«
Vers une grande stratégie pour un monde incertain ». C'est sous
ce titre que cinq anciens responsables militaires occidentaux
ont rédigé un rapport de 150 pages. Ses recommandations et
perspectives devraient être examinées lors du prochain sommet de
l'Otan en avril prochain à Bucarest.
Ce document doit être considéré avec sérieux et attention. Tout
d'abord parce qu'il n'est pas rédigé par n'importe qui : le
général américain John Shalikashvili, ancien commandant en chef
de l'Otan en Europe, le maréchal britannique Lord Peter Inge, le
général allemand Klaus Naumann, ancien président du comité
militaire de l'Otan, le général néerlandais Henk van den Breemen,
l'amiral français Jacques Lanxade, ancien chef d'état major de
l'armée française. Autrement dit des militaires confirmés ayant
exercé des responsabilités au plus haut niveau de la hiérarchie
des forces armées de leur pays.
Mais ce document est passionnant, voire effrayant, en ce qu'il
révèle de la vision et de la perception du monde de ces hommes.
Leurs analyses s'appuient sur quatre constats :
1- Des bouleversements sociaux gigantesques causés par le
changement climatique et les transferts de populations qu'il
induira ;
2-Un développement du terrorisme international, du crime
organisé et de la prolifération des armes de destruction
massive.
3-Un affaiblissement des Etats nations et des organisations
internationales comme l'ONU, l'Otan et l'Union européenne.
4-La montée des fanatismes religieux.
Afin de faire face à ces nouvelles menaces « asymétriques », ils
proposent un « sursaut stratégique » qui envisage l'utilisation
préventive de l'arme nucléaire « en premier », même s'il est dit
qu'elle doit être un « instrument ultime ».
Face aux nouveaux risques,
la réponse des militaires : la bombe atomique !
Une pareille annonce, à un tel niveau est un évènement majeur.
Pourquoi ? Parce qu'il veut affirmer la fin de la doctrine
classique de la dissuasion nucléaire, même si la France y reste
officiellement attachée (avec la notion d'ultime avertissement),
ainsi que la Russie qui vient de la réaffirmer par une
déclaration du chef d'état major général des forces armées
russes, le général Iouri Balouïevski. Mais la Russie n'a pas été
associée à cette réflexion (elle n'est pas membre de l'Otan,
tandis que la France met tout en œuvre pour rejoindre le
commandement intégré de l'Alliance)
L'arme nucléaire, de fait, n'est plus une arme à part. Elle est
simplement la dernière d'une gamme d'armement allant de la
baïonnette à la bombe atomique. Elle quitte ainsi son statut
d'arme essentiellement politique. Il s'agit là d'une révolution
copernicienne, rendue nécessaire selon les auteurs par la
multiplication des nouvelles menaces. Menaces qui seraient d'un
niveau de dangerosité supérieur à ce que furent les menaces de
la guerre froide. Mais quel est donc, selon ces militaires, le
nouveau bloc soviétique surarmé qui nous tient en joue et nous
maintient dans la terreur ? Le Terrorisme international, la
dissémination et la prolifération nucléaire, le fondamentalisme
religieux.
Une OPA des USA sur
l'Europe
Ce texte contient surtout un véritable projet d'organisation
politique qui s'articule parfaitement avec l'idéologie dominante
et les projets actuellement à l'œuvre pour nous imposer ce
modèle et son fonctionnement politique.
L'Occident serait assiégé et affaibli de l'intérieur et de
l'extérieur. De l'intérieur, par la disparition de la volonté de
défendre ses valeurs et le règne du relativisme, par le manque
de volonté politique de la part de certains pays européens
(notamment l'Allemagne, encore gênée par son histoire du siècle
dernier) de s'investir plus avant dans le fonctionnement de
l'Otan, qui manquerait de relais et de volonté politiques. A ce
titre l'Union Européenne doit cesser de jouer les empêcheurs de
tourner en rond et accélérer son rapprochement avec l'Otan, pour
en devenir en fait le bras politique qui manque si cruellement à
l'Alliance Atlantique.
On voit bien le dessin qui se profile à plus ou moins long
terme, d'une « fusion » institutionnelle de l'Union Européenne
et de l'Otan. Les avantages politiques seraient énormes pour les
tenants de cette vision du monde et de l'ordre dominant : une
organisation politique multilatérale dotée d'une personnalité
juridique et morale (par le Traité de Lisbonne) et d'une
organisation militaire. Les choses peuvent aussi se lire en sens
inverse : une organisation militaire sous domination des
États-Unis organiquement reliée à un pouvoir politique européen,
à la merci des volontés et intérêts américains. Nous serions là
clairement face à un pouvoir politique complètement exempt d'une
légitimité fondée sur la souveraineté des peuples. Ce
qu'illustre parfaitement ce qui est prévu en termes de modalités
pratiques de ce « directoire », composé des États Unis, de
l'Union européenne et de l'Otan qui composeraient un «
directoire » occidental.
Des propositions
inquiétantes
Le rapport propose en effet deux règles de fonctionnement, pour
plus d'efficacité, qui viendraient officialiser des pratiques en
réalité déjà en cours :
1-La fin du vote majoritaire, et donc de la recherche permanente
du consensus, ce qui entrainerait la fin du droit de véto. On
remarquera ici encore que le même mécanisme sera mis en œuvre au
sein des Institutions européennes avec le Traité de Lisbonne,
qui prévoit par ailleurs que la défense des pays membres doit
être compatible avec l'Otan.
2-L'usage de la force pourrait être requis sans autorisation de
l'ONU « si un grand nombre de vie sont en danger », une notion
très élastique (comment être sûr qu'à cette aune là, 50 citoyens
d'Afghanistan valent 50 citoyens américains ?), d'ordre plutôt
moral que politique et stratégique. L'Otan n'avait pas fait
autre chose en Serbie en déclenchant une campagne de
bombardements aériens. En reconnaissant l'indépendance du
Kosovo, l'Union européenne fera un choix politique crucial,
participant ainsi de manière totalement illégale au dépeçage
d'un Etat aux frontières internationalement reconnues et membre
de l'ONU. Par ailleurs on se souvient encore du déclenchement de
la guerre en Irak par les États-Unis, sans l'aval de l'ONU, qui
a fait des centaines de milliers de morts. A ce titre,
pourrait-on envisager que l'Otan bombarde Washington étant donné
qu'en Irak « un grand nombre de vie sont en danger » ?
* Claude Nicolet est secrétaire
national du MRC aux relations internationales.
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