Communiqué du 01 mars 2008

 

Comment le nucléaire peut devenir une arme banale

 
  • Par Claude Nicolet*, qui résume un rapport stratégique effrayant signé par plusieurs sommités du monde militaire.

« Vers une grande stratégie pour un monde incertain ». C'est sous ce titre que cinq anciens responsables militaires occidentaux ont rédigé un rapport de 150 pages. Ses recommandations et perspectives devraient être examinées lors du prochain sommet de l'Otan en avril prochain à Bucarest.

Ce document doit être considéré avec sérieux et attention. Tout d'abord parce qu'il n'est pas rédigé par n'importe qui : le général américain John Shalikashvili, ancien commandant en chef de l'Otan en Europe, le maréchal britannique Lord Peter Inge, le général allemand Klaus Naumann, ancien président du comité militaire de l'Otan, le général néerlandais Henk van den Breemen, l'amiral français Jacques Lanxade, ancien chef d'état major de l'armée française. Autrement dit des militaires confirmés ayant exercé des responsabilités au plus haut niveau de la hiérarchie des forces armées de leur pays.

 

Mais ce document est passionnant, voire effrayant, en ce qu'il révèle de la vision et de la perception du monde de ces hommes.

Leurs analyses s'appuient sur quatre constats :

1- Des bouleversements sociaux gigantesques causés par le changement climatique et les transferts de populations qu'il induira ;

2-Un développement du terrorisme international, du crime organisé et de la prolifération des armes de destruction massive.

3-Un affaiblissement des Etats nations et des organisations internationales comme l'ONU, l'Otan et l'Union européenne.

4-La montée des fanatismes religieux.

Afin de faire face à ces nouvelles menaces « asymétriques », ils proposent un « sursaut stratégique » qui envisage l'utilisation préventive de l'arme nucléaire « en premier », même s'il est dit qu'elle doit être un « instrument ultime ».


Face aux nouveaux risques, la réponse des militaires : la bombe atomique !

Une pareille annonce, à un tel niveau est un évènement majeur. Pourquoi ? Parce qu'il veut affirmer la fin de la doctrine classique de la dissuasion nucléaire, même si la France y reste officiellement attachée (avec la notion d'ultime avertissement), ainsi que la Russie qui vient de la réaffirmer par une déclaration du chef d'état major général des forces armées russes, le général Iouri Balouïevski. Mais la Russie n'a pas été associée à cette réflexion (elle n'est pas membre de l'Otan, tandis que la France met tout en œuvre pour rejoindre le commandement intégré de l'Alliance)

L'arme nucléaire, de fait, n'est plus une arme à part. Elle est simplement la dernière d'une gamme d'armement allant de la baïonnette à la bombe atomique. Elle quitte ainsi son statut d'arme essentiellement politique. Il s'agit là d'une révolution copernicienne, rendue nécessaire selon les auteurs par la multiplication des nouvelles menaces. Menaces qui seraient d'un niveau de dangerosité supérieur à ce que furent les menaces de la guerre froide. Mais quel est donc, selon ces militaires, le nouveau bloc soviétique surarmé qui nous tient en joue et nous maintient dans la terreur ? Le Terrorisme international, la dissémination et la prolifération nucléaire, le fondamentalisme religieux.

 
Une OPA des USA sur l'Europe

Ce texte contient surtout un véritable projet d'organisation politique qui s'articule parfaitement avec l'idéologie dominante et les projets actuellement à l'œuvre pour nous imposer ce modèle et son fonctionnement politique.

L'Occident serait assiégé et affaibli de l'intérieur et de l'extérieur. De l'intérieur, par la disparition de la volonté de défendre ses valeurs et le règne du relativisme, par le manque de volonté politique de la part de certains pays européens (notamment l'Allemagne, encore gênée par son histoire du siècle dernier) de s'investir plus avant dans le fonctionnement de l'Otan, qui manquerait de relais et de volonté politiques. A ce titre l'Union Européenne doit cesser de jouer les empêcheurs de tourner en rond et accélérer son rapprochement avec l'Otan, pour en devenir en fait le bras politique qui manque si cruellement à l'Alliance Atlantique.

On voit bien le dessin qui se profile à plus ou moins long terme, d'une « fusion » institutionnelle de l'Union Européenne et de l'Otan. Les avantages politiques seraient énormes pour les tenants de cette vision du monde et de l'ordre dominant : une organisation politique multilatérale dotée d'une personnalité juridique et morale (par le Traité de Lisbonne) et d'une organisation militaire. Les choses peuvent aussi se lire en sens inverse : une organisation militaire sous domination des États-Unis organiquement reliée à un pouvoir politique européen, à la merci des volontés et intérêts américains. Nous serions là clairement face à un pouvoir politique complètement exempt d'une légitimité fondée sur la souveraineté des peuples. Ce qu'illustre parfaitement ce qui est prévu en termes de modalités pratiques de ce « directoire », composé des États Unis, de l'Union européenne et de l'Otan qui composeraient un « directoire » occidental.


Des propositions inquiétantes

Le rapport propose en effet deux règles de fonctionnement, pour plus d'efficacité, qui viendraient officialiser des pratiques en réalité déjà en cours :

1-La fin du vote majoritaire, et donc de la recherche permanente du consensus, ce qui entrainerait la fin du droit de véto. On remarquera ici encore que le même mécanisme sera mis en œuvre au sein des Institutions européennes avec le Traité de Lisbonne, qui prévoit par ailleurs que la défense des pays membres doit être compatible avec l'Otan.

2-L'usage de la force pourrait être requis sans autorisation de l'ONU « si un grand nombre de vie sont en danger », une notion très élastique (comment être sûr qu'à cette aune là, 50 citoyens d'Afghanistan valent 50 citoyens américains ?), d'ordre plutôt moral que politique et stratégique. L'Otan n'avait pas fait autre chose en Serbie en déclenchant une campagne de bombardements aériens. En reconnaissant l'indépendance du Kosovo, l'Union européenne fera un choix politique crucial, participant ainsi de manière totalement illégale au dépeçage d'un Etat aux frontières internationalement reconnues et membre de l'ONU. Par ailleurs on se souvient encore du déclenchement de la guerre en Irak par les États-Unis, sans l'aval de l'ONU, qui a fait des centaines de milliers de morts. A ce titre, pourrait-on envisager que l'Otan bombarde Washington étant donné qu'en Irak « un grand nombre de vie sont en danger » ?


* Claude Nicolet est secrétaire national du MRC aux relations internationales.