Le Parlement peut-il désavouer le peuple ?
La
signature, le 13 décembre 2007, du traité de Lisbonne sur
l’Union européenne conduit à soulever une question
constitutionnelle : le Parlement peut-il désavouer le peuple ?
Les données du problème sont simples et connues :
1.- Par le référendum du 29 mai 2005, le peuple français a
refusé la ratification du traité établissant une Constitution
pour l’Europe ;
2.- Le traité de Lisbonne, dont chacun reconnaît qu’il reprend
l’essentiel du traité de Rome, constitue une étape très
significative du « processus d’intégration européenne » ;
3.- Dans ces conditions, que l’on soit favorable ou défavorable
au traité, peut-on passer outre à la décision du peuple de mai
2005 en l’annulant par un vote du Parlement ?
Dans la
France contemporaine, le référendum de 2005 est le troisième
référendum négatif . Après le référendum du 5 mai 1946, une
nouvelle Assemblée constituante a été élue et un nouveau
référendum, le 13 octobre 1946, a permis d’adopter la
Constitution de la IVe République. Le 27 avril 1969, le peuple
français a rejeté le projet présenté par le général de Gaulle à
propos de la régionalisation et d’une réforme du Sénat. Le
résultat a entraîné, dans les heures qui suivirent, la démission
du président de la République. De ce fait, cette réforme est
restée lettre morte. La ratification du traité de Lisbonne par
le Parlement, suite à un échec référendaire, consisterait donc
une première.
D’un
strict point de vue constitutionnel, la procédure normale de
ratification d’un traité relève du Parlement. Ce n’est que
lorsque le traité, sans être contraire à la Constitution, est
susceptible d’avoir des conséquences sur les institutions que le
président de la République peut demander l’accord du suffrage
universel.
Le
référendum du 20 septembre 1992 sur le traité de Maastricht
était fondé dans la pensée de François Mitterrand sur les
conséquences des évolutions politiques et juridiques contenues
dans le traité. Un raisonnement identique avait conduit Jacques
Chirac à décider le référendum de 2005 sur le traité
constitutionnel.
Le traité
de Lisbonne contient non seulement d’importants aménagements et
renforcements des politiques sectorielles de l’Union européenne,
notamment en matière de justice et de sécurité intérieure, mais
reprend les innovations les plus significatives de l’évolution
prévues par le traité constitutionnel de 2004 et adopte, même si
le lien est moins apparent, la charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne. Il y aurait donc toutes les raisons de
prolonger les raisonnements de 1992 et 2005 et demander au
peuple français d’approuver le nouveau traité. Prétendre que ce
traité, sous prétexte qu’il comprend désormais un traité de
l’Union européenne et un traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne, serait un « minitraité » ou un « traité simplifié »
relève d’une erreur d’analyse et d’un abus de vocabulaire. Pour
éviter de multiples consultations, le référendum pourrait être
organisé en même temps que le premier tour des élections
municipales, le 9 mars prochain.
À partir
du moment où le traité de Lisbonne n’est pas substantiellement
différent de celui de 2004, demander au Parlement de désavouer
le peuple aurait un double inconvénient : amoindrir la confiance
des Français dans leur système politique et constitutionnel ;
enfermer l’Europe politique dans le cénacle des spécialistes et
lui refuser une véritable légitimité démocratique.
Un nouveau
référendum pourrait être à nouveau un grand moment de débat
démocratique. Aux partisans du oui d’être convaincants. |
Conseiller
d'Etat - Professeur associé à l'université de Paris I -
Rapporteur général de la commission des archives
constitutionnelles de la V République - Conseiller municipal et
ancien adjoint au maire de Samois-sur-Seine - Diplômé de
l'Institut d'études de Paris, d'études supérieures de droit
public et de sciences économiques et licencié en lettres -
Chargé par le Président de la République, de publier les
"Travaux préparatoires de la Constitution de 1958" (1984 à 2002)
- Directeur de cabinet du ministre chargé des relations avec le
Parlement (mars 1986) - Enseigne à l'Institut d'études
politiques de Paris (1973 à 1998) - Président de l'Association
de droit constitutionnel depuis 1999 - Vice président de
l'Association internationale de droit constitutionnel - Membre
du conseil d'administration de l'Association française de
science politique ( 1998 à 2000) - Fonde et dirige la Revue
française de droit constitutionnel en 1990 - Directeur de
l'Institut international d'administration publique ( 1993 à
2001) - Auteur de nombreux articles, rapports et conférences sur
le droit constitutionnel, les institutions politiques, la
pratique institutionnelle de la Ve République et le droit
constitutionnel comparé, en France et à l’étranger - A notamment
publié "Les grands textes de la pratique constitutionnelle de la
Ve République," La Documentation française, 8e éd., 1998, "Le
Parlement sous la Ve République", PUF, coll. « Que sais-je ? »,
3e éd., 1996.
Membre de l'Observatoire depuis 2006, en
remplacement de Dominique Chagnollaud démissionnaire, suite à sa
nomination au Conseil supérieur de la magistrature |