Prix
Nobel de littérature en 1970, l'auteur de "l'Archipel du goulag" et du
"Pavillon des cancéreux" est décédé à l'âge de 89 ans. Condamné à huit
ans de travaux forcés pour avoir critiqué Staline et déchu de sa
nationalité soviétique, il avait été contraint à l'exil avant de pouvoir
faire un retour triomphal en Russie en 1994.
Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel de littérature en 1970 et auteur de
"L'Archipel du goulag", est mort dans la nuit de dimanche 3 à lundi 4
août, à l'âge de 89 ans. Auteur d'une œuvre fondée sur l'expérience du
totalitarisme, notamment d'une série d'ouvrages faisant le récit des
horreurs des camps soviétiques, l'écrivain russe a longtemps été
considéré comme l'incarnation de la dissidence.
Alexandre Soljenitsyne, qui vivait près de Moscou, est décédé dimanche
soir d'une insuffisance cardiaque, a annoncé tôt lundi matin son fils
Stepan, interrogé par l'Associated Press.
Exil
Condamné lui-même à huit ans de travaux forcés dans les goulags pour
avoir critiqué Staline, déchu de sa nationalité soviétique, il fut
contraint de s'exiler en Occident et publia nombre de ses œuvres à
l'étranger: "Le Premier Cercle", "Le Pavillon des cancéreux",
"L'Archipel du goulag" (1973) ou encore "La Roue rouge". Après 20 années
d'exil, il fit un retour triomphal dans son pays en 1994.
Né le
11 décembre 1918 à Kislovodsk (Russie), Alexandre Issaïevitch
Soljenitsyne passe son enfance à Rostov-sur-le-Don, au sud de la Russie,
où il fait des études de sciences et de lettres, avant d'être mobilisé
pendant la seconde guerre mondiale et de servir comme capitaine
d'artillerie.
Complot
antisoviétique
Dans les dernières semaines de la guerre, en 1945, il est arrêté puis
condamné aux camps de travail pour complot antisoviétique, après avoir
écrit -selon ses propres dires- "certaines remarques irrespectueuses"
sur Staline, surnommé "l'homme à la moustache", dans une lettre à un
ami. Soljenitsyne y laissait entendre que le gouvernement de l'URSS et
Staline lui-même portaient une plus grande responsabilité que Hitler
dans les ravages causés par la guerre au peuple soviétique.
Il
passera sept ans dans un camp de travail dans les steppes interdites du
Kazakhstan, puis trois ans en exil intérieur en Asie centrale. Il
relatera son expérience du goulag -abréviation soviétique du système des
camps de travail, un terme qu'il contribuera à faire connaître dans le
monde entier- dans un court roman, "Une journée d'lvan Denissovitch",
dont Khrouchtchev lui-même autorise la parution en 1962 dans le but
évident de prendre ses distances avec les abus de la période
stalinienne. Cet ouvrage lui confère rapidement la notoriété.
Harcèlement
Toutefois, après l'éviction de Khrouchtchev en 1964, Soljenitsyne est
victime d'une campagne de harcèlement de la part du KGB et de
dénigrement de la part de ses pairs qui l'expulsent de l'Union des
écrivains soviétiques. Mais il continue à écrire tout en gagnant sa vie
comme professeur de mathématiques dans la ville provinciale de Riazan.
Il
obtient le prix Nobel de littérature en 1970, alors que sa carrière
littéraire débute à peine. Il ne sera pas autorisé à se rendre à
Stockholm pour y recevoir son prix. Finalement déchu de sa nationalité,
il s'exile d'abord en Suisse puis aux Etats-Unis.
Ce
n'est que trois ans après son prix Nobel qu'il commence à publier à
Paris en 1973 sa célèbre trilogie de "L'Archipel du goulag", immense
fresque du système concentrationnaire en URSS remontant aux premières
années de la révolution bolchevique.
Etat de
choc
Cette trilogie laissera nombre de lecteurs en état de choc devant la
sauvagerie de l'Etat soviétique sous la dictature de Staline. Elle
contribuera également à effacer les persistants relents de sympathie
pour l'Union soviétique parmi de nombreux intellectuels de gauche,
notamment en Europe.
L'Occident lui ouvre grand les bras, lui accorde asile et accolades. Le
dissident s'installe avec sa femme Natalia et ses trois fils dans la
petite ville de Cavendish, dans le Vermont. Il y séjournera 18 ans au
cours desquels il publiera une saga de l'histoire russe en plusieurs
volumes, intitulée "La Roue rouge", une série qu'il considère comme
l'œuvre de sa vie.
Mais
Soljenitsyne n'hésitera pas, non plus, à heurter ses nouveaux amis de
l'Ouest en critiquant, dans son célèbre discours de 1978 à l'Université
de Harvard, la culture occidentale pour sa faiblesse et sa décadence.
Décadence
occidentale
Finalement, en 1990, le dernier président soviétique Mikhaïl Gorbatchev
restitue à Soljenitsyne sa citoyenneté et lève les accusations de
trahison pour lesquelles il avait été condamné. Cela permet à l'écrivain
de faire un retour triomphal dans son pays en 1994. Arrivé par
l'Extrême-Orient russe le 27 mai, il effectue un long voyage en train de
56 jours à travers la Russie afin de se réacclimater à son pays natal.
Il s'installera finalement dans une maison en briques rouges avec vue
sur la Moskva, dans un faubourg ouest de la capitale.
Toutefois, par la suite, il ne cachera pas sa contrariété et sa
déception en constatant que la plupart de ses compatriotes n'ont pas lu
ses livres.
Résistance
Au cours des années 90, ses positions nationalistes, sa foi profonde en
la religion orthodoxe, sa vision de la Russie comme bastion de
l'orthodoxie chrétienne et comme lieu d'une culture et d'une destinée
uniques, son dédain du capitalisme et son dégoût des magnats russes qui
ont mis la main sur les industries et les ressources du pays après
l'effondrement de l'Union soviétique se sont trouvés en décalage avec
les opinions en cours dans son pays. Il s'éloignera peu à peu de la vie
publique.
Le
président français Nicolas Sarkozy lui a rendu hommage en saluant "l'une
des plus grandes consciences de la Russie du XXe siècle", "une figure
romanesque, héritière de Dostoïevski" qui "appartient au Panthéon de la
littérature mondiale", une incarnation de la "dissidence" et de la
"résistance à l'oppression".
Depuis la mort de l'écrivain égyptien en 2006, Soljenitsyne était le
plus vieux prix Nobel de littérature encore en vie. Sa femme et ses
trois fils vivent toujours aux Etats-Unis. |