Communiqué du 19 juin 2008

 

Irlande et gaullisme                                                                                                                                                                    par Henri Tisot

 
  • Tribune libre de notre ami Henri Tisot  pour gaullisme.fr

Française, Français, n’avons-nous pas tué De Gaulle une seconde fois par le truchement de la Constitution européenne dite simplifiée ? 

"Quand on ne reconnaît plus les siens, c’est qu’on n’est plus des leurs. Louis Pauwels.

Oui, tous les Français ne ressentent pas obligatoirement l’urgence de demeurer français. Aussi, c’est le corps en décomposition de notre pays que nous avons bien failli mettre en terre à la date fatidique du référendum du 29 mai 2005 lequel demandait aux Français, de voter « oui » à la nouvelle Constitution européenne sur les conseils délétères du Président de la République d’alors, Jacques Chirac. La nouvelle Constitution avait en vue de transférer les pouvoirs souverains acquis au fil des siècles par la France, pour les transmettre à l’Europe ou à ce que l’on appelle l’Europe qui n’est jamais, pour l’heure, qu’un tripot qui participe à la gabegie.

En effet, il faut savoir que les parlementaires européens sont tenus de faire des allers-retours entre Bruxelles et Strasbourg et cela coûte 20% du budget du Parlement européen que nous réglons avec les autres pays européens. Toujours est-il qu’en ce qui concerne le vote du référendum sur la Constitution européenne concoctée par le Président Giscard d’Estaing, en vue de ce que je considère comme un meurtre avec préméditation, une certaine droite était d’accord avec une certaine gauche, François Hollande en tête, François Hollande qui porte le nom d’un Pays Bas. Tout le monde ne peut pas s’appeler De Gaulle ! Avec tout cela, on était bien loin de « la certaine idée de la France » à laquelle une poignée de souverainistes demeuraient fidèles et continuent de l’être au grand dam de tous les autres, même si c’est sans grand espoir aujourd’hui.

Lors du référendum sur la Constitution européenne, pauvres de nous, nous faisions figure du dernier carré et tandis que nous avions en bouche, prêt à le hurler, le mot de Cambronne, nous avions conscience qu’on devait lui accoler le seul mot qui était encore susceptible d’être véritablement français : le mot « non ». Le philosophe Michel Onfray suggéra à l’occasion de ce référendum de poser aux Français la seule question valable parce que terriblement explicite : « Voulez-vous que ça continue comme ça ? » Cette question est toujours d’actualité, hélas !

Je n’oublierai pas non plus la honteuse déclaration, à mes yeux, de Jorge Semprun que je respecte pour son passé de déporté et qui osa soutenir que l’augmentation de la vie en France depuis le passage à l’euro n’avait rien à voir avec l’Europe, de même que les délocalisations dont tant d’ouvrières et d’ouvriers ont à subir les effets nocifs et qui, à ses yeux, n’étaient en rien causées par l’Europe. Je lui aurait volontiers répliqué – je le fais ici – que ce qu’il soutenait était aussi inepte que si on lui disait qu’Hitler n’était pour rien dans la déportation des juifs et les chambres à gaz.

Qu’avait donc à voir l’Europe qui se préparait à nous engloutir et à nous déglutir, avec celle que préconisait le général de Gaulle qui l’avait en quelque sorte définie par ces quelques mots, fort à propos, lors de sa conférence de presse du 15 mai 1962 : « Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe, dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et qu’ils avaient écrit en quelque espéranto ou volapuk intégré. »

Il est évident que le général de Gaulle était tout autant que le ministre anglais Kenneth Clark « pour les états d’Europe unis et pas pour les Etats-Unis d’Europe ». On ne peut pas être plus explicite et le distinguo est obligatoire dans la mesure où l’on s’attache à servir son pays. Le Général était pour une confédération, c'est-à-dire pour l’association de plusieurs états qui gardent leur souveraineté, tandis qu’on nous propose une fédération comme il est dit dans l’article I-6 de la Constitution européenne dont Charles Pasqua souligna qu’il suffisait d’en prendre connaissance pour voter « non ». Il nous arrive d’être dans les mains du destin. Parfois, il sert la France. Cela fut le cas le 29 mai 2005 et 3 jours plus tard, les Pays-Bas rejetèrent également la Constitution. Les Français ont donc dit « non » à ces quelques lignes qui demeurent toujours dans le « traité simplifié » : « Article I-6 : Le droit de l’Union. La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des Etats membres. »

 Selon Boileau « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément », ce qui est loin d’être le cas en ce qui concerne l’article I-6. Même si cela paraît très exagéré, j’avance l’idée que les nazis n’auraient pas rêvé mieux pour anéantir la France. Si Hitler avait gagné la partie, il nous aurait sûrement dit sans ménagement « à présent vous n’avez plus qu’à fermer vos grandes gueules », ce qui est très exactement ce à quoi nous condamne l’article I-6. A cette occasion, je rappelle que pour être fidèle à Beaumarchais, « il faut s’empresser de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ». C’est pourquoi je signale que lors d’une conférence donnée à Louveciennes par le Président Valéry Giscard d’Estaing dont l’article I-6 de ce Traité donne la preuve d’un esprit passablement tarabiscoté, que celui-ci a signalé avec sa diction bien connue : « Je fais remarquer que nous avons choisi un papier fin pour imprimer ce texte afin de le rendre plus court ». On sait à quoi peut servir le papier fin. Il est autorisé de répondre à la bêtise par le vulgaire.

Mais voilà que Zorro est arrivé en la personne du Président Sarkozy. Que l’on ne pense surtout pas que je vais me mettre à hurler avec les loups, car quitte à me tromper – l’avenir le dira – ayant voté pour lui, je considère que je dois lui donner toute ma confiance bien que je ne sois pas d’accord avec le fait qu’il ait fait adopté le Traité dit simplifié et qui ne l’est pas.  Mais la confiance ce n’est pas 99,99%, ni 101%, non ! la confiance c’est 100%. Alors, pour l’heure, bien que souverainiste invétéré à l’instar du général de Gaulle, j’avale la pilule et je me tais. Cela dit, n’ayant aucun pouvoir si ce n’est celui d’écrire et de noircir des pages plutôt que d’infléchir la situation, j’attends de voir venir. Mais rien ne m’empêche de prophétiser et on verra à l’usage si j’ai vu clair ou pas : je pense que le Président Sarkozy, tôt ou tard, ruera dans les brancards de l’Europe et prendra la magnifique décision d’imprimer à l’Europe ses desiderata qui seront ceux de la France et pas obligatoirement ceux de l’Europe. La fédération s’inclinera devant le principe de la confédération. Vous verrez !

Avec mon ami Paul-Marie Coûteaux, député européen et Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne, nous suivons la même idée, ou plutôt je suis leurs idées car pour ma part je n’ai guère voix au chapitre : Oui à l’Europe mais pas celle-là. On ne connaît rien de la situation de nos voisins immédiats, alors que pouvons nous saisir des pays faisant partie de l’Union européenne qui se trouvent aux antipodes ? Tout cela est totalement illogique. Toujours est-il que le clonage de tous les pays d’Europe depuis Maastricht est en marche et il atteindra dès lors son paroxysme à la suite de l’approbation par le Parlement réuni en Congrès le lundi 4 février 2008 à Versailles du projet de loi de révision constitutionnelle préalable nécessaire à la ratification du traité par 560 voix contre 181 et 152 absentions. Il me parait bon de se souvenir que les 181 parlementaires qui n’ont pas fait fi du « non » du peuple français lors du Référendum du 29 mai 2005 sont presque tous de gauche : 121 députés et sénateurs PS – 44 députés et sénateurs PCF – et seulement 5 députés et sénateurs UMP dont Charles Pasqua. Où sont donc passés les gaullistes ?

Le traité dit simplifié, a donc la possibilité d’être adopté suite au vote de Versailles, grâce à 560 « oui » contre les 16 millions de « non » du référendum du 29 mai 2005 (sic). C’est ce qu’entérineront les députés, le 7 février 2008 par 336 voix pour, 52 voix contre ainsi que les sénateurs dans la nuit du 7 février au 8 février par 265 voix pour, 42 contre et 13 abstentions. Le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne devient donc effective le 14 février avec sa publication au journal officiel portant la signature de Nicolas Sarkozy et selon l’article 52 de la Constitution française ou plutôt ce qu’il en reste. Le traité entrera en vigueur en 2009, reste à mettre en place une nouvelle réforme constitutionnelle. Voilà, le tour est joué !

C’est donc la victoire des Etats-Unis d’Amérique qui instillent de longue date ce clonage aux nations de la planète entière. Ils épandent leur drogue mortifère, à savoir la mondialisation et la globalisation qui se repaissent toutes deux des individualités qu’elles ont en horreur. Telles les trous noirs dans l’univers, elles mangent tout ce qui éclaire. « L’Amérique est devenue aujourd’hui une entreprise d’hégémonie mondiale » confiait le Général à Alain Peyrefitte : « Notre politique, Peyrefitte, je vous demande de bien le faire ressortir : c’est de réaliser l’union de l’Europe. Mais quelle Europe ? Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques plus ou moins intégrés, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. L’Europe dite intégrée se dissoudrait comme du sucre dans le café. C’est en réalité l’Europe des Américains, l’Europe des multinationales. Une Europe qui, dans son économie et davantage encore dans sa défense et dans sa politique, serait placée sous une inexorable hégémonie américaine. Une Europe où chaque pays européen, à commencer par le nôtre, perdrait son âme. Comment voulez-vous qu’on aille toujours plus loin vers l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des pauvres ? Et qui est mieux placé que la France pour faire entendre la voix de ceux qui n’ont pas de voix ? Les peuples ça existe et ça résiste. Ce sont les gouvernements qui n’existent pas quand ils sont à la merci de leurs partis, de leurs comités et de leurs Parlements. [Je veux que l’Europe soit européenne, c’est à dire qu’elle ne soit pas américaine] ».

Fort heureusement la mondialisation n’a pas que des adeptes. Comme j’ai eu le culot de le lui dire dans une de mes missives, Brigitte Bardot que je vénère, fait partie des femmes qui ont des couilles afin de pallier au manque de celles de nombreux hommes. Elle s’insurge comme moi : « L’uniformité de cette mondialisation détruit, jour après jour, l’empreinte, le patrimoine, que des siècles de traditions différentes avaient apporté pour chacune des civilisations. Il n’y a plus de dépaysement, de couleur locale, d’architecture différente, d’us et coutumes à découvrir, de costumes provinciaux ou nationaux. Buildings et jeans sont devenus les deux emblèmes d’une banalisation mondialiste. Quel malheur ! »

Un cri dans le silence –Ed. du Rocher.

Il faut bien dire que la plupart des événements dont nous avons à souffrir viennent en majeure partie de ce pays qui a pour nom « América », du chewing-gum qui se colle sous nos chaussures aux drogues de toutes sortes, et il faut avouer que la source de tous les maux modernes est bien souvent américaine. Même s’ils nous ont libérés, cela ne leur octroie pas tous les droits. Merci de nous avoir libérés certes, mais est-ce une raison pour nous digérer ? Certes, gardons-nous de tout anti-communisme primaire comme de tout anti-américanisme du même acabit, mais il faut bien admettre que, comme le déclarait le révolutionnaire italien Gramsci : « L’ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour, dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

Les Souverainistes dont je m’attache à faire partie ne sont pas contre l’Europe, ils sont contre l’Europe qu’on veut leur imposer et qui pour l’heure est loin d’avoir démontré son efficacité. Cela dit, tant de Français n’ayant en tête que la dissolution de leur pays, les malheureux Souverainistes n’ayant aucun pouvoir ne sont appelés qu’à ronger leur frein à l’instar du général de Gaulle qui en 1948 dans un discours prononcé au Vel d’Hiv de sinistre mémoire, confiait à son auditoire : « Les mêmes gens enfin disent : Vous, De Gaulle, vous perdez votre temps ! Vous avez naturellement pu susciter naguère et diriger le sursaut suprême, mais une fois le péril passé tout est retombé dans une bassesse inguérissable. Restez chez vous ! Ils sont passés les jours d’honneur, de fierté, d’espérance. Place aux profiteurs d’abandon, aux débrouillards de la décadence. »

Cela fait 57 ans que De Gaulle a prononcé ces paroles. Elles sont toujours d’actualité. Il pourrait les prononcer aujourd’hui, 50 ans après, avec la même sagacité, puisque rien n’a changé depuis 1948. Rien !

Je me sens totalement habité, hanté par ces mots que le général de Gaulle a un jour confié à un de ses affidés les plus sûrs, Jacques Foccart qui s’est consacré aux Affaires africaines et malgaches : « En réalité, ce peuple français meurt et se laisse mourir. Il a eu quelques sursauts. Il m’a suivi en 1940, et encore dans une faible minorité. Il m’a suivi lorsqu’il était en danger en 1958, et encore avec beaucoup de réserves. Et toujours et sans arrêt reviennent les adversaires qui disloquent tout cela. C’est un pays qui se dissout, je n’y peux rien. Comment voulez-vous lutter pour un pays qui est en train de se dissoudre, de s’en aller, de s’abandonner ? On ne peut pas tenir un pays malgré lui. On ne peut pas l’empêcher de se dissoudre malgré sa volonté, ce n’est pas possible. (…) Foccart, Foccart, je vous le demande, que puis-je faire ? Peut-on encore faire quelque chose ?

- Mon Général, bien sûr, il faut…

- Oui, bien sûr ! Vous me répétez toujours la même chose. Mais encore une fois, je vous dis que je ne peux pas lutter contre l’apathie, contre la volonté de tout un peuple de se laisser dissoudre. Ce n’est pas possible, on ne peut pas sans arrêt le tenir à bout de bras. Qu’est-ce que vous voulez, on aura fait ce que l’on aura pu. » Jacques Foccard. "Le Général en mai."

Journal de l’Elysée - 1968-1969.  Editions Fayard- Jeune Afrique.

Il est véridique que cette maladie de la dissolution a touché les plus hautes instances de l’Etat puisque le Président Chirac a dissout en 1997 l’Assemblée Nationale avec toutes les conséquences qui en ont résulté. Peut-être faudra t-il en arriver un jour à cette solution extrême préconisée par Bertolt Bretch : « Puisque le peuple a tort, il faut dissoudre le peuple ! » Bretch disait-il cela pour rire ? Rien n’est moins sûr. Quant à Voltaire, il soutenait : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas instruit » - Lettre à Damilaville –1766. D’ailleurs la question ne se pose pas car le peuple n’a pas le temps de s’instruire. Et s’il le peuple était instruit, il a été dit qu’il ne serait plus le peuple.

Il ne reste plus à ceux qui partagent mes idées sur la question européenne – on n’y est pas tenu, chacun est libre – il n’y a plus qu’à s’esbaudir avec une joie non dissimulée du fait avéré que l’Irlande dont la Constitution contraint le gouvernement à procéder par référendum, a voté « non » lors de la consultation du 12 juin 2008. Dès lors, l’Irlande a tout loisir de s’approprier ce concept  d’Anatole France: « je n’ai pas besoin de faire partie du troupeau pour être rassuré ! »

On pourrait alors s’interroger et se demander si l’ombre inoubliable du général de Gaulle entreprenant sa marche sur les dunes irlandaises (Photo ci-contre) après avoir quitté le pouvoir en mai 1969, n’aurait pas imprimé sa trace indélébile dans l’esprit des Irlandais moins oublieux que les Français. Le sable irlandais est soumis bien sûr au vent qui souffle et qui efface tout, mais il est pourtant des vents de doctrines qui en s’incrustant peuvent influencer les référendums au point de les métamorphoser en mémorandums. C’est, quelle que soit la suite, bien réjouissant.