Nicolas
DUPONT-AIGNAN

 

Député de l’Essonne

Président de Debout la République

 

27/05/2003

Retour  archives
L’EUROPE AU PIED DU MUR

 

La construction européenne affronte sans aucun doute l’une des plus graves crises depuis son lancement. En effet, la guerre d’Irak a révélé au grand jour le décalage cruel entre les appels incantatoires à l’unité européenne et la réalité des positions nationales. Or, ce grand écart existe tout autant au plan interne : il témoigne des limites d’une certaine construction européenne, qui vise, l’air de rien, à imposer aux nations la supranationalité par le biais de l’union économique, et démontre à l’envi l’impossibilité pratique d’une Europe fondée sur la contrainte et la dissimulation.

 

En effet, l’affrontement entre le rêve fédéraliste des années 50 et la permanence des faits nationaux cristallise aujourd’hui deux logiques stériles et irréconciliables : d’un côté une fuite en avant éperdue, technocratique et autoritaire, de l’autre un chacun pour soi étriqué et défensif qui interdit toute stratégie collective et éloigne les uns des autres les peuples d’Europe au lieu de les rapprocher.

 

Résultat, un véritable cercle vicieux s’est enclenché. Moins l’Europe avance, plus elle se théâtralise et se refuse au débat démocratique. Moins les peuples adhèrent, plus la Commission surenchérit dans la politique du passage en force. Plus Bruxelles se polarise sur les détails, moins les pays s’entendent sur l’essentiel.

 

Il y a encore peu, cette réalité se lisait entre les lignes. Aujourd’hui, elle s’étale à la vue de tous : il suffit en effet d’ouvrir un journal pour constater les multiples indices de cet engrenage infernal, qui déconsidère dans le cœur même de nos concitoyens la belle idée européenne.

 

Un commissaire bruxellois décide d’infliger à la FNSEA une amende de 16 millions d’euros - soit son budget annuel - pour avoir simplement tenté, avec l’accord du gouvernement de l’époque, de sauver une filière bovine en pleine déroute.

 

Une enquête est lancée contre EDF, entreprise qui produit pourtant l’électricité la moins chère d’Europe, au seul motif qu’elle a bénéficié depuis sa création d’une situation de monopole d’Etat. Dans le même esprit, Bruxelles exige de la France qu’elle lève l’interdiction de diffusion de spots publicitaires à la télévision pour l’édition et la grande distribution, disposition qui permet pourtant d’éviter une fragilisation financière accrue de la presse écrite. Notons encore que la Cour de justice européenne juge inacceptable la retraite préférentielle pour les mères de famille de plus de 3 enfants, alors que la France connaît un inquiétant vieillissement démographique.

 

Autre exemple : la Commission veut nous imposer l’anglais comme unique langue de l’Union et commence son travail de sape par l’instauration d’un brevet communautaire qui supprime l’obligation de traduction dans la langue du pays où il s’applique.

 

Relevons surtout les sanctions financières prévues contre la France au nom d’un Pacte de stabilité que Romano PRODI qualifie lui-même de « stupide ». La liste n’en finit pas des coupes budgétaires auxquelles le gouvernement va devoir procéder, dans des domaines aussi essentiels que la recherche, la formation professionnelle, les transports et le logement,… Sans parler de la sommation faite à Paris de devoir laisser couler corps et bien la firme Bull, certes mal en point, mais qui n’en demeure pas moins l’ultime outil industriel européen dans le secteur stratégique de l’informatique. Un comble ! Ainsi, sans nier la nécessité certaine d’un assainissement de nos finances publiques en période d’expansion, comment admettre que des réductions budgétaires faites à la hache en phase de ralentissement précipitent notre économie dans la récession et empêchent de l’Etat dans les domaines vitaux pour l’indépendance du pays ? Une récession qui est d’ailleurs en grande partie redevable à la politique de taux d’intérêt déraisonnablement élevé de la BCE, aux antipodes de la gestion pragmatique et efficace du dollar par la FED américaine.

 

Enfin, pour couronner le tout, la Commission fait comme si l’entrée de la Turquie était inéluctable alors même que cette adhésion provoquerait à terme l’explosion de l’Union européenne.

 

Ces décisions absurdes résultent d’une succession d’aveuglements.

 

Le premier est de croire qu’on peut bâtir l’Europe en mettant la corde au cou aux nations qui la composent et que celles-ci n’y verront que du feu lorsqu’on se mettra à les étrangler.

 

Le deuxième aveuglement consiste, une fois que les cris s’élèvent malgré tout, à se boucher les oreilles en s’imaginant que les empêcheurs d’étrangler en rond finiront par se lasser.

 

Le troisième aveuglement relève du regard dépassé que portent nos tireurs de corde sur l’évolution du monde. Près de quinze ans après la disparition de l’empire soviétique, qu’ils acceptent enfin d’ouvrir les yeux : la fin de la guerre froide n’a pas signé la mort des nations, mais au contraire leur renaissance ! En témoignent les peuples d’Europe qui refusent l’uniformisation du monde, la disparition de leur culture et de leur mode de vie, le diktat d’un capitalisme anglo-saxon qui leur est étranger, ou encore l’unilatéralisme des Etats-Unis, bref qui refusent une normalisation contraire à leurs valeurs et à leur liberté.

 

****

 

Reprise en main de leur aventure commune par les Etats-Nation, démocratisation du système, définition d’une Europe qui additionne la force de ses membres au lieu de la raboter : à l’aune de ce triple défi, les enjeux de la Convention sur l’avenir de l’Europe et de l’élargissement à l’est prennent une tout autre dimension. C’est d’un véritable sursaut et d’une complète remise à plat dont notre continent a aujourd’hui besoin, pour construire enfin une Europe solide parce que respectueuse de la liberté des nations et aimée des peuples.

 

A cet égard, l’initiative courageuse de Valéry Giscard d’Estaing est tout à fait salutaire. Elle va dans le bon sens. Poussons donc sa logique jusqu’à son terme. Travaillons enfin à des institutions ouvrant la voie à une Europe à géométrie variable. Car, si à 25 l’unanimité devient très difficile, l’extension sans limite de la majorité qualifiée au sein d’un « noyau dur » n’est pas plus concevable : imagine-t-on la France envoyer ses soldats en Irak parce que ses partenaires atlantistes le lui imposeraient ?

 

Avec l’Europe à la carte, en revanche, les intérêts vitaux des nations européennes seraient préservés. Les pays qui souhaiteraient avancer ensemble dans tel ou tel domaine en auraient désormais la possibilité dans le cadre de coopérations multilatérales sur la base de contrats d’objectifs. N’oublions pas que c’est très précisément cette approche volontariste, plurinationale et pragmatique, qui a permis la naissance d’Airbus et d’Ariane, deux champions mondiaux que les fédéralistes tentent trop souvent et avec une parfaite malhonnêteté de porter au compte de la supranationalité.

 

Ainsi, nous passerons de l’Europe carcan, impotente et déclinante, à l’Europe puissance, ensemble dynamique, complémentaire et démultiplicateur des atouts de chacun.

 

Qu’aurions-nous à y perdre ? L’Europe bruxelloise fait le vide sans rien lui substituer. Elle interdit aux Etats toute politique industrielle mais elle est incapable d’en bâtir une. Elle veut démanteler les entraves à la circulation des personnes mais elle ne veut pas protéger ses frontières extérieures. Elle reprend à son compte le dogme du libre-échange intégral, mais elle ne veut pas voir que les Etats-Unis en font la promotion pour tous les pays de la planète sauf, comme par hasard, pour eux-mêmes. Elle plaide encore pour une politique étrangère et de sécurité commune mais n’applique aucune préférence européenne en matière d’armement. « L’Europe, lieu vide de la souveraineté » : signe des temps, le constat n’appartient plus seulement à ceux qui le font depuis des années, mais à un éminent économiste, membre de l’ancien conseil économique de Lionel Jospin, Jean-Paul FITOUSSI !

 

Par idéologie et esprit de servitude, la commission de Bruxelles normalise, uniformise et libéralise au bénéfice des intérêts américains. Oui, au libéralisme mais encadré. Oui, à l’action commune mais avec une stratégie de puissance et de coopération.

 

Au lieu de multiplier les interventions dans tous les domaines, l’Europe de demain, pour compter, devra se mobiliser autour de trois priorités.

 

Il faut tout d’abord stopper le vieillissement démographique du continent par une politique nataliste audacieuse. La Commission n’en veut pas et préfère ouvrir les vannes de l’immigration, au risque de déstabiliser un peu plus la cohésion sociale et nationale des pays membres. A cet égard, l’élargissement à l’est n’est pas sans risque, y compris pour les pays candidats eux-mêmes.

 

Il faut ensuite une politique de croissance. La croissance passe, au delà de la démographie, par une articulation intelligente et dynamique entre la politique monétaire et la politique budgétaire, ce qui implique bien entendu l’abandon du Pacte de stabilité et la réforme des statuts de la Banque centrale européenne. La croissance passe aussi et surtout par la dynamisation de la recherche, de l’investissement, de la politique industrielle et du rétablissement de droits de douanes raisonnables aux frontières extérieures de l’Union. Là aussi il faut rompre avec l’hypocrisie du démantèlement des services publics et l’inéluctabilité prétendue des délocalisations vers les pays à bas coûts de main d’œuvre.

 

Troisièmement, l’Europe doit être riche de ses cultures nationales et avant tout de ses langues. Les traductions coûtent chers ? Et alors, une compréhension croissante entre les peuples du continent n’en vaut-elle pas la chandelle ? Mieux, n’est-elle pas la raison d’être ultime de l’entreprise européenne ? L’exception culturelle ne doit plus être menacée, mais au contraire sans cesse renforcée.

 

A la veille d’un élargissement indispensable mais périlleux, menacée d’une crise économique sans précédent, l’Union européenne est au pied du mur. Il est temps pour elle de sortir du dilemme du tout ou rien, dont les deux facettes sont celles du déclin.

 

Il est grand temps que la France s’engage pour une autre politique européenne. L’eurolâtrie angélique ou faussement béate et les petits arrangements entre égoïsmes nationaux sont aujourd’hui à bout. Plutôt que d’avaliser à reculons une « constitution » mort-née, négocions avec courage un nouveau et solide traité. Bâtissons donc une confédération européenne qui s’atèle à la croissance, à la renaissance démographique, à la recherche et laissons enfin prospérer les nations libres, qui sont et demeurent la force de notre Europe.