Communiqué du 24 mai 2005
retour à l'accueil

 

Europe : La  France doit-elle disparaître ?

 

Texte de Charles Saint-Prot

Essayiste, géopoliticien. Auteur de La pensée française, pour une nouvelle Résistance (Éditions l’Age d’homme)

Tout au long de la campagne référendaire, il est notable que, à de trop rares exceptions, les hommes politiques n’ont pratiquement jamais parlé de la France. Pourtant, l’enjeu du scrutin concerne en premier chef l’avenir de la France en tant que nation indépendante et souveraine puisqu’il est question de l’adoption ou du rejet d’un  traité à caractère constitutionnel visant à renforcer les structures d’un super-Etat européen au détriment des prérogatives des Etats-nations. En effet, le traité constitutionnel vise à se livrer à un tour de passe-passe en créant pour « un peuple européen » virtuel un nouvel Etat, en réalité la bureaucratie bruxelloise,  qui recevra la personnalité juridique (article I-7), imposera un droit supérieur aux droits des Etats (article  I-6) et reprendra à son compte les compétences des Etats nationaux. Longtemps, la construction européenne s’était avancée masquée, ses sectateur affirmant qu’il ne s’agissait que de créer une  « Europe des nations ». Désormais le masque est tombé et il est clair que l’objectif est de créer un Etat européen, ce qui signifie, tout simplement, la fin programmée des Etats-nations. Par conséquent, la fin des nations.

Ce qui est proposé aux Français est un marché de dupe, il s’agit de lâcher la proie pour l’ombre en leur faisant miroiter l’idée d’une Europe puissance, capable d’équilibrer les Etats-Unis d’Amérique. Or, cette construction européenne s’inscrit dans l’idéologie ultra-libérale des Etats-Unis, elle tend à l’effacement du modèle social de nombreux pays européens, notamment la France, fondé sur la prise en compte du bien commun, la prédominance de  l’intérêt général sur les intérêts particuliers ou féodaux, le rôle des  services public, la justice sociale.

Construite sur le modèle états-unien cette Europe ne sera pas une puissance indépendante. Bien au contraire, elle affichera un véritable alignement sur les Etats-Unis puisqu’elle devrait conduire une  « politique commune de sécurité et de défense » arrêtée dans le cadre de l'OTAN (article I-41-2), c'est-à-dire de l’organisation militaire qui est le bras armé de l’hégémonie états-unienne. Le Général De Gaulle ne s’y trompait pas lorsqu’il s’opposait  à la construction d’une Europe fédérale, dans laquelle il ne voyait, qu’une «Europe sous commandement américain». Il est d’ailleurs notable que George Bush s’est prononcé en faveur du traité constitutionnel. A cet égard, il est significatif que le candidat pressenti au poste de ministre des affaires étrangères de l’Union européenne soit l’ancien secrétaire général de l’OTAN. Dans ces conditions, la France perdrait sa faculté de conduire une diplomatie indépendante, laquelle est fort appréciée des peuples du monde, comme cela a été démontré lorsqu’elle a refusé la guerre contre l’Irak et que le ministre des affaires étrangères français a été applaudi par l’Assemblée générale des Nations unies.

Moins protégé car livré aux excès de l’ultralibéralisme qui multiplie les chômeurs,  moins Français puisque noyé dans une sorte de sous-empire artificiel où la voix de la France ne se fera plus entendre, le peuple français sera également moins libre. En effet, les Français perdront leur citoyenneté réelle au profit d’une fausse citoyenneté européenne (article I-10) qui leur conférera ni plus ni moins que l’ancien statut des assujettis de l’empire romain ou de l’empire ottoman. A terme, ils seront même menacés de perdre leur langue, tant il est vrai que le super-Etat tendra vers un idiome  unique  dont nous savons bien qu’il sera l’anglo-américain.

De fait, ce qui est proposé est la constitution d’un empire, artificiel et totalitaire comme l’ont toujours été les empires. Le refrain est connu, il s’agirait de former un vaste ensemble qui serait plus fort et plus dynamique. C’est l’obsession du quantitatif qui anime les zélateurs de l’Etat européen nouveau, lesquels oublient que l’une des plus grandes civilisations de l’humanité est née et a prospéré autour des petits Etats grecs. Au faîte de sa puissance, Athènes ne s’étendit jamais sur plus de 3000 km2 et pourtant elle a donné au monde la perfection. Le général de Gaulle a démontré que la France est infiniment plus grande qu’elle-même lorsqu’elle parle aux peuples du monde et fait entendre la voix de la dignité et de l’indépendance face aux vieux rêves d’empire. A vrai dire, la France n’est jamais seule lorsqu’elle reste fidèle à une certaine idée de sa mission universelle.

L’actuelle construction européenne n’est pas le commencement d’une « grande aventure », mais tout simplement l’accélération d’un processus de dissolution des nations et des peuples pour façonner autre chose. On l’aura compris, l’enjeu du referendum n’est pas de se prononcer pour ou contre le gouvernement, pour ou contre le lundi de Pentecôte, sur l’avenir du parti socialiste ou celui de tel ou tel candidat à la présidence de la République, sur la  recomposition du paysage politique français ou encore sur  les intérêts catégoriels des uns ou des autres. La seule question à laquelle les Français doivent répondre est la suivante : la France doit-elle disparaître ? Et cette question n’appelle qu’une seule réponse : NON.