detroit, le PDG de PSA annonce qu’il n’investira plus en Europe de l’Ouest, sans que cela trouble l’esprit de nos dirigeants ! A l’évidence, un simple transfert de cotisations de quelques pourcents n’aura guère d’effet significatif sur la compétitivité de notre industrie. Le transfert, pour être efficace, doit être massif et, si les conditions socio-politiques le permettent, porter sur toutes les cotisations sociales, patronales et salariales. Ce préalable posé, le transfert sur la TVA se heurterait aux difficultés suivantes.

 

1° / Cette mesure se traduirait par une importante réduction du champ du paritarisme dans la gestion des ressources sociales. Or, on connaît l’attachement des syndicats de salariés à cette caractéristique du système social français. Il y a gros à parier qu’ils se dresseraient tous contre une décision qui aurait pour effet de réduire leurs responsabilités. Il ne paraît pas très pertinent, pour réformer le système de financement de la protection sociale qui en a un besoin impérieux, d’opter pour un système qui se heurterait à l’hostilité des principaux intéressés

2°/ Le transfert des cotisations sur la TVA va poser un redoutable problème de taux. En effet, la suppression des cotisations transférées se traduirait par une diminution de l’assiette de la TVA, et, pour conserver les recettes, il sera nécessaire d’augmenter de tous les taux. Si, par exemple, l’opération porte sur un taux de charges de 15%, l’assiette sera réduite à 85% et l’ensemble des taux devra être augmenté à due concurrence ! Un vrai casse-tête. De plus, il faudra y ajouter un montant correspondant à la valeur des cotisations supprimées, ce qui se traduirait au total par des taux faramineux. C’est l’explosion assurée !

3°/ Face à cet écueil, il est tentant de réserver l’augmentation du taux aux produits taxés au taux dit normal de 19,6%. Mais alors, il sera nécessaire d’augmenter encore plus fortement le nouveau taux. Des simulations font état d’une augmentation de quatre points pour un transfert de charge de un point. Ainsi, pour un transfert de charges de l’ordre de points, le nouveau taux de TVA devrait s’élever à … 93 % ! ! ! 

4°/ Avec des taux d’une telle importance, il y a gros à parier que les instances européennes ne resteraient pas indifférentes en dépit du cas du précédent danois, souvent cité pour conforter cette thèse. Les difficultés rencontrées pour faire accepter le taux réduit en faveur de la restauration en témoignent. Certes, on peut penser que tant que le taux maximal ne dépassera pas le taux 25% du Danemark, nous serons à l’abri des ukases européennes. Mais cela ne laisse qu’une marge extrêmement réduite. C’est pourquoi Angela MERKEL en Allemagne et Jean Arthuis en France limitent leur ambition à un transfert de 3 à 4 % seulement. Un taux insuffisant pour avoir la moindre influence sur le marché intra-européen et, a fortiori, sur le marché mondial.

­5°/ Enfin, il semble inopportun de fonder une réforme sur un système de financement qui, mêlant des ressources fiscales et des ressources sociales, entretient l’opacité du système et ouvre la porte à des manipulations indésirables, comme c’est le cas avec le financement de l’assurance santé. On sait que son budget pour 2005 affiche un déficit de l’ordre de 7 milliards. Mais une note du Syndicat des Pharmaciens nous révèle que l’Etat n’a pas versé aux caisses concernées diverses ressources qui lui avaient été affectées. Si l’on en croit cet organisme, le montant total des ressources “détournées” s’élèverait à 22 milliards et le budget de la santé devrait donc être largement excédentaire. Cette anomalie – c’est le moins qu’on puisse dire – provient d’une particularité plus ou moins bien connue du grand public : le principe de non-affectation des ressources. En vertu de cette règle, toutes les recettes fiscales tombent dans un pot commun et peuvent être affectées par l’Etat comme bon lui semble. Il n’est donc pas certain que les recettes de cette taxe – improprement appelée TVA sociale - reviennent bien dans les caisses des organismes sociaux.

Bien que l’idée paraisse séduisante, le transfert des cotisations sur la TVA fiscale s’avère impraticable.

 

Qu’est-ce que la “vraie” TVA sociale ?

Nous avons déjà précisé que la TVA sociale est un prélèvement distinct de la TVA fiscale. Certains commentateurs s’inquiètent des réactions psychologiques qu’elle pourrait provoquer. Ils redoutent le bouleversement de l’architecture de notre système de prélèvements qui leur paraît “révolutionnaire”. En fait, il n’en est rien. Il ne s’agit que d’une modification mineure, un remodelage, du mode opératoire des cotisations actuellement en vigueur, lequel serait analogue à celui de la TVA fiscale. Ainsi, les recettes seraient versées directement par les entreprises aux organismes sociaux qui n’y verraient aucune différence ; les salaires ne seraient nullement affectés puisque les salariés ne perçoivent ni ne reversent aucune cotisation ; le calcul et l’affichage de la TVA fiscale ne seraient pas modifié car son assiette serait égale au prix hors toutes taxes majoré de la TVA sociale, comme c’est le cas avec les cotisations en vigueur ; pour les consommateurs, la TVA sociale étant incorporée dans le prix de vente hors TVA fiscale, les étiquettes ne seraient pas modifiées… L’essentiel des modifications incomberait aux comptables qui auraient à changer de ligne l’inscription de cette charge dans leurs documents et aux informaticiens qui font les logiciels d’édition des bulletins de salaires, lesquels seraient “nettoyés” des nombreuses cotisations en vigueur. La seule différence réside dans son mode de calcul, analogue à celui de la TVA fiscale. Comme cette dernière, elle ne serait pas appliquée à l’exportation.

Les avantages de cette réforme sont considérables sur le terrain de l’économie. Citons-en quelques-uns uns.

- le phénomène de “droit de douane à l’envers” serait supprimé, ce qui se traduirait par les trois conséquences ci-dessous :

- les prix à l’exportation, calculés “hors TVA sociale”, diminueraient à due concurrence. On calcule que si la totalité des cotisations était calculée suivant les modalités proposées, nos prix baisseraient de 25 % environ sur les marchés extérieurs.

- la TVA sociale étant appliquée aux importations, leur prix augmenterait de l’ordre de 34 %

- du fait de l’augmentation des recettes fournies par les importations, à budget égal, les prix intérieurs pourraient être diminués d’autant.

- le système de gestion paritaire serait sauvegardé.

- suite à la décision de la Cour de Luxembourg du 27 novembre1985[4], la TVA sociale étant “instituée spécifiquement pour alimenter des fonds sociaux”, elle échappe à toute contrainte de la part de l’Union Européenne qui nous laisse toute liberté en matière de financements sociaux.

- le lien entre TVA sociale et le prix hors TVA fiscale étant maintenu, on n’aurait pas à craindre que des entreprises profitent de la réforme pour augmenter leurs marges comme ce serait le cas du transfert sur la TVA fiscale.

Mais en plus de ces avantages évidents, la TVA sociale présente trois atouts majeurs de la plus haute importance. Le premier provient de ses effets-prix. La baisse des prix à l’exportation, la hausse de ceux des importations et la stabilité des prix intérieurs permet d’espérer une forte reprise de l’activité, de l’emploi et des recettes sociales et fiscales. La TVA sociale substitue au cercle vicieux des cotisations assises sur les salaires le cercle vertueux bien connu de la fiscalité indirecte. Le deuxième résulte de l’absence d’impact de ce mode de financement sur les prix à l’exportation. Or, on sait bien que les budgets des régimes de retraite et de l’assurance santé sont appelés à grossir considérablement dans un proche avenir. Contrairement au mode de financement actuel, la hausse inéluctable des taux de TVA sociale n’aura aucun effet délétère sur nos exportations, mais alourdira un peu plus le prix des importations, ce qui lui confère un pouvoir protecteur renforcé. La dynamique économique en serait inversée.

Enfin, contrairement aux gains de productivité qui se traduisent par une diminution de la part des salaires dans les prix de revient, la TVA sociale est la seule mesure qui permet une considérable amélioration de la compétitivité de nos entreprises sans diminution de la part du travail dans la production.


[1] Voir notamment Pierre AUNAC – Une économie au service de l’Homme – L’Harmattan p. 207 et s.

[2] Jean Arthuis – La Croix 05/11/2005.

[3] Dix raisons de ne pas taxer la valeur ajoutée, Le Figaro 16 janvier 2006.

[4] Cet avis stipule, en son alinéa 16 que : « cette disposition [l’article 33 de la sixième directive] ne peut donc avoir pour objet d’interdire aux Etats membres le maintien ou l’introduction de droits et taxes qui n’ont pas de caractère fiscal mais qui sont instituées spécifiquement pour alimenter des fonds sociaux, et qui sont assis sur l’activité des entreprises, ou de certaines catégories d’entreprises… »