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Le Premier président de la
Cour des comptes jette un regard plutôt critique sur l'un
des grands chantiers de Nicolas Sarkozy. S'il y a urgence à
réformer l'État, il faut, selon lui, mettre l'accent sur la
pédagogie et surtout définir les contours de
l'administration de demain. Philippe Séguin (photo ci-après)
s'interroge aussi sur la notation des ministres, le futur
contrôle de l'Élysée et confirme la suppression prochaine de
plusieurs chambres régionales des comptes.
La
Cour des comptes est-elle suffisamment associée à la réforme de
l'État en cours ?
Ne confondons pas les
corps d'inspection, comme l'inspection générale des finances ou
l'inspection générale des affaires sociales, et la Cour. Les
premiers sont des services de l'État et en assurent le contrôle
interne. Ils sont les chevilles ouvrières de la Révision
générale des politiques publiques.
La Cour des comptes n'est pas un
service de l'État. C'est une institution supérieure de contrôle,
chargée d'assurer un contrôle externe et indépendant. Elle doit
informer le citoyen et le Parlement. Elle n'a pas à être
associée à la Révision générale des politiques publiques (RGPP)
ou autres. Nous ne sommes pas à la disposition du gouvernement,
ni à ses ordres.
Néanmoins, la vocation de la Cour
est bien de contribuer par ses contrôles et ses recommandations
à améliorer la gestion publique. En ce sens, elle est au cœur de
la réforme de l'État.
Quel regard portez-vous
sur la réforme de l'État menée par le gouvernement et notamment,
sur la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ?
Aujourd'hui, il est difficile
d'apprécier : on ne sait pas vers quoi on tend. Hormis les
discours du président de la République à Nantes, le 19
septembre, et à l'occasion des vœux aux corps constitués le 11
janvier à Lille, l'information est rare, et je suis comme tout
le monde, j'attends. J'entends dire qu'on supprime des
directions, qu'on fusionne ; tout cela est très intéressant,
mais que deviennent les fonctionnaires des directions supprimées
? Dans l'immédiat, ils sont réaffectés ailleurs, donc en matière
d'effectifs de la fonction publique, on ne progresse pas.
L'exemple du service de la redevance audiovisuelle cité dans
notre rapport public annuel est à ce titre parlant.
Et puis, réformer l'État, cela ne
consiste pas seulement à manier la hache. Il y a des questions
auxquelles il faut répondre : État, quelle administration
veut-on et pour quoi faire ?
Constatez-vous une
impulsion nouvelle dans ce domaine depuis l'élection de Nicolas
Sarkozy à la présidence de la République ?
Il se passe
incontestablement des choses ; il s'agira ensuite de vérifier la
cohérence et l'efficacité des initiatives prises.
Quel jugement portez-vous
sur les opérations en cours : réforme de la carte judiciaire,
fusion entre la Direction générale des impôts et la Comptabilité
publique, fusion entre l'Anpe et l'Unedic, etc. ?
Ce sont des réformes nécessaires.
Mais là encore, une chose est de rapprocher ou de fusionner… Si
les administrations se retrouvent avec des effectifs dont elles
ne savent que faire, l'État ne gagne pas en efficacité. Et puis
ce genre de mesures ne suffit pas à faire une réforme de l'État.
La réforme de l'État a du
mal à passer auprès des agents. Est-ce que le gouvernement
communique suffisamment bien sur ce thème ?
C'était pareil au début avec la
Lolf. On a oublié qu'il fallait un gros effort de pédagogie. Et
pas seulement pour l'encadrement supérieur. Quand les agents
apprennent qu'on va réformer leur service, mais qu'ils ne savent
pas comment cela va se passer, ils sont inquiets. Sur la
substitution de la gestion par métier à la gestion par corps,
par exemple, lorsque vous demandez aux spécialistes ce que cela
signifie, on vous répond qu'on ne peut pas encore répondre… Pour
l'instant, en tant que consommateur de réforme, on a un peu de
peine à s'y retrouver.
Vous avez parlé de la Lolf,
quel bilan tirez-vous de cette réforme qui promettait une
révolution budgétaire ?
Pour donner sa pleine
mesure, la Lolf a elle-même besoin d'être accompagnée d'autres
réformes. On affiche de très beaux principes en matière de
gestion des ressources humaines mais il n'est pas encore
possible de les appliquer aujourd'hui dans la fonction publique.
Par exemple, les textes en vigueur ne permettent pas à un chef
de programme ou de service d'embaucher et de rémunérer ses
collaborateurs comme il l'entend. Cela dit, la Lolf a quand même
passé un cap et permis de véritables avancées. Elle n'aura pas
le même destin que la "Rationalisation des choix budgétaires",
cette tentative de réforme des années 1970, qui a beaucoup agité
pour échouer finalement complètement.
Les agents sont-ils assez
mobilisés ?
Certains croient qu'il suffit
d'organiser deux ou trois colloques avec des directeurs pour
mobiliser les agents. Mais c'est une erreur. Ce qu'il faut
faire, c'est s'asseoir autour d'une table avec des
fonctionnaires de catégories A, B et C et leur expliquer avec
des mots compréhensibles de quoi il s'agit. Ce n'est pas le cas
aujourd'hui...
Manque-t-il un vrai ministère
chargé de piloter la réforme de l'État ?
L'existence d'un tel
ministère n'est pas une garantie, comme l'ont montré les
expériences du début des années 1970. Désormais, c'est le
ministère du Budget qui pilote. C'est une bonne chose.
L'expérience montre que si ce n'est pas Bercy qui est aux
commandes, il n'y a pas de réforme de l'État. Parce qu'au
départ, il ne faut pas oublier que la réforme de l'État a un
coût.
Comment va s'organiser la
réforme des chambres régionales des comptes qui inquiète
beaucoup les magistrats financiers ?
Dans la mesure où la Cour des
comptes a vocation à devenir un grand organisme d'audit à
effectif égal, il faut repenser notre organisation pour répondre
à la demande. Nombre de magistrats sont inquiets car ils ne
savent pas comment les choses vont se passer, notamment en
matière statutaire. Moi, je n'en sais pas plus ; j'attends la
décision du président de la République à qui j'ai remis des
propositions et leur mise en musique par le Premier ministre.
Combien de chambres
régionales vont-être supprimées ?
Ce n'est pas encore décidé. Ce
qui est certain, c'est qu'il y aura moins de chambres
qu'aujourd'hui et pour qu'elles deviennent interrégionales, il
faudra, par définition, qu'elles regroupent au moins deux
régions…
La norme du remplacement
d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite vous
paraît-elle bonne ?
Si l'on procède de manière
mécanique, on risque d'avoir de gros problèmes. Dans le milieu
hospitalier par exemple, avant de supprimer des postes, il vaut
mieux se pencher sur le fonctionnement des services.
Est-ce une bonne idée de
noter les ministres et leurs politiques ?
Les ministres appliquent la
politique du gouvernement. J'imagine qu'ils n'inventent rien.
Ils agissent dans le cadre d'arbitrages interministériels et des
orientations du président de la République. Le problème est de
savoir à quoi va servir cette notation. Est-ce que tous ceux qui
sont au-dessus de la moyenne seront assurés de conserver leur
place ? Est-ce que ceux qui seront en dessous seront forcément
renvoyés ? Même s'ils représentent un allié politique dont la
présence au gouvernement est indispensable? Cela me paraît
compliqué. De manière générale, certains rêvent de tout mettre
en équation. Ils espèrent ainsi trouver la bonne solution.
Encore faudrait-il trouver la bonne équation. Je crains que ce
ne soit qu'un rêve…
Et faire appel à un
cabinet privé pour évaluer les politiques ministérielles ?
On n'a rien demandé à la
Cour et on a eu raison. Ce n'est pas notre métier. En revanche,
nous serons dans notre rôle en allant examiner les dépenses
entraînées par le recours à un auditeur privé et évaluer leur
efficience et leur efficacité. Cela dit, sur le principe, nous
ne sommes pas hostiles au recours à des cabinets privés,
auxquels nous faisons nous-mêmes appel parfois à la Cour des
comptes, mais pour des tâches bien spécifiques.
Comment se déroule le
contrôle des comptes de l'Élysée voulu par le président Sarkozy
?
Il n'a pas commencé. Nous
avons des rendez-vous programmés au lendemain des élections
municipales avec le cabinet de l'Élysée. Ce serait dénaturer la
demande du président de la République que de se contenter d'une
approche restrictive de ce contrôle… Il est vrai que tout
organisme qui n'était pas contrôlé par le passé et qui doit
l'être éprouve quelques appréhensions… À l'Assemblée nationale,
nous avons mis en place une méthode de contrôle, en concertation
avec le président Bernard Accoyer, et les choses se présentent
très bien.
Le Sénat sera-t-il aussi contrôlé
par la Cour ?
Le Sénat a ses
particularités. Il n'est pas impossible que j'aie à m'exprimer
devant les instances ad hoc du Sénat pour expliquer comment nous
pourrions envisager les choses. Ce n'est pas aussi avancé
qu'avec l'Assemblée nationale, mais il est normal que de telles
évolutions prennent du temps. C'est le président de la
République qui a impulsé le mouvement avec la demande d'un
contrôle de l'Élysée. Puis, la commission Balladur, sur mes
propositions, a repris l'idée de contrôler l'ensemble des
pouvoirs constitutionnels, c'est-à-dire l'Élysée, l'Assemblée
nationale, le Sénat et le Conseil constitutionnel. C'est une
véritable révolution !
La Cour des comptes
éprouve-t-elle encore des difficultés à faire passer son
information auprès des citoyens ?
Aujourd'hui, on diffuse
une bonne trentaine de rapports publics dont une quinzaine fait
l'objet de conférences de presse. Notre ambition est d'adopter
un langage qui concilie d'une part la précision, l'exactitude,
la fidélité à nos constats et d'autre part l'accessibilité, la
lisibilité. On a progressé, mais on est sans doute encore loin
du compte.
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