La cohabitation ou le retour de la 4ème République

Février 2002

Il ne se passe une journée sans que les médias et les partis politiques s’emparent de leur thème favori : la cohabitation.

Tout le monde la critique, mais chacun l’accepte, laissant penser qu’en réalité il n’y a pas de différence entre le Président de la République J. CHIRAC et son Premier Ministre L. JOSPIN.

Qui a inventé la cohabitation ? Est-ce un vice de fabrication de nos institutions, est-ce une application perverse de ces dernières ?

Il est pourtant indéniable que le fondateur de la 5ème République n’a pu envisager, un instant, une telle dérive.

 

Remontons à 1966.

Après le Conseil des ministres du 5 janvier, Alain Peyrefitte, nouveau Ministre de la recherche scientifique et des questions spatiales et atomiques » pose une question au Général (après l’élection présidentielle de décembre 65) : « Vous ne dissoudriez pas l’assemblée ?

CdG – "Pourquoi grands dieux ? »

Alain Peyrefitte propose une assemblée neuve, élue dans la foulée, permettant une tranquillité pour cinq ans. Ainsi des réformes de fond pourraient être menées.

CdG – "Je m’en garderai bien. Pour plusieurs raisons. D’abord, personne ne comprendrait cette dissolution. Comment la justifier devant l’opinion ? Cette assemblée a soutenu mon programme sans faiblesse, et je la renverrais dans ses foyers ? Ce serait absurde. Ce serait immoral." Et de Gaulle de préciser que seul un conflit entre l’exécutif (particulièrement le Président) et le parlement peut exiger le recours au peuple souverain.

"Ensuite, poursuit-il, parce que cette dissolution ferait coïncider les deux mandats. Elle ferait naître l’idée que le mandat présidentiel a besoin d’être validé par un vote législatif."

Puis il aborde le problème de la moralité politique.

CdG- "Enfin, parce que ces élections législatives, aujourd’hui, rien ne prouve que nous les gagnerions. Et si nous les perdions, je n’aurais plu qu’à m’en aller … quel homme serais-je, si je m’accrochais alors que le peuple me désavoue ? De quelle autorité disposerais-je ?"

Dans la suite de cette discussion, abordant le cas d’une élection législative destinée à renouveler la mandature arrivée à terme, et en cas d’une assemblée opposée au Président, le fondateur de la Vème république précise : « Le président doit pouvoir se tirer d’affaire, en remaniant son Gouvernement avec des personnalités indépendantes, des commis de l’Etat … et en mettant l’Assemblée au défi de le renverser… C’est seulement s’ils votent la censure que la dissolution devra intervenir. » Et dans ce cas là ? "- Eh bien, si je perds, je partirai".

 

Sa position est claire, limpide et frappée du bon sens.

De cet entretien, il faut retenir 3 points essentiels :

1 – L’Assemblée Nationale ne doit être dissoute que si elle est en conflit avec l’exécutif, c'est-à-dire le gouvernement et le Président de la République. De cette première règle, nous pouvons déduire que, pour le Général de Gaulle, l’exécutif est un et indivisible. Il y a une tête, il y a une seule voix.

En 1997, Chirac*, ex-ministre du Général de Gaulle, dissout l’Assemblée qui le soutient. Pourquoi ?

*Charles Pasqua condamne la cohabitation qu’il qualifie de « figure emblématique » du naufrage de nos institutions.

« Qui plus est, Chirac l’a fait dans la moins gaulliste des configurations : cohabitation longue après dissolution de l’Assemblée et défaite de la majorité présidentielle. »

Charles Pasqua (« Non à la décadence » - 11/2001)

2 – Il est impensable de faire coïncider les deux élections, au risque d’amoindrir le rôle du Président en le liant aux partis représentés à l’Assemblée. Ce serait un retour aux délices de la 4ème république. En 2002, après un accord de fond entre Giscard (Il est responsable du départ de Charles de Gaulle en 69), Chirac (Il a aidé Giscard en 74, contre Chaban-Delmas, pour une place de Premier Ministre) et Jospin (Position connue des socialistes contre la constitution, sauf quand Mitterrand était au pouvoir), les élections Présidentielles et législatives coïncideront et cette organisation sera pérennisée par l’adoption du mandat présidentiel à 5 ans.

3 – Suite à une dissolution de l’Assemblée, si le Président est désavoué, il doit en tirer la seule conclusion compatible avec la moralité politique.

De la dissolution manquée de 1997, Chirac n’a rien retenu, sinon le contraire de l’enseignement qu’il a eu l’honneur de recevoir du créateur de la 5ème république.

La cohabitation que nous subissons est donc une dérive et une trahison de la constitution.

Chirac a quitté le navire du Gaullisme, et il le prouve tous les jours. En fait de cohabitation, en réalité, ce n’en est pas une. Si elle est vivable de l’intérieur, c’est tout simplement parce que, sur le fond, il n’existe pas de différence fondamentale entre Chirac et Jospin.