On
connaissait l’amour immodéré du président français pour
les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. On découvre
aujourd’hui sa préférence manifeste pour le Canada
anglais ! Ce serait en effet une rupture historique,
aucun dirigeant français n’ayant jamais fait ouvertement
le jeu du Canada britannique contre le Canada français…
Quelle mouche aurait piqué Nicolas Sarkozy ?
Le Devoir, édition du mardi 01 avril 2008 par Louise
Beaudoin, membre associée au CERIUM, chargée des
questions de Francophonie internationale et professeure
invitée au Département des littératures de langue
française de l’Université de Montréal.
Jean-Pierre Raffarin nous annonce que le président
Nicolas Sarkozy profiterait de son passage à Québec en
octobre prochain pour mettre à mal la politique de la
France par rapport au Québec. Cette politique, dont un
des principaux éléments, énoncé en 1977 par le ministre
de la Justice de l’époque et grand ami du Québec, Alain
Peyrefitte, s’énonce comme suit : « Non-ingérence et
non-indifférence. » Je ne suis pas étonnée que
M. Sarkozy songe à la remplacer. Je l’ai rencontré à
quelques reprises, dont une fois à la résidence du
délégué général du Québec à Paris — du temps de Clément
Duhaime — et une autre fois en compagnie de Bernard
Landry, alors chef de l’opposition officielle. Il ne
nous a pas caché, à chacune de ces occasions, son amitié
pour la famille Desmarais et le fait qu’il partageait
leur vision de l’histoire et de l’avenir du Québec.
J’ai bien senti qu’il serait difficile sinon impossible
de le convaincre de la pertinence de toute autre
version, notamment celle des souverainistes québécois.
Il m’a tout de même semblé étonnant, au cours de ces
conversations, que le futur président de la République
ne se pose pas de questions et adopte sans discussion,
en bloc, une thèse plutôt que l’autre.
Tous ses prédécesseurs, plus ou moins sympathiques à
l’indépendance du Québec, avaient au moins la curiosité
de s’informer, de débattre avec leurs interlocuteurs
québécois. Ainsi, il est bien connu — et je le sais pour
en avoir souvent discuté avec lui — que François
Mitterrand n’était pas spontanément favorable à la
souveraineté, mais, en revanche, il s’intéressait
beaucoup à la culture québécoise en plus d’avoir assuré
à Jacques Parizeau qu’il accompagnerait le Québec dans
la voie qu’il choisirait.
La vraie surprise vient plutôt du messager de cette
nouvelle, Jean-Pierre Raffarin, qui lui, au contraire,
nous avait, à Bernard Landry et moi-même, tenu un
discours différent, très différent dans la lignée de
celui des Raymond Barre, Michel Rocard, Philippe Séguin
et Jean-Pierre Chevènement, notamment. On a
l’impression, en lisant la dépêche de La Presse
canadienne de vendredi dernier, que l’ancien premier
ministre et actuel commissaire français des fêtes du
400e accepte sans état d’âme cet éventuel changement,
alors que l’on aurait pu penser qu’il défendrait auprès
du président Sarkozy les raisons et les bénéfices pour
la France et le Québec de l’actuelle politique.
Venons-en au fond de la question.
Cette politique non partisane, faut-il le souligner, a
été acceptée et reprise comme telle autant par les
libéraux du Québec, de Robert Bourassa à Jean Charest,
que par la gauche en France, de François Mitterrand à
Ségolène Royal. Jamais l’actuel premier ministre du
Québec, qui se rend souvent en France et qui accueillera
en 2008 son homologue François Fillon ainsi que Nicolas
Sarkozy, n’a-t-il publiquement, et j’imagine privément,
exigé quelque changement que ce soit à cette politique
bien établie. Pas plus que le chef de l’ADQ Mario
Dumont, reçu in extremis récemment par le premier
ministre français.
Si tous les partis politiques au Québec et en France
s’en accommodent, c’est qu’elle a des vertus et que,
derrière les mots, il y a une réalité. Toutes les
avancées du Québec sur la scène internationale sont dues
à l’appui de la France. À commencer par notre présence
en Francophonie. Si Georges Pompidou, dans un premier
temps, et François Mitterrand, dans un second temps,
n’avaient pas appuyé les demandes du Québec pour devenir
gouvernement participant de l’Agence de coopération des
pays francophones et ensuite membre de plein droit du
Sommet de la Francophonie, jamais nous ne nous serions
retrouvés dans cette enceinte où siègent avec nous 54
autres pays et territoires.
Si Lionel Jospin, en 1998, n’avait pas accepté de signer
avec Lucien Bouchard un procès-verbal créant le groupe
de travail France-Québec sur la diversité culturelle, le
Québec n’aurait jamais, au grand jamais, pu jouer sur la
scène internationale le rôle de leader qu’il a réussi à
jouer dans un dossier de ce type, une question qui
relève carrément de la politique étrangère et non pas de
la para diplomatie réservée aux États fédérés et aux
nations sans État.
Enfin — ironie de l’histoire —, cette politique a permis
à M. Raffarin d’inviter le Québec, en 2004, malgré les
protestations véhémentes de la Gazette, du National Post
et du Globe and Mail, à se joindre à la France dans le
cadre d’une mission conjointe au Mexique : pour la
première fois, la France et le Québec se déplaçaient
ensemble, au plus haut niveau, dans un pays tiers.
Que signifierait un changement de cette politique dans
le sens pro canadien annoncé ? Messieurs Raffarin et
Charest promettaient, par exemple, en 2004, d’autres
missions en pays tiers. François Fillon pourra-t-il,
dans une telle perspective, donner suite à cette
promesse ? Qu’un président de la République veuille
imprimer « sa » marque en inventant, à la limite, sa
propre petite phrase, soit ; mais le premier ministre
Charest a le devoir de lui rappeler pendant qu’il est
encore temps que, comme le disent les anglophones, « if
it ain’t broke, don’t fix it » ! Pour paraphraser Sully
Prudhomme, « elle n’est pas brisée, n’y touchez pas ».
Pourquoi la France se mettrait-elle à dos une bonne
partie de ceux qui, au Québec, de toutes les couleurs
politiques, animent cette relation unique au monde, et
ce, dans tous les secteurs, alors que personne, ni ici
ni en France, ne demande de changement ? La rupture pour
la rupture ? Alors que le Québec fête l’arrivée de
Samuel de Champlain et la naissance de la
Nouvelle-France, le moment de l’annonce de cette mise à
sac serait bien mal choisi. |