Nicolas
Sarkozy a donc confirmé, cette semaine, que la France allait réintégrer
le commandement intégré de l'OTAN (Comité des Plans de défense).
Deux remarques :
- la France a déjà réintégré, en 1995-1996, sous
le septennat de Jacques Chirac, "les instances militaires de l'OTAN qui
respectent sa souveraineté" (Conseil des ministres de la défense et
Comité militaire), selon l'expression du ministre de la Défense de
l'époque, Charles Millon (Revue de l'OTAN, mai 1996).
- l'argumentaire de Nicolas Sarkozy n'est pas
convainquant. Qu'a, en effet, plaidé le président de la République dans
son discours sur la défense et la sécurité nationale (17 juin 2008) ?
"La guerre froide est terminée. En Europe, nos
partenaires sont presque tous membres de l'Alliance. Ils ne comprennent
pas pourquoi nous persistons à nous tenir à part. On continue à se
demander, en Europe, si la France veut opposer l'Europe de défense et
l'OTAN. Moyennant quoi, on européanise pas assez l'OTAN, et on ne fait
pas avancer l'Europe de la défense. Observons ce qu'il s'est passé, très
intéressant, très intéressant. Une alliance qui n'est pas assez
européanisée, une Europe de la défense qui n'avance pas. Beau résultat.
Notre position, hors du commandement militaire, entretient une méfiance
sur l'objet de notre ambition européenne."
Deux commentaires, maintenant :
- "La guerre froide est terminée". Justement,
répondrait un gaulliste ! Tout en manifestant, lorsque nécessaire, la
solidarité atlantique de la France face au bloc soviétique (crise de
Cuba en 1962), Charles de Gaulle a retiré entre 1959 et 1966 la France
des instances militaires de l'OTAN malgré le contexte de la guerre
froide. Dans la logique gaulliste, la guerre froide étant finie, la
France aurait donc encore moins de raison de participer, aujourd'hui, à
ses instances militaires (voire même à ses instances politiques ?).
Charles de Gaulle avait d'ailleurs envisagé de quitter l'OTAN en tant
que telle, dans la perspective de remplacer cette organisation
permanente "par une série d'accords bilatéraux" (l'ouverture des
archives depuis 1996, selon la loi des trente ans, permet désormais
d'approfondir les recherches sur cet épisode historique; lire en
particulier l'étude réalisée par Alessandra Giglioli, lauréat de
la bourse de recherche de l'OTAN et du Conseil de Partenariat
Euro-Atlantique).
- La raisonnement de Nicolas Sarkozy est à
l'opposé de la pensée gaulliste (mais peut-être la conception gaulliste
de l'indépendance vis-à-vis des États-Unis est-elle dépassée ?). Il
s'agit en effet d'une constante de la politique étrangère gaulliste : si
Charles de Gaulle s'est opposé à la CED en 1954, si le plan Fouchet
d'union politique européenne a échoué en 1961-1962, si le traité
franco-allemand de l'Élysée (1963) n'a pas eu la portée politique que
voulait lui donner Charles de Gaulle, c'est à chaque fois parce que - et
uniquement parce que - les partenaires européens de la France ont refusé
de construire une Europe politique en dehors de la relation atlantique.
C'est la fameuse "Europe européenne" théorisée par De Gaulle (et
détournée par les souverainistes hostiles à l'adhésion de la Turquie à
l'Union européenne, alors que cette expression gaulliste concerne
l'indépendance vis-à-vis des États-Unis et non les frontières
géographiques de la construction européenne). Mais, n'étant pas suivie
par ses partenaires européens potentiels, et "en attendant que le ciel
se découvre, la France poursuit par ses propres moyens ce que peut et
doit être une politique européenne et indépendante" (23 juillet 1964).
Avec pour conséquence logique la sortie des instances militaires de
l'OTAN, en 1966 (mais préparée, en fait, depuis 1959).
C'est cette indépendance vis-à-vis des États-Unis
(indépendance ne voulant pas dire opposition systématique) que Nicolas
Sarkozy sacrifie aujourd'hui. Pour, si on suit son discours, faire
plaisir à nos partenaires européens ("en Europe, nos partenaires ne
comprennent pas pourquoi nous persistons à nous tenir à part"; "notre
position, hors du commandement militaire, entretient une méfiance sur
l'objet de notre ambition européenne").
Charles de Gaulle préférait une France
indépendante et pas d'Europe à une France dans une Europe américaine ;
Nicolas Sarkozy préfère une France dans une Europe américaine à pas
d'Europe.
L'Europe, certes. Mais l'Europe pour quoi faire,
si ce n'est pas une Europe européenne ? Faire une Europe américaine,
c'est en réalité vouloir faire de l'OTAN une ONU-bis occidentale. Alors
que ce dernier concept ne veut strictement plus rien dire depuis la fin
de la guerre froide. Sauf, ce dont nous avait préservé Jacques Chirac, à
alimenter la théorie du choc des civilisations (le monde blanc et
chrétien contre le monde arabo-musulman).
Laurent de Boissieu (
Blog-politique) |