C'est l'estimation de Jacques Sapir. Selon
l'économiste, l'impact sur l'emploi du libre-échange inégal
représenterait au moins la moitié des 8,3% de chômage constatés
avant la crise. Sans compter les 2 millions de nouveaux chômeurs
constatés depuis le début de l'année, victimes directes d'une
crise du libre-échangisme.
Taux
de chômage en Europe en janvier 2009
L’impact de la crise actuelle vient s’ajouter à
la pression des délocalisations qui pèse sur l’industrie
française depuis maintenant à peu près une dizaine d’années.
L’évaluation précise du coût en emploi de cette pression, issue
du libre-échange dans les conditions présentes, soulève
plusieurs difficultés.
En effet, tout d’abord il faut savoir qu’un
emploi dans l’industrie a un impact direct sur des emplois dans
les services, ce qui est toujours vérifié lors de plans sociaux
industriels importants. Mesurer l’impact des délocalisations
uniquement sur les emplois industriels sous estime
considérablement l’impact total sur l’emploi.
Ensuite, il faut prendre en compte le fait que dans le processus
de délocalisation on doit compter trois effets distincts mais
qui viennent se cumuler.
1)
Les
délocalisations directes
Il s’agit ici d’emplois déjà existants dans un pays et
transférés dans un autre pays (en général par fermeture de
l’usine dans le pays d’origine). On considère de manière
générale que ces délocalisations ont affecté environ1,5% des
emplois industriels en France soit à peu près 0,5% de la
population active.
2)
Les
délocalisations indirectes
Il s’agit ici de la création délibérée d’emplois à l’étranger
pour servir non pas le marché local mais pour la réexportation
vers le pays d’origine. On est en présence de ce phénomène quand
une grande entreprise conçoit un nouveau produit et en réalise
l’industrialisation d’emblée dans un pays à faibles coûts
salariaux et ce à but de ré-export. Cette pratique est devenue
systématique dans l’industrie automobile depuis une dizaine
d’année.
Il y a là un
« manque à employer » plus qu’une destruction directe d’emploi,
et on peut le chiffrer dans le cas de la France entre 250 000 et
400 000 emplois, suivant les hypothèses de productivité, soit
entre 1% et 1,6% de la population active.
3)
L’effet dépressif sur le marché
intérieur
La menace des délocalisations et le chantage auquel se livrent
les entreprises ont conduit à maintenir les salaires dans
l’industrie à un niveau très faible et à exercer une pression
croissante sur les salariés. La faiblesse des revenus tend à
déprimer la consommation et donc la demande intérieure.
La pression sur
les salariés, pour que les gains de productivité compensent les
gains possibles en bas salaires, est une des causes principales
du stress au travail et des maladies qui en sont induites. Faute
d’une enquête épidémiologique systématique en France, le coût de
ces maladies n’a pas été globalement estimé. Pour des pays comme
la Suisse ou la Suède, où des enquêtes systématiques ont été
réalisées, on arrive à 3% du PIB. En France, ceci signifierait
près de 60 milliards d’Euros, qu’il faut comparer aux 15
milliards du déficit de la sécurité Sociale. Il est clair que si
les gains salariaux avaient pu suivre ceux de la productivité,
et si l’on avait pu économiser ne serait-ce que 1% du PIB en
cotisations tant salariées que patronales, on aurait eu un
impact très fort de ce surcroît de pouvoir d’achat sur la
croissance. On peut alors estimer à 1% de la population active
au minimum le gain en emploi (ou la réduction du chômage) que
l’on aurait pu obtenir. Cependant, ce gain est global et ne
concerne pas uniquement l’emploi industriel.
La combinaison des effets indique que la pression du
libre-échange coûte environ 2% de la population active en
emplois industriels perdus ou non créés. Ceci correspond
probablement à une perte globale (avec l’effet multiplicateur
habituel de l’emploi industriel sur l’emploi global) de 3% à
3,5% de la population active. À cela, il faut donc ajouter un
minimum de 1% de la population active, perdu en raison de
l’effet dépressif direct et indirect.
Alors qu’avant la crise le taux de chômage en France était de
8,3%, l’effet net du libre-échange représenterait ainsi au moins
la moitié de ce taux (4% à 4,5% de la population active). Le
libre-échange et l’impact des politiques prédatrices hors et
dans l’UE n’est pas le seul facteur. La hausse de l’Euro est
aussi un élément qui induit une perte d’emplois non négligeable.
Il faut de plus souligner
l’aspect dynamique du chômage ou du retour à l’emploi
Un taux de chômage qui aurait été ramené à 4,3% signifie
immédiatement un équilibre des comptes sociaux (voir un excédent
pour certains d’entre eux). Non seulement le budget de l’État
n’a plus à contribuer au financement des caisses mais les
cotisations peuvent être réduites ou les prestations améliorées.
Ceci signifie une injection supplémentaire de pouvoir d’achat
(salaires et profits) se traduisant par une consommation et un
investissement plus élevés, et donc un niveau d’activité
nettement supérieur, qui tend aussi à faire reculer le chômage.
Compte tenu de l’effet dynamique d’une réduction du chômage par
élimination des effets du libre-échange, un taux de chômage de
3% à 3,5% apparaît comme plausible, soit, par rapport à 2007 un
gain de 4,8% à 5,3% de la population active. Le chômage aurait
été entre 36% et 42% de ce qu’il a été. Inversement on peut donc
affirmer que le coût total du libre-échange, en incluant les
effets induits et dynamiques, a été d’accroître le taux de
chômage de 138% à 177% suivant les hypothèses de gain de
productivité et d’effet multiplicateur.
On doit ajouter que cette évaluation est sans doute un peu
excessive car elle suppose implicitement que les emplois créés
eussent pu être occupés aux niveaux de qualification nécessaires
sans engendrer de poussée inflationniste. Une telle hypothèse
suppose en réalité une politique de formation très agressive et
très efficace, comme on a pu en voir dans des pays d’Europe du
Nord mais pas en France. L’existence d’un probable biais
inflationniste réduirait alors l’impact positif de l’effet
dynamique de la réduction du chômage. Hors effet du
libre-échange, le taux de chômage se serait sans doute stabilisé
vers 4% - 4,5%, ce qui n’en aurait pas moins été un résultat
bien meilleur à celui de l’évolution réelle.
Un autre élément dont on doit tenir compte, mais qu’il est
difficile de simuler sauf à se livrer à un exercice très
détaillé, est l’impact de ces créations d’emplois sur des
bassins industriels régionaux. L’existence d’un impact régional
dans les bassins traditionnels des industries ayant subies des
effets de délocalisation est indiscutable, mais ne peut être
discuté avec précision au niveau de généralité de la présente
présentation.
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