Communiqué du 14 avril 2008

 

Europe : La nuance polonaise 

 

Après la Hongrie, la Slovénie, Malte, la Roumanie, la France et la Bulgarie, la Pologne qui est le plus grand des dix pays ayant adhéré à l'Union en 2004, est devenue le septième pays à ratifier le nouveau traité de Lisbonne. La Diète polonaise a en effet approuvé le 1er avril le projet de loi de ratification du traité recyclant 98% de la Constitution européenne rejetée en France et aux Pays-Bas. Une partie du camp du parti conservateur Droit et Justice (PiS) des frères Kaczynski avait fini par se rallier au traité européen, après le compromis du week-end entre le président Lech Kaczynski et le Premier ministre libéral, Donald Tusk. Le président polonais avait suscité l'inquiétude de ses partenaires européens en annonçant, le 17 mars dernier, qu'il voulait de nouvelles garanties avant de ratifier le traité. Il a obtenu du Premier ministre que la Diète vote une résolution qui clâme la « souveraineté nationale de la Pologne », au moment précis où elle l'abandonne, justement. Ce même Parlement entend pourtant adopter prochainement une résolution stipulant la supériorité de la Constitution polonaise sur la législation européenne, ce qui devrait rendre plus difficile l'adhésion de la Pologne à la Charte des droits fondamentaux de l'UE pour laquelle la Pologne a obtenu, tout comme le Royaume Uni, une dérogation. Pour le "Forum pour la France", Romain Rochas, Chef de division honoraire de la Cour des comptes européenne, a fait le point sur la situation juridique des exemptions polonaises.
Observatoire de l'Europe.com

 


A.- Sur les exemptions polonaises dans le traité modificatif :

1°) La Charte des droits fondamentaux et la Pologne :

La Pologne n'est pas exemptée totalement de l'application de la Charte, mais son application y comportera des limites étroites. La Charte ne peut avoir pour effet d'étendre le droit pour la Cour de justice européenne de déclarer certaines dispositions nationales incompatibles avec la Charte. Les dispositions du Titre IV de la Charte (solidarité, c'est-à-dire dispositions sociales) ne conféreront aucun "droit justiciable" en Pologne. La référence faite dans la charte aux pratiques et droits nationaux ne s'appliquent à la Pologne que si le droit et les pratiques nationales reconnaissent les droits visés en l'occurrence par la Charte. Bref, la Charte ne s'applique à la Pologne que dans la mesure où le droit polonais reconnaît les mêmes droits qu'elle…

Ces fortes restrictions s'appliquent de façon identique à la Pologne et au Royaume Uni. En effet elles proviennent du Protocole n° 7 "sur l'application de la Charte des Droits fondamentaux à la Pologne et au Royaume Uni".

Toutefois, ayant sans doute eu des remords de sembler restrictive particulièrement en matière sociale (le Titre IV sur la solidarité), la Pologne souligne dans la Déclaration n° 53 la tradition sociale polonaise venue du mouvement Solidarnosc, et assure qu'elle respecte les droits sociaux venant du droit de l'UE et de la Charte, ce qui semble annuler une des restrictions formulées dans le Protocole n° 7. Comprenne qui pourra.

D'autre part, par une Déclaration n° 51, la Pologne affirme que la Charte ne porte pas atteinte au droit des Etats membres de légiférer en matière de moralité publique, de droit de la famille, de protection de la dignité humaine et du respect de l'intégrité humaine physique et morale. Mais en fait, comme elle est la seule à signer cette déclaration, on doit en conclure qu'elle ne s'appliquera qu'à elle.


2°) La primauté du droit européen et la Pologne :

Aucune disposition, ni dans le Traité proprement dit, ni dans les Protocoles, ni dans les Déclarations, n'ont pour effet d'exempter la Pologne de la primauté du droit européen sur les droits nationaux, primauté rappelée dans la Déclaration n° 27.

La Pologne n'échappera donc à cette primauté que dans la mesure où elle l'a exclue - partiellement - en ce qui concerne la Charte, comme on vient de le voir.


B.- Sur les particularités polonaises du Traité modificatif :

On peut distinguer trois types de dispositions ayant un certain rapport avec la Pologne.

 

1°) Les dispositions du traité qui ne seront pas applicables à la Pologne :

Les seules dispositions qui ne seront pas applicables à la Pologne ou qui le seront de façon restreinte sont celles que l'on vient de voir au sujet de la Charte.


2°) Les dispositions qui ont été insérées dans le Traité (ou dans des Protocoles, ou dans des Déclarations) sur demande et à l'initiative de la Pologne, mais qui s'appliqueront à tous les Etats membres.

C'est difficile d'en faire l'inventaire, car le traité ne garde pas trace des interventions nationale dans les débats qui ont abouti à inclure dans le texte telle ou telle disposition. On a pu deviner cependant, d'après divers commentaires de médias, que la Pologne a pesé pour l'inclusion de certaines dispositions.


Ce sont surtout :

- L'affirmation que la politique étrangère et de défense sont avant tout du ressort des Etats membres (en dépit des dispositions pourtant ambitieuses relatives à la PESC)(Déclarations n° 30 et 31 sur la PESC).

- Les dispositions transitoires relatives au système de la majorité qualifiée, qui prévoient le maintien du système actuel jusqu'à 2014, la pleine application du nouveau système seulement en 2017, et l'instauration d'un système transitoire entre 2014 et 2017. (Article 9 C, § 4, du traité modifié sur l'UE, et 205, § 2, du nouveau "traité sur le fonctionnement de l'union européenne", Protocole n° 10 sur les dispositions transitoires).

- Les dispositions inspirées du Compromis de Ioannina, et qui instaurent une sorte de "Compromis de Luxembourg" atténué (c'est mieux que rien), en permettant à une minorité très restreinte d'Etats membres, sinon de bloquer définitivement, du moins d'entraver et de retarder le processus d'adoption à la majorité de décisions auxquelles ils seraient hostiles (Déclaration ad articles 9 C du traité sur l'Union européenne et 205, § 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et Protocole n° 9 bis). A vrai dire, ce n'est pas la Pologne qui a imaginé ce Compromis de Luxembourg atténué, décrit dans cette "Déclaration". En effet ce "Compromis atténué" existait déjà dans le Traité constitutionnel, et même avant (Compromis de Ioannina, qui avait été demandé par la Grèce, mais qui ne figurait pas dans les traités, pas plus que le Compromis de Luxembourg). Mais c'est elle qui a demandé qu'on le mette dans le nouveau traité, et fait adopter le Protocole n° 9 bis qui prévoit que les dispositions de ce Compromis ne pourront être modifiées que "par consensus", c'est-à-dire à l'unanimité.


3°) Enfin, dans un cas, la Pologne a proposé une disposition applicable selon elle à tous les Etats membres, mais les autres Etats membres n'ayant pas daigné la suivre, cela a abouti à une déclaration signée par la Pologne seule, et qui ne pourra donc s'appliquer qu'à elle. C'est la Déclaration n° 51, déjà citée, tendant à préserver le droit des Etats membres à légiférer en matière de moralité publique et dignité humaine. On voit par cet exemple l'indifférence, ou même la complicité, avec laquelle les Etats membres ont tendu les mains pour qu'on leur mette les menottes !

Romain Rochas