Communiqué du 21 février 2008

 

"Réformer l'État, ce n'est pas seulement manier la hache."

 
  • Le Premier président de la Cour des comptes jette un regard plutôt critique sur l'un des grands chantiers de Nicolas Sarkozy. S'il y a urgence à réformer l'État, il faut, selon lui, mettre l'accent sur la pédagogie et surtout définir les contours de l'administration de demain. Philippe Séguin (photo ci-après) s'interroge aussi sur la notation des ministres, le futur contrôle de l'Élysée et confirme la suppression prochaine de plusieurs chambres régionales des comptes.

La Cour des comptes est-elle suffisamment associée à la réforme de l'État en cours ?
Ne confondons pas les corps d'inspection, comme l'inspection générale des finances ou l'inspection générale des affaires sociales, et la Cour. Les premiers sont des services de l'État et en assurent le contrôle interne. Ils sont les chevilles ouvrières de la Révision générale des politiques publiques.

La Cour des comptes n'est pas un service de l'État. C'est une institution supérieure de contrôle, chargée d'assurer un contrôle externe et indépendant. Elle doit informer le citoyen et le Parlement. Elle n'a pas à être associée à la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ou autres. Nous ne sommes pas à la disposition du gouvernement, ni à ses ordres.

Néanmoins, la vocation de la Cour est bien de contribuer par ses contrôles et ses recommandations à améliorer la gestion publique. En ce sens, elle est au cœur de la réforme de l'État.


Quel regard portez-vous sur la réforme de l'État menée par le gouvernement et notamment, sur la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ?

Aujourd'hui, il est difficile d'apprécier : on ne sait pas vers quoi on tend. Hormis les discours du président de la République à Nantes, le 19 septembre, et à l'occasion des vœux aux corps constitués le 11 janvier à Lille, l'information est rare, et je suis comme tout le monde, j'attends. J'entends dire qu'on supprime des directions, qu'on fusionne ; tout cela est très intéressant, mais que deviennent les fonctionnaires des directions supprimées ? Dans l'immédiat, ils sont réaffectés ailleurs, donc en matière d'effectifs de la fonction publique, on ne progresse pas. L'exemple du service de la redevance audiovisuelle cité dans notre rapport public annuel est à ce titre parlant.

Et puis, réformer l'État, cela ne consiste pas seulement à manier la hache. Il y a des questions auxquelles il faut répondre : État, quelle administration veut-on et pour quoi faire ?


Constatez-vous une impulsion nouvelle dans ce domaine depuis l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République ?
Il se passe incontestablement des choses ; il s'agira ensuite de vérifier la cohérence et l'efficacité des initiatives prises.


Quel jugement portez-vous sur les opérations en cours : réforme de la carte judiciaire, fusion entre la Direction générale des impôts et la Comptabilité publique, fusion entre l'Anpe et l'Unedic, etc. ?

Ce sont des réformes nécessaires. Mais là encore, une chose est de rapprocher ou de fusionner… Si les administrations se retrouvent avec des effectifs dont elles ne savent que faire, l'État ne gagne pas en efficacité. Et puis ce genre de mesures ne suffit pas à faire une réforme de l'État.


La réforme de l'État a du mal à passer auprès des agents. Est-ce que le gouvernement communique suffisamment bien sur ce thème ?

C'était pareil au début avec la Lolf. On a oublié qu'il fallait un gros effort de pédagogie. Et pas seulement pour l'encadrement supérieur. Quand les agents apprennent qu'on va réformer leur service, mais qu'ils ne savent pas comment cela va se passer, ils sont inquiets. Sur la substitution de la gestion par métier à la gestion par corps, par exemple, lorsque vous demandez aux spécialistes ce que cela signifie, on vous répond qu'on ne peut pas encore répondre… Pour l'instant, en tant que consommateur de réforme, on a un peu de peine à s'y retrouver.


Vous avez parlé de la Lolf, quel bilan tirez-vous de cette réforme qui promettait une révolution budgétaire ?
Pour donner sa pleine mesure, la Lolf a elle-même besoin d'être accompagnée d'autres réformes. On affiche de très beaux principes en matière de gestion des ressources humaines mais il n'est pas encore possible de les appliquer aujourd'hui dans la fonction publique. Par exemple, les textes en vigueur ne permettent pas à un chef de programme ou de service d'embaucher et de rémunérer ses collaborateurs comme il l'entend. Cela dit, la Lolf a quand même passé un cap et permis de véritables avancées. Elle n'aura pas le même destin que la "Rationalisation des choix budgétaires", cette tentative de réforme des années 1970, qui a beaucoup agité pour échouer finalement complètement.


Les agents sont-ils assez mobilisés ?

Certains croient qu'il suffit d'organiser deux ou trois colloques avec des directeurs pour mobiliser les agents. Mais c'est une erreur. Ce qu'il faut faire, c'est s'asseoir autour d'une table avec des fonctionnaires de catégories A, B et C et leur expliquer avec des mots compréhensibles de quoi il s'agit. Ce n'est pas le cas aujourd'hui...

 

Manque-t-il un vrai ministère chargé de piloter la réforme de l'État ?
L'existence d'un tel ministère n'est pas une garantie, comme l'ont montré les expériences du début des années 1970. Désormais, c'est le ministère du Budget qui pilote. C'est une bonne chose. L'expérience montre que si ce n'est pas Bercy qui est aux commandes, il n'y a pas de réforme de l'État. Parce qu'au départ, il ne faut pas oublier que la réforme de l'État a un coût.


Comment va s'organiser la réforme des chambres régionales des comptes qui inquiète beaucoup les magistrats financiers ?

Dans la mesure où la Cour des comptes a vocation à devenir un grand organisme d'audit à effectif égal, il faut repenser notre organisation pour répondre à la demande. Nombre de magistrats sont inquiets car ils ne savent pas comment les choses vont se passer, notamment en matière statutaire. Moi, je n'en sais pas plus ; j'attends la décision du président de la République à qui j'ai remis des propositions et leur mise en musique par le Premier ministre.


Combien de chambres régionales vont-être supprimées ?

Ce n'est pas encore décidé. Ce qui est certain, c'est qu'il y aura moins de chambres qu'aujourd'hui et pour qu'elles deviennent interrégionales, il faudra, par définition, qu'elles regroupent au moins deux régions…


La norme du remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite vous paraît-elle bonne ?

Si l'on procède de manière mécanique, on risque d'avoir de gros problèmes. Dans le milieu hospitalier par exemple, avant de supprimer des postes, il vaut mieux se pencher sur le fonctionnement des services.


Est-ce une bonne idée de noter les ministres et leurs politiques ?

Les ministres appliquent la politique du gouvernement. J'imagine qu'ils n'inventent rien. Ils agissent dans le cadre d'arbitrages interministériels et des orientations du président de la République. Le problème est de savoir à quoi va servir cette notation. Est-ce que tous ceux qui sont au-dessus de la moyenne seront assurés de conserver leur place ? Est-ce que ceux qui seront en dessous seront forcément renvoyés ? Même s'ils représentent un allié politique dont la présence au gouvernement est indispensable? Cela me paraît compliqué. De manière générale, certains rêvent de tout mettre en équation. Ils espèrent ainsi trouver la bonne solution. Encore faudrait-il trouver la bonne équation. Je crains que ce ne soit qu'un rêve…


Et faire appel à un cabinet privé pour évaluer les politiques ministérielles ?
On n'a rien demandé à la Cour et on a eu raison. Ce n'est pas notre métier. En revanche, nous serons dans notre rôle en allant examiner les dépenses entraînées par le recours à un auditeur privé et évaluer leur efficience et leur efficacité. Cela dit, sur le principe, nous ne sommes pas hostiles au recours à des cabinets privés, auxquels nous faisons nous-mêmes appel parfois à la Cour des comptes, mais pour des tâches bien spécifiques.


Comment se déroule le contrôle des comptes de l'Élysée voulu par le président Sarkozy ?
Il n'a pas commencé. Nous avons des rendez-vous programmés au lendemain des élections municipales avec le cabinet de l'Élysée. Ce serait dénaturer la demande du président de la République que de se contenter d'une approche restrictive de ce contrôle… Il est vrai que tout organisme qui n'était pas contrôlé par le passé et qui doit l'être éprouve quelques appréhensions… À l'Assemblée nationale, nous avons mis en place une méthode de contrôle, en concertation avec le président Bernard Accoyer, et les choses se présentent très bien.

 

Le Sénat sera-t-il aussi contrôlé par la Cour ?
Le Sénat a ses particularités. Il n'est pas impossible que j'aie à m'exprimer devant les instances ad hoc du Sénat pour expliquer comment nous pourrions envisager les choses. Ce n'est pas aussi avancé qu'avec l'Assemblée nationale, mais il est normal que de telles évolutions prennent du temps. C'est le président de la République qui a impulsé le mouvement avec la demande d'un contrôle de l'Élysée. Puis, la commission Balladur, sur mes propositions, a repris l'idée de contrôler l'ensemble des pouvoirs constitutionnels, c'est-à-dire l'Élysée, l'Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil constitutionnel. C'est une véritable révolution !


La Cour des comptes éprouve-t-elle encore des difficultés à faire passer son information auprès des citoyens ?
Aujourd'hui, on diffuse une bonne trentaine de rapports publics dont une quinzaine fait l'objet de conférences de presse. Notre ambition est d'adopter un langage qui concilie d'une part la précision, l'exactitude, la fidélité à nos constats et d'autre part l'accessibilité, la lisibilité. On a progressé, mais on est sans doute encore loin du compte.