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Message de Alain Chevalérias, journaliste, éditeur de l’Echelle des Valeurs, réalisé le 12 novembre 2006.

De retour d’un second voyage au Liban depuis le mois de juillet, j’ai enquêté sur la situation du Hezbollah, les conséquences de la guerre et réfléchi sur la conduite à tenir pour répondre à cette problématique.

J’ai effectué une visite dans le Sud du Liban et rencontré plusieurs personnalités dont un haut responsable du Hezbollah, le mufti chiite de Tyr et un ancien responsable du Hezbollah passé à l’opposition.

1/ Il semble confirmé que le Hezbollah a été surpris par la force de la réponse israélienne à la capture de deux soldats sur le sol israélien le 12 juillet dernier. Différentes sources confirment que le nombre de combattants envoyés par le Hezbollah pour affronter les Israéliens ne dépassait pas mille hommes. D’après les évaluations que j’ai obtenues sur le terrain, leurs pertes n’est pas de 80 hommes, comme déclaré, mais d’environ 500. Soit la moitié des effectifs.

2/ Les Israéliens étaient bien renseignés sur les cibles du Hezbollah dans Beyrouth. Les quartiers que le parti occupait ont été rasés par les bombes. Par contre, dans le sud, les bâtiments détruits l’ont été pour la plupart par des tirs tendus. Les témoins locaux confirment que dans le Sud les Israéliens ont pris pour cibles les bâtiments d’où les hommes du Hezbollah leur tiraient dessus. Les Israéliens ne connaissaient rien des positions du Hezbollah dans le Sud et les techniques de guérilla employées les ont surpris. La différence du niveau de renseignement entre Beyrouth et le Sud s’explique. A Beyrouth, les journalistes et les diplomates rencontraient les gens du Hezbollah dans leurs quartiers. Dans le Sud, les visites étaient rares.

3/ Un chirurgien de Saïda m’a dit que les morts venant des zones de bombardement étaient noirs. Ceci est lié à l’utilisation de bombes « à vide » par les Israéliens pour provoquer l’effondrement des immeubles. Ces bombes tuent tout être vivant dans la périphérie immédiate. Ceci explique le grand nombre de civils morts côté libanais (environ 1200).

4/ Globalement, la population et les leaders libanais sont de plus en plus partagés en deux camps. D’une part le Hezbollah, allié à Amal (autre parti chiite) et aux pro-syriens. De l’autre, une alliance entre sunnites, druzes et la mouvance des chrétiens proches des Forces libanaise (anciennes milices chrétiennes dirigées par Samir Geagea). Les premiers sont alliés au Président de la République, un pro-syrien, qui s’accroche au pouvoir. Les seconds tiennent le gouvernement derrière le premier ministre. Un conflit existe donc au sein des institutions.

5/ Les chrétiens sont dans une position très inconfortable. D’abord parce qu’ils sont divisés. Une partie soutient l’alliance des sunnites et des druzes (Samir Geagea) proche de l’Occident. L’autre, conduite par le général Michel Aoun, s’est alliée au Hezbollah. Ces derniers se sentent dans une position inconfortable car ils sont, psychologiquement, plus proche de l’Occident que de l’Iran. Cette situation jette le trouble dans la communauté chrétienne, suscite l’inquiétude et les aspirations à l’émigration.

6/ L’état des lieux dans le Sud. Certains villages ont été détruits à 80%, d’autres seulement à 5%. On ne voit cependant pas de sans abris, ni même de tentes, preuve que les habitants se sont regroupés dans les bâtiments intacts. On ne perçoit pas non plus d’inquiétude immédiate. J’ai vu des patrouilles de l’armée libanaise et de la FINUL décontractées. J’ai même vu des soldats de l’armée libanaise faisant leurs courses sans armes. Les gens du Hezbollah, quand on les remarque, sont isolés, en civil, sans arme, équipés au maximum d’une radio portable et très courtois.

7/ La situation de nos soldats est incertaine. D’une part, on a à reprocher aux Israéliens plusieurs provocations (contre les Français et contre les Allemands). On peut penser néanmoins que ces provocations resteront limitées. Le Hezbollah par contre montre son insatisfaction. La FINUL, en assurant la défense du Liban face à Israël, les dépouille de la fonction mythique de « résistance. » Ils sentent l’excuse ayant servi à justifier leur existence leur échapper. Leurs représentants ont exprimé devant nous des propos empreints de menaces à l’égard de la FINUL. Enfin, les réseaux d’Al-Qaïda, en Irak et dans la zone afghano-pakistanaise, ont dénoncé à plusieurs reprises le renforcement de la FINUL. Il faut craindre de possibles attaques de ce côté.

8/ Conduite à tenir pour nos troupes : Il faut sécuriser nos troupes. Dans cet esprit renforcer le renseignement. Etudier sur le plan opérationnel jusqu’à quel point l’on peut affaiblir le Hezbollah sans provoquer de troubles internes qui pourraient se transformer en guerre civile. Savoir utiliser la force résiduelle du Hezbollah contre d’éventuelles infiltrations d’Al Qaïda en le rendant responsable d’attaques terroristes.

9/ L’essentiel des difficultés se trouve aujourd’hui concentré sur le Hezbollah. Un programme devrait être mis sur pied, avec des facettes politiques, économiques et militaires. En outre, il serait judicieux de travailler à affaiblir sa représentativité dans l’opinion chiite. Les moyens existent, du moins pour le moment. Dans vingt ans, si nous ne faisons rien maintenant, il sera trop tard : le Liban deviendra un Etat chiite intégriste, même si l’Iran a changé de politique entre-temps.

Conclusion : Dans l’immédiat, nous avons un sujet d’inquiétude. Certes, on ne perçoit pas au Liban de tendance à provoquer une nouvelle guerre civile. Néanmoins, le Hezbollah est de plus en plus sur la défensive. L’Iran, de son côté, est prêt à l’instrumentaliser pour montrer sa force. Quant à la Syrie, son gouvernement se sent de plus en plus acculé. Nous avons là un cocktail explosif. Petit à petit, on voit la tension monter. Dernier événement allant dans ce sens : le 11 novembre, le Hezbollah et Amal, les deux partis chiites ont quitté le gouvernement dans lequel ils étaient minoritaires.