Ce sont 4 millions
d’Irlandais qui tiennent peut-être entre leurs mains le sort du traité
de Lisbonne, cette copie conforme de la Constitution européenne rejetée
en 2005 par les Français et les Néerlandais, et que les gouvernements
jugent désormais moins risqué de faire ratifier, partout, par la voie
parlementaire
Partout sauf en Irlande, où les traités sont obligatoirement soumis à
l’approbation populaire. D’où l’importance du référendum organisé ce 12
juin. Que le non l’emporte (comme ce fut le cas, en 2001, quand les
Irlandais ont rejeté le traité de Nice) et les partenaires de l’Irlande
n’auront plus alors que deux solutions : accorder des exemptions aux
Irlandais en échange d’un nouveau référendum (l’option la plus probable
si le rejet du traité n’est pas massif) ou revenir sur le traité
lui-même, tant un non sans équivoque risquerait d’être contagieux.
D’abord pour les Britanniques qui, de l’avis unanime des observateurs,
ne pourraient éviter, dans ce cas, d’organiser à leur tour une
consultation populaire, avec tous les risques que cela comporterait dans
un pays aussi viscéralement attaché à l’exercice de ses libertés
politiques et économiques…
Mais aussi pour d’autres États réputés moins rebelles mais qui
n’attendent qu’une étincelle pour renoncer à pousser plus loin leur
intégration. Au premier rang de ceux-ci, la République tchèque, qui voit
d’un mauvais œil l’adossement au traité de Lisbonne de la Charte des
droits fondamentaux, laquelle, au nom de la protection désormais
constitutionnelle des minorités, pourrait contraindre Prague à
indemniser les trois millions d’Allemands des Sudètes expropriés en 1945
!
Cet effet domino n’a pas échappé à l’internationale “souverainiste” que
forment plus que jamais les adversaires de la Constitution européenne
et du traité de Lisbonne, au premier rang desquels les tenants des non
français et néerlandais, mais aussi plusieurs partis danois, polonais,
tchèques et hongrois, sans compter les eurosceptiques britanniques.
Le 29 mai, à Dublin, pour le troisième anniversaire du non français, le
gaulliste Nicolas Dupont-Aignan
(photo)
était ainsi l’invité d’honneur de l’euro-député irlandaise Kathy Sinnott,
farouche adversaire du traité de Lisbonne, mais aussi des deux
coordinations qui animent la campagne contre son adoption : le Coir
(“justice” en gaélique) dont le porte-parole, Scott Schittl, organise
une campagne d’affichage d’une rare efficacité, et Libertas, créé par le
(jeune) milliardaire irlandais Declan Ganley, lequel développe une
thématique à la fois libérale (contre la bureaucratie bruxelloise,
génératrice de taxes et de réglementations) et identitaire (au nom des
sept siècles de lutte pour l’indépendance de la nation irlandaise).
En face, le seul levier dont disposent le gouvernement et les tenants du
oui – le Fianna Fail du premier ministre Brian Cowen (centre droit) et
les travaillistes – tient à la peur de la marginalité. À quoi les
nonistes répondent que l’Irlande a tout à gagner à ne pas faire comme
les autres : serait-elle devenue l’État le plus prospère d’Europe – 6 %
de taux de croissance en 2007 et un chômage inférieur à 4 % ! – si sa
fiscalité n’était pas la plus basse du monde occidental (l’impôt sur les
sociétés ne dépasse pas 12 % et attire les sièges sociaux d’un nombre
croissant de multinationales) ?
Mais le refus de toute harmonisation fiscale européenne, qui ne pourra
se faire que par le haut, comme l’a annoncé la ministre française de
l’Économie Christine Lagarde – ses propos sont repris, à Dublin, dans
tous les tracts du non ! –, n’est pas la seule raison de la révolte
contre le traité de Lisbonne.
La crainte de voir remise en question la neutralité irlandaise,
effective depuis la proclamation de la République, en 1937, est aussi un
puissant moteur de rejet, qu’alimente l’intégration, prévue par le
traité, des deux piliers aujourd’hui distincts, que sont la politique
de défense (jusqu’alors laissée à la discrétion des États) et la
politique étrangère, désormais communautarisée.
Et pour le pays catholique à 80 % qu’est l’Irlande, la perspective de
voir l’avortement devenir un “droit”, au sens de la Charte européenne
des droits fondamentaux, n’est guère, c’est le moins qu’on puisse dire,
un facteur d’enthousiasme.
|