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Après la Hongrie, la Slovénie, Malte, la Roumanie, la
France et la Bulgarie, la Pologne qui est le plus grand
des dix pays ayant adhéré à l'Union en 2004, est devenue
le septième pays à ratifier le nouveau traité de
Lisbonne. La Diète polonaise a en effet approuvé le 1er
avril le projet de loi de ratification du traité
recyclant 98% de la Constitution européenne rejetée en
France et aux Pays-Bas. Une partie du camp du parti
conservateur Droit et Justice (PiS) des frères Kaczynski
avait fini par se rallier au traité européen, après le
compromis du week-end entre le président Lech Kaczynski
et le Premier ministre libéral, Donald Tusk. Le
président polonais avait suscité l'inquiétude de ses
partenaires européens en annonçant, le 17 mars dernier,
qu'il voulait de nouvelles garanties avant de ratifier
le traité. Il a obtenu du Premier ministre que la Diète
vote une résolution qui clâme la « souveraineté
nationale de la Pologne », au moment précis où elle
l'abandonne, justement. Ce même Parlement entend
pourtant adopter prochainement une résolution stipulant
la supériorité de la Constitution polonaise sur la
législation européenne, ce qui devrait rendre plus
difficile l'adhésion de la Pologne à la Charte des
droits fondamentaux de l'UE pour laquelle la Pologne a
obtenu, tout comme le Royaume Uni, une dérogation. Pour
le "Forum pour la France", Romain Rochas, Chef de
division honoraire de la Cour des comptes européenne, a
fait le point sur la situation juridique des exemptions
polonaises.
Observatoire de
l'Europe.com |
A.- Sur les exemptions polonaises dans le traité
modificatif :
1°) La Charte des droits fondamentaux et la Pologne :
La Pologne n'est pas exemptée totalement de l'application de la
Charte, mais son application y comportera des limites étroites.
La Charte ne peut avoir pour effet d'étendre le droit pour la
Cour de justice européenne de déclarer certaines dispositions
nationales incompatibles avec la Charte. Les dispositions du
Titre IV de la Charte (solidarité, c'est-à-dire dispositions
sociales) ne conféreront aucun "droit justiciable" en Pologne.
La référence faite dans la charte aux pratiques et droits
nationaux ne s'appliquent à la Pologne que si le droit et les
pratiques nationales reconnaissent les droits visés en
l'occurrence par la Charte. Bref, la Charte ne s'applique à la
Pologne que dans la mesure où le droit polonais reconnaît les
mêmes droits qu'elle…
Ces fortes restrictions s'appliquent de façon identique à la
Pologne et au Royaume Uni. En effet elles proviennent du
Protocole n° 7 "sur l'application de la Charte des Droits
fondamentaux à la Pologne et au Royaume Uni".
Toutefois, ayant sans doute eu des remords de sembler
restrictive particulièrement en matière sociale (le Titre IV sur
la solidarité), la Pologne souligne dans la Déclaration n° 53 la
tradition sociale polonaise venue du mouvement Solidarnosc, et
assure qu'elle respecte les droits sociaux venant du droit de
l'UE et de la Charte, ce qui semble annuler une des restrictions
formulées dans le Protocole n° 7. Comprenne qui pourra.
D'autre part, par une Déclaration n° 51, la Pologne affirme que
la Charte ne porte pas atteinte au droit des Etats membres de
légiférer en matière de moralité publique, de droit de la
famille, de protection de la dignité humaine et du respect de
l'intégrité humaine physique et morale. Mais en fait, comme elle
est la seule à signer cette déclaration, on doit en conclure
qu'elle ne s'appliquera qu'à elle.
2°) La primauté du droit européen et la Pologne :
Aucune disposition, ni dans le Traité proprement dit, ni dans
les Protocoles, ni dans les Déclarations, n'ont pour effet
d'exempter la Pologne de la primauté du droit européen sur les
droits nationaux, primauté rappelée dans la Déclaration n° 27.
La Pologne n'échappera donc à cette primauté que dans la mesure
où elle l'a exclue - partiellement - en ce qui concerne la
Charte, comme on vient de le voir.
B.- Sur les particularités polonaises du Traité
modificatif :
On peut distinguer trois types de dispositions ayant un certain
rapport avec la Pologne.
1°) Les dispositions du traité qui ne seront pas applicables à
la Pologne :
Les seules dispositions qui ne seront pas applicables à la
Pologne ou qui le seront de façon restreinte sont celles que
l'on vient de voir au sujet de la Charte.
2°) Les dispositions qui ont été insérées dans le Traité
(ou dans des Protocoles, ou dans des Déclarations) sur
demande et à l'initiative de la Pologne, mais qui s'appliqueront
à tous les Etats membres.
C'est difficile d'en faire l'inventaire, car le traité ne garde
pas trace des interventions nationale dans les débats qui ont
abouti à inclure dans le texte telle ou telle disposition. On a
pu deviner cependant, d'après divers commentaires de médias, que
la Pologne a pesé pour l'inclusion de certaines dispositions.
Ce sont surtout :
- L'affirmation que la politique étrangère et de défense sont
avant tout du ressort des Etats membres (en dépit des
dispositions pourtant ambitieuses relatives à la
PESC)(Déclarations n° 30 et 31 sur la PESC).
- Les dispositions transitoires relatives au système de la
majorité qualifiée, qui prévoient le maintien du système actuel
jusqu'à 2014, la pleine application du nouveau système seulement
en 2017, et l'instauration d'un système transitoire entre 2014
et 2017. (Article 9 C, § 4, du traité modifié sur l'UE, et 205,
§ 2, du nouveau "traité sur le fonctionnement de l'union
européenne", Protocole n° 10 sur les dispositions transitoires).
- Les dispositions inspirées du Compromis de Ioannina, et qui
instaurent une sorte de "Compromis de Luxembourg" atténué (c'est
mieux que rien), en permettant à une minorité très restreinte
d'Etats membres, sinon de bloquer définitivement, du moins
d'entraver et de retarder le processus d'adoption à la majorité
de décisions auxquelles ils seraient hostiles (Déclaration ad
articles 9 C du traité sur l'Union européenne et 205, § 2, du
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et Protocole
n° 9 bis). A vrai dire, ce n'est pas la Pologne qui a imaginé ce
Compromis de Luxembourg atténué, décrit dans cette
"Déclaration". En effet ce "Compromis atténué" existait déjà
dans le Traité constitutionnel, et même avant (Compromis de
Ioannina, qui avait été demandé par la Grèce, mais qui ne
figurait pas dans les traités, pas plus que le Compromis de
Luxembourg). Mais c'est elle qui a demandé qu'on le mette dans
le nouveau traité, et fait adopter le Protocole n° 9 bis qui
prévoit que les dispositions de ce Compromis ne pourront être
modifiées que "par consensus", c'est-à-dire à l'unanimité.
3°) Enfin, dans un cas, la Pologne a proposé une
disposition applicable selon elle à tous les Etats membres,
mais les autres Etats membres n'ayant pas daigné la suivre, cela
a abouti à une déclaration signée par la Pologne seule, et qui
ne pourra donc s'appliquer
qu'à elle. C'est la Déclaration n° 51, déjà citée, tendant à
préserver le droit des Etats membres à légiférer en matière de
moralité publique et dignité humaine. On voit par cet exemple
l'indifférence, ou même la complicité, avec laquelle les Etats
membres ont tendu les mains pour qu'on leur mette les menottes !
Romain Rochas |