Communiqué du 08 juin 2008

 

Europe : Si Dublin disait non           par Eric Branca

 

 

  • L'Irlande est l'unique État à ratifier par référendum le traité de Lisbonne 

Ce sont 4 millions d’Irlandais qui tiennent peut-être entre leurs mains le sort du traité de Lisbonne, cette copie ­conforme de la Constitution européenne rejetée en 2005 par les Français et les Néerlandais, et que les gouvernements jugent désormais moins risqué de faire ratifier, partout, par la voie parlementaire


Partout sauf en Irlande, où les traités sont obligatoirement soumis à l’approbation populaire. D’où l’importance du référendum organisé ce 12 juin. Que le non l’emporte (comme ce fut le cas, en 2001, quand les Irlandais ont rejeté le traité de Nice) et les partenaires de l’Irlande n’auront plus alors que deux solutions : accorder des exemptions aux Irlandais en échange d’un nouveau référendum (l’option la plus probable si le rejet du traité n’est pas massif) ou revenir sur le traité lui-même, tant un non sans équivoque risquerait d’être contagieux. D’abord pour les Britanniques qui, de l’avis unanime des observateurs, ne pourraient éviter, dans ce cas, d’organiser à leur tour une consultation populaire, avec tous les risques que cela comporterait dans un pays aussi viscéralement attaché à l’exercice de ses libertés politiques et économiques…


Mais aussi pour d’autres États réputés moins rebelles mais qui n’attendent qu’une étincelle pour renoncer à pousser plus loin leur intégration. Au premier rang de ceux-ci, la République tchèque, qui voit d’un mauvais œil l’adossement au traité de Lisbonne de la Charte des droits fondamentaux, laquelle, au nom de la protection désormais constitutionnelle des minorités, pourrait contraindre Prague à indemniser les trois millions d’Allemands des Sudètes expropriés en 1945 !


Cet effet domino n’a pas échappé à l’internationale “souverainiste” que forment plus que jamais les ­adversaires de la Constitution européenne et du traité de Lisbonne, au premier rang desquels les tenants des non français et néerlandais, mais aussi plusieurs partis danois, polonais, tchèques et hongrois, sans compter les eurosceptiques britanniques.


Le 29 mai, à Dublin, pour le ­troisième anniversaire du non français, le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan
(photo) était ainsi l’invité d’honneur de l’euro-député irlandaise Kathy Sinnott, ­farouche adversaire du traité de Lisbonne, mais aussi des deux coordinations qui animent la campagne contre son adoption : le Coir (“justice” en gaélique) dont le porte-parole, Scott Schittl, organise une campagne d’affichage d’une rare efficacité, et Libertas, créé par le (jeune) milliardaire irlandais Declan Ganley, lequel développe une thématique à la fois ­libérale (contre la bureaucratie bruxelloise, génératrice de taxes et de réglementations) et identitaire (au nom des sept siècles de lutte pour l’indépendance de la nation irlandaise).


En face, le seul levier dont disposent le gouvernement et les tenants du oui – le Fianna Fail du premier ministre Brian Cowen (centre droit) et les travaillistes – tient à la peur de la marginalité. À quoi les nonistes répondent que l’Irlande a tout à gagner à ne pas faire comme les autres : serait-elle devenue l’État le plus prospère d’Europe – 6 % de taux de croissance en 2007 et un chômage inférieur à 4 % ! – si sa fiscalité n’était pas la plus basse du monde occidental (l’impôt sur les sociétés ne dépasse pas 12 % et attire les sièges sociaux d’un nombre croissant de multinationales) ?


Mais le refus de toute harmonisation fiscale européenne, qui ne pourra se faire que par le haut, comme l’a annoncé la ministre française de l’Économie Christine Lagarde – ses propos sont repris, à Dublin, dans tous les tracts du non ! –, n’est pas la seule raison de la révolte contre le traité de Lisbonne.


La crainte de voir remise en question la neutralité irlandaise, effective depuis la proclamation de la République, en 1937, est aussi un puissant moteur de rejet, qu’alimente l’intégration, prévue par le traité, des deux piliers aujour­d’hui distincts, que sont la politique de défense (jusqu’alors laissée à la discrétion des États) et la politique étrangère, désormais communautarisée.


Et pour le pays catholique à 80 % qu’est l’Irlande, la perspective de voir l’avortement devenir un “droit”, au sens de la Charte européenne des droits fondamentaux, n’est guère, c’est le moins qu’on puisse dire, un facteur d’enthousiasme.