Publié le 10 décembre 2006 - Alain KERHERVE - Texte au format PDF |
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Réinventer les relations sociales - |
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Comment peut-on admettre que des syndicats représentant 8% des salariés puissent tout décider en leurs noms ? Aujourd'hui, il s'agit de saisir cette chance pour aborder, dans la sérénité, l'ensemble du dossier "relations sociales".
Essayons de poser le problème simplement, en s’affranchissant, même partiellement, des règles actuellement applicables. La négociation suppose qu’il y ait : - des partenaires légitimes (représentativité, champ déterminé de prérogatives) - un ou des sujets déterminés, - une règle rendant l’accord applicable (c'est-à-dire valable) - un respect de ses conclusions écrites et de celles qui sont induites.
Tout le monde s’accorde à dire que les syndicats de salariés sont, en France, et par comparaison avec ceux existants dans d’autres pays démocratiques, très peu représentatifs des catégories qu’ils sont censés représenter. Sur le fond, la véritable démonstration de représentativité reviendrait à apprécier le nombre de salariés syndiqués (pourcentage par rapport à l’ensemble de la population ciblée). Telle est d’ailleurs l’approche faite par les syndicats eux-mêmes puisque leurs statuts précisent dans tous les cas que leur objet est de défendre les intérêts matériels et moraux de leurs adhérents. Il y a là une certaine logique. Mais en France, globalement (ce qui exclu certaines branches d’activités – notamment dans la fonction publique ou les entreprises publiques- dont le taux de syndicalisation est plus important que la moyenne nationale) seulement 8% de salariés sont syndiqués, ce qui veut dire que 8% de salariés ont confié la défense de leurs intérêts matériels et moraux à une organisation syndicale précise. Se pose donc, qu’on le veuille ou pas, le problème de la représentativité, donc de la légitimité à représenter les salariés, des syndicats actuellement sur le marché. Notamment de la représentativité nationale accordée aux cinq confédérations (CGT, FO, CFDT, CFTC et CGC) sans autre forme de procès, au niveau national. Néanmoins, il est vrai que cette représentativité mesurée au niveau des entreprises est par contre plus précise et donne à l’institution locale plus de poids (ou devrait donner). Bien entendu, à défaut de mesurer la réelle représentativité, on peut se réfugier sur un autre domaine : celui des élections professionnelles. C’est ce que défend, en règle générale, le groupe des cinq si l’on reste dans le cadre de la législation actuelle vérolée par la règle donnant le monopole de candidatures au premier tour des élections aux listes présentées par les cinq confédérations qualifiées de représentatives[1].
Malgré cette injustice (imaginons un tel système en politique !) les favorisant, aucun des syndicats « légaux » n’arrive même pas en première position. Malgré tout, c’est au nom de ces résultats qu’ils affirment détenir cette représentativité. Pas d’adhérents, des voix en nombre inférieur à celles des non-syndiqués, telle est la situation.
Elle est aussi fonction, si l’on veut bien respecter les textes, des prérogatives précisées par la loi. Je parle bien entendu des élections professionnelles. Que prévoit la loi : · Les délégués du personnel (DP). Ils ont un rôle spécifique et sont élus sur une liste nominative. Leur impact personnel est plus important que l’étiquette syndicale qu’ils véhiculent, d’autant plus que, dans la majorité des cas, les candidats se présentent comme non-syndiqués. En tout état de cause, cette élection ne leur donne aucun mandat de négociation. · Les comités d’entreprise (CE) Comme les délégués du personnel, la mission des élus est déterminée par le code du travail. Pour les grandes entreprises, l’étiquette syndicale représente un argument électoral plus porteur que pour les délégués du personnel. Néanmoins il reste globalement faible dans la mesure où les élus non-syndiqués représentent une majorité d’entre eux. En tout état de cause, cette élection ne leur donne aucun mandat de négociation. · Les CHSCT(s) Les membres des CHSCT(s) sont élus au second degré par un collège électoral composé des élus DP et du CE. Ils sont, en définitif, cooptés et donc plus représentatifs de leur appartenance syndicale quand ils sont syndiqués. Leurs prérogatives concernent, en application du code du travail, donc de la loi, les conditions d’hygiène, de sécurité et de travail des salariés, à l’image des DP et des membres du CE ; cette élection ne leur donne aucun mandat de négociation. · L'élection prud'homale est particulièrement spécifique L'abstention y est si importante qu'elle ne fait que confirmer, de plus en plus, l'ampleur du vide syndical. Les textes actuellement en vigueur montrent un manque évident de précision si l’on persiste à apprécier la légitimité à négocier des organisations syndicales. Il s’agit dans ces propos de toutes les organisations, y compris celles des chefs d’entreprises, mais il convient d’admettre que la représentativité de ces dernières est, contrairement à celles des salariés, largement démontrée, donc admise, les chefs d’entreprise étant pour la plus grande part, pour des raisons diverses, adhérents à l’une des organisations patronales.
Il est également indispensable de réfléchir également aux sujets qu’il est souhaitable d’aborder au cours des négociations aux différents niveaux. National : accord cadre (exemple : la durée légale du travail – 35 heures, un point c’est tout) ; Fédéral : accord spécifique à un métier donné (exemple : application des 35 heures dans des métiers à horaires particuliers –transports) ; Entreprise : accord spécifique à une entreprise, tous métiers pris en compte (exemple : application dans le détail des 35 heures).
Le terme de la négociation est la signature, ou non, d’un compromis qui aura rapproché des points de vue différents. C’est le but même de la négociation. Mais il convient de s’assurer que l’éventuel accord recueille bien l’acceptation majoritaire des partenaires. Les réflexions actuelles semblent aller vers ce que l’on appelle des accords majoritaires, mais il faut rappeler que la majorité mesurée ne correspond à rien, notamment au niveau national (voire fédéral). Seule la « mesure » au niveau de l’entreprise représente réellement le poids des acteurs. Le législateur doit traduire un accord social acceptable en terme législatif, mais il doit, pour rester le plus neutre possible, se cantonner à des accords cadres.
En règle générale, les conclusions d’un accord sont respectées. Mais il est nécessaire d’aborder deux points. a) Il appartient aux seuls signataires de constituer les éventuelles « commissions d’application » qui figurent dans certains accords. Comment peut-on imaginer que des « adversaires » déclarés au compromis puissent favoriser une application maximum des clauses d’un accord ? Et pourtant, ceci existe quasiment dans toutes les entreprises, notamment celles du secteur public. b) A partir du moment où un accord majoritaire est signé, il devient impératif que pour la durée de l’accord et pour les points qui ont fait l’objet de cet accord, une paix sociale soit assurée. La loi doit le spécifier et s’imposer à tous les acteurs, signataires ou pas. (Exemple : un accord salarial majoritaire pour deux ans implique illégalité d’un arrêt de travail pour un motif salarial pendant deux ans. Aujourd’hui, en l’absence d’une telle règle, un syndicat peut signer un accord prévoyant une revalorisation salariale de 2% et engager, dès le lendemain, une action pour obtenir les 3% qu’il réclamait).
Malgré une opposition "Maginot", il semble que les positions des uns ou des autres soient bien orientées, mais insuffisantes pour déboucher sur une nette amélioration des relations sociales. Il s’agit aussi de rappeler que d’autres chantiers sont possibles pour « imposer » une meilleure implication syndicale dans le domaine économique : la participation pouvant aller jusqu’au partage de la responsabilité au sein des entreprise (cogestion, copropriété des entreprises grâce à l’actionnariat), l’intégration des acteurs sociaux à la vie économique, notamment par un renforcement du rôle des CES (rappelons-nous des propositions révolutionnaires du Général de Gaulle en 1969 sur la réforme du Sénat !).
[1] Ces listes doivent, dans un premier temps, appeler les électeurs à ne pas voter au premier tour. Si le quorum n’est pas atteint, il est alors procédé à un deuxième tour auquel peuvent se présenter tous les candidats sans aucune contrainte d’appartenance syndicale.
Le système actuel
date d’il y a 50 ans :
la loi du 11 février 1950 a décidé des critères de représentativité des
syndicats pour signer un accord collectif et l’arrêté du 31 mars 1966 a
désigné les 5 confédérations représentatives (la CGT, la CFDT, FO, la
CFTC et la CGC). La Fonction publique, depuis la loi Perben de décembre
1996, s’est alignée sur le secteur privé en matière de règles de
représentativité. Et c’est toujours en vertu des textes de 1950 et 1966
que le Conseil d’Etat a rejeté, en 2004 la demande de l’UNSA de faire
partie des organisations les plus représentatives. Or le paysage
syndical a changé, de nouveaux syndicats ont vu le jour (groupe des 10,
syndicats SUD, UNSA). |