Sortir
de la crise européenne en consultant directement les peuples des 27
Etats membres
par
PIERRE PASCALLON
Professeur Agrégé de
Faculté
Président du Club
« Participation et Progrès »
-
Nicolas Sarkozy
déclarait, le 30 juin dernier, sur France 3 : « Ça ne va pas du
tout. Il y a eu erreur sur la façon de construire l’Europe ». Le
Chef de l’Etat français - qui assure, pour 6 mois, la Présidence de
l’Union Européenne - a raison. Oui, il y a eu erreur sur la façon de
construire l’Europe, construite, en effet, tout à la fois - on
distingue par simple commodité d’exposition - en violation de la
démocratie et en violation des souhaits profonds des peuples
européens.
- L’Europe
construite en violation de la démocratie ? On sait les « non » français
et néerlandais, en 2005, sur le projet de Constitution Européenne. Le
Traité de Lisbonne est, pour beaucoup, calqué sur feue la Constitution
et porte sur des questions centrales touchant la structure même de
l’Union (désignation d’un Président, nouvelles règles de majorité,…). Il
est clair que la seule procédure adéquate pour donner une légitimité
populaire à ce Traité de Lisbonne aurait dû être une ratification
référendaire. Et tout le monde sait bien qu’on a triché avec la
démocratie en faisant - cas français - approuver par le Parlement, en
février 2008, un texte proche de celui rejeté en mai 2005 par 55% des
Français. Un seul pays, l’Irlande - puisqu’il s’agit, pour lui, d’une
obligation constitutionnelle - a osé consulté directement les citoyens,
par référendum,… avec le résultat que l’on sait. Qu’à cela ne tienne !
Et on va, ainsi, continuer à bafouer ouvertement la démocratie. Le Droit
International est clair, en effet : quand un seul Etat ne ratifie pas un
Traité, il est caduc. Le Traité de Lisbonne est donc, aujourd’hui,
juridiquement mort. Qu’importe ! On trouve suffisamment d’« experts », à
Bruxelles et ailleurs, pour persuader qu’on peut et doit poursuivre la
ratification. On ne va tout de même pas se laisser arrêter par le vote
d’un pays qui représente 1% de la population totale de l’Union ! On
arrivera bien à faire revoter les Irlandais - même s’ils ne le
souhaitent pas et nous le disent - jusqu’à ce que la réponse soit
« oui », en concoctant, pour ce faire, s’il le faut, pour Dublin, un
Traité « sur mesure », plein de dérogations, les « acrobaties » dont
parle Paul Valéry.
Mais il risque fort d’y avoir d’autres pays que
l’Irlande qui créent des difficultés. Le Président polonais, Lech
Kaczinski, refuse de ratifier le Traité de Lisbonne ; en République
Tchèque, le Premier Ministre Topolanek craint que le Traité soit rejeté
lorsqu’il sera présenté au Parlement ; le Président allemand, Horst
Köhler, attendra l’avis de la Cour Constitutionnelle avant de promulguer
le Traité ;… Broutilles que tout cela ! Nous n’allons tout de même pas,
nous les « élites », nous laisser arrêter par si peu ! Alors, on
s’assoit dessus… au prix d’un recul inquiétant de la démocratie.
- L’Europe
construite en violation de la démocratie et - bien sûr, c’était déjà
implicite dans le point précédent -, en violation des souhaits profonds
des peuples européens ou, au moins, semble-t-il, de certains d’entre
eux ? Il est clair que nos peuples européens savent qu’ils sont…
européens et qu’il faut donc - ils s’y sont engagés depuis longtemps -
une organisation européenne de l’ensemble des pays du vieux continent.
Mais ils ne veulent pas (au moins certains d’entre eux) - comme
cherchent à leur imposer, texte après texte, en catimini, contrairement
à leurs vœux, les transferts de souveraineté, les pouvoirs accrus
accordés à l’Union Européenne au détriment des Etats-nations - de
l’Europe supranationale des cravatés de Bruxelles, enfermée dans ses
certitudes, crispée sur un libéralisme doctrinaire, produisant, à la
chaîne, directives, résolutions, sanctions,… loin d’eux, sans eux. Là
est la racine profonde de la crise européenne ; là est le message clef
révélé par les « non » français et néerlandais, confirmé par le « non »
irlandais…
Il faut entendre la
voix des peuples européens et confirmer - ou infirmer - ce qu’ont voulu
exprimer les « non » français, néerlandais et irlandais dans notre monde
en violente mutation. Cela signifie qu’il appartient à Nicolas Sarkozy
de poursuivre les initiatives concrètes qu’il a prévues pour les 6 mois
de la Présidence française de l’Union sur le « paquet » énergie-climat,
sur l’immigration,… Mais, au lieu de s’attacher simultanément à
favoriser l’aboutissement institutionnel du Traité de Lisbonne - on peut
bien vivre encore quelque temps dans le cadre du Traité de Nice -, il
lui appartient - c’est, en quelque sorte, sa « 2ème » Présidence liée -
d’ouvrir en grand un débat démocratique de 6 mois sur le sens et la
finalité souhaitée de la construction européenne - et, donc, sur son
contenu -, tel que, à son terme, les peuples puissent s’exprimer en
toute connaissance de cause. On ne peut plus se contenter de recourir à
quelques grandes généralités - pour ne pas dire des banalités -, à
quelques grandes incantations aussi vagues qu’impératives : « Il faut
faire l’Europe », « Il faut relancer l’Europe »,… En gros, il faut faire
l’Europe… parce qu’il faut faire l’Europe !! On a besoin d’éclairer la
question essentielle qu’il n’est plus possible de cacher sous le tapis,
d’éluder dans les ambiguïtés ou les non-dits : « Quelle Europe
voulons-nous, à terme, construire ? ». Nicolas Sarkozy doit donc, avec
les concours juridiques qui s’imposent, élaborer et proposer à la
réflexion des peuples européens les deux projets qui s’attachent -
chacun à leur manière - à répondre à l’interrogation centrale
précédente :
- Premièrement, un
projet constitutionnel de fédération des Etats-Unis d’Europe.
On sait, sans trop schématiser, que cinq pays sur
six - à l’origine de la construction européenne - étaient prêts (à
l’exception, donc, de la France) à faire l’Europe fédérale tout de
suite. Ce grand rêve de l’intégration complète de tous les pays du vieux
continent dans un seul Etat européen supranational doté de tous les
attributs et de tous les instruments de souveraineté reste pour beaucoup
- dans le sillage de Fernand Braudel, Sully, Bernardin de Saint-Pierre,
Saint-Simon, Mazzini,… - plus actuel que jamais si la vieille Europe ne
veut pas, au XXIème siècle - le siècle des grands ensembles
(asiatique,…) -, disparaître de la Grande Histoire. Le marché unique et
la monnaie unique ont été une étape décisive de la mise en place de
cette Europe fédérale supranationale. Il faut maintenant, le plus
rapidement possible, sans barguigner - en reprenant et en amplifiant le
projet de Constitution européenne de 2005 - réaliser les autres avancées
qui s’imposent (Président unique, Défense unique, politique des Affaires
Etrangères unique,…).
- Deuxièmement, un
projet constitutionnel de confédération européenne d’Etats Nations. Dans
cette vision, le rêve d’une entité politique européenne originale et
unique bute sur l’incontestable réalité passée et présente de Nations
vivantes et durables. Aussi bien, dans les pas de Raymond Aron, Salvador
de Madriaga,…, on soutient, ici, que l’Europe ne peut pas et ne doit
pas, à terme, faire disparaître les vieilles Nations du… vieux
continent, qui plus est, au XXIème siècle, marqué, pour certains
(Jacques Sapir,…) par le retour de l’Etat-Nation, dans un monde en voie
de redevenir plus multipolaire avec le déclin relatif de
l’hyperpuissance américaine. La construction européenne - dans la
perspective de ce projet de « Pacte des Nations européen » (Jacques
Myard), s’appuie donc sur les Etats-Nations qui coopèrent donc entre eux
à la carte, avancent sujet par sujet… avec ceux qui veulent avancer,
s’entendent sur des politiques communes dans le cadre de décisions
prises à l’unanimité, s’allient dans le même esprit sur des projets
industriels,…
Ce grand débat, appuyé sur ces deux projets, devra
déboucher au printemps 2009 - cette idée commence à trouver écho chez
les politiques (Alain Lamassoure,…) et les spécialistes (Fabio
Liberti,…), sur un référendum - le même jour dans les 27 Etats membres
de l’Union Européenne - autour, donc, de l’interrogation clef :
voulez-vous, demain l’Europe sous forme d’une fédération des Etats-Unis
de l’Europe, avec le projet constitutionnel joint ; ou voulez-vous d’une
confédération européenne d’Etats Nations, avec le projet constitutionnel
joint.
Cette démarche - conclue par ce référendum - est
la seule qui vaille dans la situation actuelle pour trouver une issue à
la crise européenne, la réponse - majoritaire - qui sortira des urnes
légitimant, pour de bon, de façon irréversible, la suite que devra
prendre la construction européenne. |