Extrait 1 : Une
entaille dans la souveraineté nationale
En 1998,
Jean-Claude Barreau publiait un livre intitulé Le coup d'Etat
invisible, où il écrivait : "Dans le nouvel ordre européen, les
élections au suffrage universel dans le cadre national sont donc
bien devenues des « pièges à cons » puisque les citoyens élisent
des députés qui ne font plus la loi. […] Le drame c'est qu'à
cause d'une propagande insistante, universelle et habile, les
citoyens n'ont pas réellement conscience de ce putsch masqué.
[…] L'Europe est ainsi devenue le grand alibi, le suprême espoir
d'une caste qui ne réussit plus à gouverner la Nation, mais
déploie en revanche une énergie sans faille pour construire une
Europe imaginaire."
Charge
salutaire contre la démolition à petits pas, mais avec les
apparences de la légalité, de la démocratie française par la
faute de la discrète abdication de ses propres élites, ce livre
choc n'a pas, dix ans plus tard, pris une ride. Ou plutôt si,
une seule : avec l'incroyable affaire du traité européen «
simplifié » que Nicolas Sarkozy fait approuver, le coup d'Etat
n'est plus invisible. Sans complexe depuis qu'il a berné
l'électorat populaire, le président de la République demande au
Parlement de ratifier un traité refusé par le peuple deux ans
auparavant. Et pour la première fois depuis la Libération, des
dispositions institutionnelles majeures ne seront pas soumises
au peuple français. La représentation parlementaire, dans un
silence organisé, entame profondément la souveraineté nationale
dont le peuple est pourtant le seul détenteur.
Il est
vrai que depuis la douche froide du référendum sur Maastricht en
1992, l'abandon de la souveraineté française aux autorités
administratives bruxelloises s'était opéré le plus possible dans
le respect apparent des formes de la démocratie et de la
République, mais sans plus demander son avis au peuple. C'est la
raison qui explique la voie parlementaire pour la ratification
des traités d'Amsterdam et Nice. Mais ces deux traités, qui ont
certes provoqué de nouveaux et graves abandons de souveraineté
(je les ai combattus), demeuraient encore trop timides et
timorés au regard de l'objectif final des européistes
d'instaurer un super-Etat intégré, bâti sur la démolition
définitive des démocraties nationales. Ils ne permirent en somme
qu'une victoire limitée et partielle contre la liberté des
peuples, renvoyant toujours à plus tard une offensive décisive
qu'on ne savait pas comment déclencher sans qu'elle apparaisse
au grand jour pour ce qu'elle était en réalité. L'éternelle et
lancinante hésitation devant le Rubicon…
Extrait 2 : Le traité de Lisbonne, si différent que ça du Traité
constitutionnel ?
On pourra
difficilement douter de la similitude entre ce traité et la
Constitution Giscard. Seuls les dirigeants du Parti Socialiste
français soulignent ses prétendues insuffisances pour minimiser
le fait qu'ils vont laisser ratifier par le Parlement, au mépris
de leurs promesses, ce que le suffrage universel a refusé. Mais
pour l'ensemble des observateurs, ces traités sont identiques.
A
commencer par ses inspirateurs ou signataires :
Valéry
Giscard d'Estaing : "Le nouveau texte ne devait pas ressembler
trop au traité constitutionnel. Les gouvernements européens se
sont ainsi mis d'accord sur des changements cosmétiques à la
Constitution pour qu'elle soit plus facile à avaler. » Audition
au Parlement européen, 17 juillet 2007
Angela Merkel : « La substance de la Constitution est maintenue.
C'est un fait." The Daily Telegraph, 29 juin 2007
Jose Luis
Zapatero : "Nous n'avons pas abandonné un seul point essentiel
de la Constitution… C'est sans aucun doute bien plus qu'un
traité. C'est un projet de caractère fondateur, un traité pour
une nouvelle Europe." Discours du 27 juin 2007
Valéry
Giscard d'Estaing encore : « Une dernière trouvaille consiste à
vouloir conserver une partie des innovations du Traité
constitutionnel, et à les camoufler en les faisant éclater en
plusieurs textes. Les dispositions les plus innovantes feraient
l'objet de simples amendements aux traités de Maastricht et de
Nice. Les améliorations techniques seraient regroupées dans un
Traité devenu incolore et indolore. L'ensemble de ces textes
serait adressé aux Parlements, qui se prononceraient par des
votes séparés. Ainsi l'opinion publique serait-elle conduite à
adopter, sans le savoir, les dispositions que l'on n'ose pas lui
présenter "en direct". » Le Monde, 14 juin 2007 et Sunday
Telegraph, 1er juillet 2007.
En
conclusion, on voit combien le « succès » attribué à Nicolas
Sarkozy est en réalité celui d'une oligarchie européenne qui n'a
rien lâché sur le contenu de la Constitution européenne, aidée
en cela par l'Allemagne et la Grande-Bretagne qui ont habilement
manœuvré pour promouvoir leurs propres intérêts. Ainsi, si on a
accusé pendant deux ans la France de vouloir imposer sa vision
des choses à l'Europe, c'était en réalité, tout au contraire,
pour mieux permettre à d'autres de lui imposer la sienne, au
prix d'un reniement complet.
Extrait 3 : Les responsabilités du Parti socialiste
En 2007,
le coup d'Etat simplifié de Nicolas Sarkozy attaque lui aussi la
démocratie dans son point faible, ses élites. Les corps
constitués, les institutions qui devraient la défendre, soit
resteront l'arme au pied, soit se comporteront en 5ème colonne
ouvrant le passage à l'assaillant.
On vient
de le voir, les médias en font partie puisque, relayant par
complaisance le discours dominant qui sème la confusion, ils ont
en même temps abdiqué leur mission de « 4ème pouvoir », de
contre-pouvoir face à un club de dirigeants français et
européens qui prétendent dicter leur loi au peuple. Car à la
différence de mai 1940, on assiste moins aujourd'hui à un
affrontement entre l'Allemagne et la France qu'à une tentative
de mise au pas des peuples par leurs élites.
Mais que
dire des partis de gouvernement engagés il y a encore quelques
mois dans une campagne présidentielle où les engagements
européens ne manquèrent pas ?
Le Parti
Socialiste est la seule force politique parlementaire à pouvoir
s'opposer efficacement au coup d'Etat simplifié. Tout devrait
l'y pousser : un électorat majoritairement hostile aux dérives
de l'Union européenne, la promesse de sa candidate à l'élection
présidentielle d'organiser un nouveau référendum, un statut
d'opposant qui ne peut que l'inciter à résister au pouvoir en
place et plus encore à ses abus, une identité politique qui
gagnerait, au-delà de la question européenne, à se refonder
autour de la défense d'une démocratie effectivement en péril.
Pourtant,
c'est avec soulagement sinon enthousiasme que les élus du PS,
toute honte bue, voteront très majoritairement la révision
constitutionnelle et la ratification de la Constitution-bis de
Nicolas Sarkozy.
Pourquoi
ce qu'il faut bien appeler une telle trahison ? Les arguments
invoqués sonnent aussi faux que ceux des partisans de la
ratification parlementaire, ils sont même parfois identiques !
Ainsi François Hollande, qui affirme que les Français ne
souhaitent pas de référendum puisqu'ils ont élu Nicolas Sarkozy
à l'Elysée, lequel aurait annoncé la couleur à propos de la
ratification parlementaire. Mais à cette aune, pourquoi ne pas
voter toutes les réformes soutenues par la majorité ? Mieux,
pourquoi ne pas proposer la création d'un parti unique
regroupant la gauche et la droite qui soutiendrait tous les
futurs présidents de la République, quel que soit leur bord ?
C'est se moquer du monde… On entend aussi que le fond (le
traité) doit l'emporter sur la forme (son mode de ratification),
que le PS doit préserver son unité (laquelle a de nouveau volé
en éclats lors de son Bureau National consacré à la question),
qu'il doit contribuer à sortir l'Europe de la crise,…
La manière
dont Ségolène Royal a retourné sa veste, moins de six mois après
avoir fait campagne pour un nouveau référendum, fut à cet égard
d'un mépris et d'une lâcheté comme on n'en avait pas vu depuis
des décennies : au milieu d'une interview fleuve accordée au
quotidien Libération, lequel se garda bien de lui poser des
questions qui fâchent, celle qui se voyait avant mai 2007 comme
une sorte de nouvelle Jeanne d'Arc ou l'Evita Perron de
l'Hexagone, explique en trois coups de cuillère à pot qu'il «
vaut mieux un compromis plutôt que rien. L'intégration de la
Charte européenne des droits fondamentaux est une avancée très
importante. C'est pourquoi nous devons faire bloc avec les
socialistes portugais, espagnols, allemands et les autres, et
adopter ce texte au plus vite pour passer à l'étape suivante :
la préparation du traité social. La question de la procédure
d'adoption, parlementaire ou référendaire, n'est plus une
question de principe. Nous n'avons pas de temps à perdre à nous
diviser. » Ces affirmations à la sauvette, cœur de cette
interview enrobé dans plus de trois pages consacrées à sa
stratégie de conquête du PS et d'alliance avec François Bayrou,
sont un tissu de mensonge et de reniement. De quelle «
intégration de la Charte » parle-t-elle, cette dernière étant
déjà inscrite dans la Constitution Giscard rejetée en 2005 ?
Quel est donc ce « compromis » par lequel 90 à 100% du précédent
traité se retrouve dans le texte signé à Lisbonne ? Quant à la
tarte à la crème du « traité social », s'imagine-t-elle que ses
électeurs sont à ce point des imbéciles ou des amnésiques qu'ils
en auraient oublié qu'on les balade depuis 15 ans très
exactement avec cette mauvaise plaisanterie ? Quelle ignominie
de résumer l'existence, ou non, de la démocratie dans notre pays
à une simple question de « procédure d'adoption » (« d'adoption
» bien sûr, pas le choix !), à une simple « question de principe
qui n'en est plus une » (on se demande bien pourquoi) relégable
au deuxième ou troisième plan derrière l'unité prétendument
retrouvée du Parti Socialiste ! Enfin, le devoir de celui ou
celle qui brigue la charge suprême de la République est-il de «
faire bloc avec les socialistes portugais, espagnols et
allemands » ou avec… le peuple français ?
Extrait 4 : L'Europe, un plan B avec les Etats-nations ?
Sauf à
considérer que la France est une notion dépassée, l'Europe ne
doit servir à faire à plusieurs, avec un minimum de contrainte,
que ce que l'on ferait moins bien tout seul et ce, bien sûr,
sans jamais sacrifier ses intérêts supérieurs (à commencer par
la souveraineté nationale). L'erreur fondamentale de l'actuelle
construction européenne est de poser des objectifs abstraits ou
irréalisables, puis d'imposer des politiques à marche forcée
pour les atteindre artificiellement. Construire la seule Europe
qui soit vraiment réaliste impliquera de rompre absolument avec
cet état d'esprit idéologique et vaniteux, qui prétend faire
abstraction des réalités tangibles et sensibles pour créer au
forceps une nation improbable (à tout le moins). Quand
comprendra-t-on que « construire l'Europe » au détriment des
nations, c'est en fin de compte se priver et des nations et de
l'Europe ?
Le temps
paraît donc venu de sortir de l'impasse communautaire actuelle
(niveleuse, impotente et moins-disante) pour choisir clairement
entre un fédéralisme franc - qui se donnerait les moyens d'une
réelle solidarité continentale mais reste invraisemblable
politiquement - et une nouvelle construction européenne
respectueuse des nations, qui soit à la fois plus réaliste dans
sa finalité, plus ambitieuse dans son contenu et plus souple
dans ses modalités.
Quant à la
finalité, posons d'emblée que l'objet de toute coopération
européenne véritablement démocratique et réaliste doit être de
rapprocher progressivement les peuples européens au travers de
partenariats solides et librement consentis, mais sans jamais
leur ôter leur personnalité propre. La défense affirmée des
intérêts nationaux (plutôt que la recherche contrainte d'un
improbable compromis par le bas) devrait permettre d'avancer de
manière solide et assumée, sans drame ni tension excessive.
Promouvoir l'Europe sur une telle base, c'est ainsi donner un
chance supplémentaire à chacun des peuples qui la forme et c'est
la seule manière de bâtir une « Europe-puissance » qui, en aucun
cas, ne peut reposer sur des nations affaiblies, contraintes
d'assumer des responsabilités mondiales dont elles ne voudraient
pas ou à l'inverse obligées d'y renoncer pour complaire aux
Etats-Unis.
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