Communiqué du 19 juin 2008

 

Le nouveau Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale                                                                         par Pierre Pascallon

 

 

Nous nous attachons à présenter ci-après une analyse aussi objective que possible du "nouveau" Livre Blanc, en montrant tout à la fois la continuité et la nouveauté de cette réflexion.

On sera amené à préciser notre position personnelle sur les volets "défense européenne" et "OTAN" et, sur ce dernier point en particulier, on développera les arguments qui nous paraissent militer pour en rester à la position du Général de Gaulle de 1966.

On invite dès maintenant celles et ceux qui s'intéresseraient plus spécialement à ces questions à s'inscrire à notre colloque sur ces thèmes, sous l'égide du "Club Participation et Progrès", à l'Ecole Royale Militaire, à Bruxelles, le 20 octobre 2008 (e-mail : Club.Participation-Progres@wanadoo.fr)" ;

par

Pierre PASCALLON

Professeur Agrégé de Faculté

Président du Club « Participation et Progrès »

 

Le nouveau Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale :

aller plus loin encore pour la protection du territoire

 

On sait que notre pays, sous la Vème République, a pris l’habitude, tous les 10-15 ans, d’exposer les grandes orientations de sa politique de défense dans le cadre de Livres Blancs. Ainsi avons-nous eu un premier Livre Blanc sur la Défense Nationale en 1972, publié par Michel Debré, sous la Présidence de Georges Pompidou. Ce premier Livre Blanc s’attachait à recueillir et à préciser les grands principes de la politique de défense que le Général de Gaulle avait définis dans les années 60. Après les changements géostratégiques de 1989-91 (chute du mur de Berlin, dissolution du Pacte de Varsovie, disparition de l’URSS), mais aussi la 1ère guerre du Golfe de 1991, il a paru indispensable à nos responsables de nous donner un nouveau Livre Blanc qui adapte notre politique de Défense à ces mutations accélérées de notre environnement européen et international. C’est le Livre Blanc sur la Défense Nationale de 1994, sous le gouvernement d’Edouard Balladur, avec l’accord du Président de la République, François Mitterrand.

Il a semblé souhaitable à Nicolas Sarkozy, après son élection à la Présidence de la République, en 2007, de mettre en chantier un « nouveau » Livre Blanc. Le Chef de l’Etat doit s’exprimer sur ce sujet le 17 juin 2008. Que faut-il en retenir compte tenu des informations qui ont commencé à filtrer sur ce document ?

I- Ce « nouveau » Livre Blanc sur la « Défense » - sous ce volet « Défense » - n’est pas aussi « nouveau » que le laissent à penser ses promoteurs. Il est, en effet, pour l’essentiel, dans cette perspective - et il n’y a pas lieu de s’en étonner - dans le prolongement des positions antérieures de notre pays en matière de politique de Défense.

• Et d’abord, pour beaucoup, ce « nouveau » Livre Blanc de 2008 est dans la continuation des positions déjà préconisées par son prédécesseur, le Livre Blanc de 1994.

-  L’analyse des menaces à prendre en compte pour demain est, en effet, très voisine dans les deux documents. Le Livre Blanc de 1994 pense qu’on n’en a pas fini, à l’avenir, avec la possibilité de menaces majeures. Et, par ailleurs, il mettait l’accent sur les nouvelles menaces extérieures asymétriques et variées dans des zones pouvant être très éloignées de l’hexagone. Le Livre Blanc de 2008 va maintenir, lui aussi, qu’on ne peut pas faire l’impasse de l’apparition ou de la réapparition, demain, de menaces lourdes et majeures. Par ailleurs, le nouveau Livre Blanc - en retenant à plein, désormais, la mondialisation en toile de fond - décrit pour l’avenir un monde gros de menaces globales, diffuses, multiples et complexes dans notre monde globalisé.

-  Mais il y a également une grande proximité de propositions pour ce qui regarde les stratégies et moyens à mettre en œuvre face à ces menaces de demain entre le Livre Blanc de 1994 et celui de 2008. Face aux menaces majeures, le Livre Blanc de 1994 réaffirmait la nécessité du maintien de la dissuasion nucléaire « gaullo-pompidolienne » comme l’ultime garantie de l’indépendance de la France et de ses intérêts vitaux. Et, face aux risques polyformes des décennies à venir, il demandait que l’on adaptât nos forces armées à ces contextes de conflits de « basse » et « moyenne » intensités, ce qui sera fait avec les décisions de Jacques Chirac, en 1996, et l’effort pour mettre en place une « armée professionnelle de projection » dans le cadre du « Modèle Armée 2015 ».

Le nouveau Livre Blanc de 2008, face au spectre des menaces de demain, propose de développer des capacités et des moyens dans le même esprit que celui de 1994. Avec, bien sûr, encore et toujours, la volonté affichée de maintenir la dissuasion nucléaire comme « l’assurance vie » de la nation face aux menaces majeures lourdes et incertaines de l’avenir. Et, face aux dangers émanant des tendances à l’asymétrie généralisée de notre monde global, le nouveau Livre Blanc va afficher la nécessité de continuer à avoir, demain, un outil militaire « classique » aussi efficace et crédible que possible, dans le cadre de contraintes budgétaires fortes (même si on assure vouloir consacrer 2% du PIB à la Défense), avec une réforme - comme en 1996 - qui nécessitera des réductions drastiques au niveau des hommes, des structures et des équipements. Nous aurons, dans les prochaines semaines, déjà une idée un peu plus nette de notre nouveau modèle d’Armée « reformaté », tout cela devant être traduit et précisé dans la prochaine Loi de Programmation Militaire 2009-2013.

• Mais ce nouveau Livre Blanc de 2008 s’inscrit bien également, de façon plus large, dans la perspective de la politique de défense contemporaine de la France sous la Vème République. Depuis les années 60-70, notre pays s’attache, en effet, à garder au mieux son indépendance et sa sécurité - avec sa dissuasion nucléaire stratégique propre - tout en coopérant autant que possible - solidairement avec ses alliés - à la sécurité et à la défense de l’Europe et de l’Occident, voire du monde. C’est aussi dans cet esprit - pour en rester à la dernière Présidence , celle de Jacques Chirac - que le locataire d’alors de l’Elysée n’a cessé de chercher - sous ses différents mandats - à concilier au mieux à la fois la poursuite d’une philosophie gaullienne de la singularité nationale - avec toujours l’appui de la dissuasion nucléaire stratégique nationale - et la contribution active de notre pays à la maturation de la construction européenne - mise sur pied, autant que faire se peut, de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) au Sommet de Saint-Malo - et la gestion des nécessités découlant d’une coopération transatlantique incontournable en faisant revenir de plus en plus la France parmi les « bons élèves » de l’OTAN. Et le nouveau Livre Blanc, sans surprise - compte tenu des positions affichées par le nouveau Président Sarkozy, de ce qu’il souhaite faire durant la Présidence française de l’UE - continue à plaider - on l’a déjà perçu - pour la défense et l’indépendance de la France et de ses intérêts vitaux - avec le maintien de la force de dissuasion nationale -, tout en poursuivant - les deux démarches sont liées dans l’esprit du Chef de l’Etat - la construction encore plus active de la « défense européenne » et la rénovation de notre relation avec l’Alliance Atlantique avec notre réintégration, dès lors qu’on nous ferait désormais toute notre place, dans toutes les structures militaires intégrées de l’OTAN.

II- Mais ce serait une présentation erronée et déformée du « nouveau » Livre Blanc que de le situer uniquement dans le prolongement du « corpus » de notre politique de défense, remarquablement stable, on l’a perçu ainsi depuis des décennies jusqu’à nos jours… et au-delà… Ce « nouveau » Livre Blanc sur « la Défense et la Sécurité Nationale » - en s’adjoignant désormais l’éclairage « Sécurité » - innove en partie et il y a bien - sous cet aspect des choses - dépassement (et pas seulement prolongement) des positions antérieures de la France en matière de politique de Défense.

• Au vrai, la politique de Défense contemporaine de la France n’a jamais occulté les problèmes de « Sécurité » et de « Protection du territoire ». Dès le Général de Gaulle et le Livre Blanc de 1971, on affichait la volonté d’une défense complète, capable de couvrir toutes les menaces et tous les dangers (mise sur pied d’une « Défense Opérationnelle du Territoire » [DOT]). Pareillement, le Livre Blanc de 1994 avait pris en compte les menaces que faisaient courir, et feraient courir plus encore demain, le terrorisme, la prolifération nucléaire, rendant plus indispensable encore que hier la « sécurité » du territoire lui-même et de sa population. Reste, bien sûr, que l’on va avoir - de 1994 à 2008 - ce que l’on sait, c’est-à-dire l’irruption de l’hyperterrorisme des attentats du 11 septembre 2001, les attaques possibles de toutes sortes, y compris nucléaires, biologiques et chimiques et, de façon plus large, de toutes les menaces asymétriques d’aujourd’hui et de demain, sans oublier les mutations à prévoir dans les dangers et les défis autour des conflits engendrés par les pénuries de nourriture, d’eau et d’énergie, les changements de conditions climatiques et météorologiques d’un monde globalisé qu’on peut craindre voir devenir de plus en plus instable et risqué.

On comprend, dans ces conditions, que les membres de la Commission chargée de l’élaboration de l’actuel Livre Blanc de 2008 entendent, mieux encore que par le passé,  prendre en compte ces nouvelles menaces diffuses se situant de plus en plus en dehors du champ traditionnel de la Défense et s’ouvrent donc sur la nécessité d’une nouvelle approche, plus globale en termes de Défense et de Sécurité. C’est, en effet, la première fois que, dans l’intitulé d’un Livre Blanc, on a tenu - on le prônait depuis longtemps[1] - à associer « Défense » et « Sécurité » - Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale -, à prendre en compte, simultanément, la « Défense » - avec la notion « classique » de « Défense » essentiellement militaire qui vise à préserver la nation contre les agressions extérieures -, et la « Sécurité » - concept essentiellement civil et interne - amenant à afficher une priorité forte sur la protection du territoire, fût-ce au détriment de la projection privilégiée, on s’en souvient, dans le Livre Blanc de 1994.

La vraie novation du nouveau Livre Blanc 2008 est, en effet, cet éclairage accusé mis sur la Sécurité et les préconisations qu’il fait pour une réorientation de l’outil militaire afin qu’il protège mieux, demain, les Français :

-  le Livre Blanc de 2008 prévoit, en ce sens, que quelque 10.000 soldats soient chargés de faire face aux différentes menaces sur le territoire national : terrorisme, menaces NRBC,… ;

-  le Livre Blanc réclame un renforcement des capacités de renseignement, avec la création d’un coordonnateur des services de renseignement auprès du Président de la République, d’une 5ème fonction stratégique, « connaissance et anticipation », l’augmentation, en particulier, des budgets spatiaux (efforts supplémentaires, notamment pour les satellites d’observation).

 

• Est-ce à dire que cette intégration du thème de la « Sécurité » - pour indispensable qu’elle soit -dans ce nouveau Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale ait ainsi réglé tous les problèmes ? Ce serait trop beau ! Pour certains, en effet, il aurait fallu uniquement retenir ce thème de la « Sécurité » dans ce nouveau Livre Blanc. En effet, à leurs yeux, la mondialisation a altéré la distinction séculaire entre « l’extérieur » et « l’intérieur » - il n’y a plus de frontières aux menaces -, s’est donc estompée la limite entre « Défense, sécurité extérieure » et « Sécurité intérieure ». C’est le concept général et englobant de « sécurité » - avec les conséquences organisationnelles qui en découlent - qui doit donc, pour eux, être retenu et il aurait, par suite, fallu franchir le pas et nous doter d’un nouveau Livre Blanc sur la Sécurité ou d’un nouveau Livre Blanc sur la Sécurité Nationale.

Mais on sait que les militaires - en règle générale - demeurent attachés au concept de « Défense », de « Défense Nationale », et auraient jugé inacceptable - compte tenu de leur spécificité qu’ils entendent préserver - de se retrouver dans une perspective de sécurité globale qui les aurait confondus… avec les autres éléments de cette sécurité globale : les douanes, la police ferroviaire,… !

D’où le compromis auquel on est parvenu : Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale qui - on l’a donc compris - reprend la préoccupation « Défense » traditionnelle et la renforce - pour être en adéquation avec nos temps de globalisation - du souci de « Sécurité ». Et, comme tout compromis - même au plus synthétique ; et c’est le cas -, il laisse un certain sentiment d’insatisfaction. Certes, les liaisons existent désormais entre « Défense » et « Sécurité », mais on a encore, manifestement, seulement « accolé », « juxtaposé » les deux perspectives. La perspective « Défense » est bien présente ; la perspective « Sécurité » est aussi désormais présente. Mais elle est, pour beaucoup, développée ailleurs, de façon autonome. On se souvient, en effet, que, en liaison avec l’hyperterrorisme des attentats du 11 septembre 2001, on a cherché - en parallèle à la « Défense » - à répondre à ce besoin de sécurité de nos populations. C’est, aux Etats-Unis, la « Homeland Security » ; et, chez nous, la création d’un Conseil National de Sécurité Intérieure, la création d’un Ministère de l’Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Locales, la Loi d’Orientation et de Programmation sur la Sécurité Intérieure (LOPSI) ; mais aussi et encore, l’élaboration d’un Livre Blanc sur la Défense Civile (2002), l’élaboration d’un Livre Blanc sur la Sécurité Intérieure (2006).

Aurait-on pu, aurait-on dû, aller plus loin et faire mieux encore pour articuler, mieux synthétiser, toutes les préoccupations précédentes ? Signalons au moins 2 pistes, si on avait voulu pousser l’audace plus avant :

-      envisager la création d’un seul et grand Ministère fusionnant le Ministère de la Défense et le Ministère de l’Intérieur. Le projet paraît avoir été évoqué à haute voix dans le cadre des travaux de la Commission Mallet. On comprend que la perspective d’un tel mastodonte - peut-être même d’un tel monstre - ait fait reculer les plus empressés à appuyer ce dessein ;

-      soutenir la création d’un « service citoyen national obligatoire »[2]. Le nouveau Livre Blanc va défendre, semble-t-il, l’idée d’un « service civique volontaire ». C’est bien, mais ce n’est pas assez, surtout dès lors - et c’est le cas à juste titre - qu’on entend désormais mieux prendre en compte la protection du territoire. Pour parvenir à disposer de véritables réserves opérationnelles du territoire dont notre pays manque, pour ressouder la nation qui en a grand besoin en ces temps de mondialisation, il faut absolument, en effet, mettre en place un service national malgré - on le mesure - toutes les difficultés à régler pour y parvenir. Mais, soyons-en persuadés, ce n’est pas le chemin pour « notre » service citoyen national obligatoire qui est impossible, c’est désormais l’impossible qui est le chemin.

 


[1] Cf. Pascallon (P) : « Un nouveau Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité », France-Soir, 25 juillet 2005.

[2] Cf. Pascallon (P) et Dupuy (E) : « Pour un service citoyen national obligatoire », Les Cahiers du Club « P&P », n°9, mai 2008, téléchargeable sur le site www.club-participation-progres.com.