«On s'occupe de moi ; j'ai
quelqu'un de très haut placé qui ne m'abandonne pas. Je sais que
le général de Gaulle, mon ancien élève, fait tout ce qu'il peut
pour adoucir mon sort. » Ces paroles, Pétain les a prononcées
devant l'aumônier du Portalet, sombre forteresse des Pyrénées où
il fut détenu durant quelques semaines à l'automne 1945 après sa
condamnation par la Haute Cour. Malgré la violence de
l'antagonisme qui les avait opposés, le Maréchal avait des
sentiments ambivalents à l'égard de l'homme du 18 Juin.
De son côté, Charles de Gaulle,
tout en condamnant avec force l'armistice de 1940, s'est
toujours efforcé d'être équitable à l'égard de son ancien
supérieur, comme l'atteste ce jugement délivré en 1966 à
l'occasion du 50e anniversaire de Verdun : « Si par malheur, en
d'autres temps, dans l'extrême hiver de sa vie et au milieu
d'événements excessifs, l'usure de l'âge mena le Maréchal Pétain
à des défaillances condamnables, la gloire que vingt-cinq ans
plus tôt il avait acquise à Verdun en conduisant les armées
françaises à la victoire ne saurait être contestée ni méconnue
par la patrie. »
De Gaulle-Pétain : l'histoire de
ce duo a déjà suscité de nombreuses études, en particulier un
remarquable livre de Raymond Tournoux, aujourd'hui injustement
oublié (Pétain et de Gaulle, Plon, 1964). Fin connaisseur de la
France contemporaine, biographe d'Albert Camus, l'essayiste
américain Herbert Lottman ne prétend pas renouveler entièrement
le sujet. Son propos est de remettre dans une perspective vraie
l'histoire de ces deux figures, déformée par les passions et le
« politiquement correct ».
A priori, tout semblait opposer
Pétain et de Gaulle, dont la première rencontre remonte à 1912,
quand le futur Maréchal commandait à Arras le 33e R.I. Entre eux
il y aura toujours la différence qu'il peut y avoir entre un
célibataire endurci, sans famille, et un homme qui a appris
l'histoire de France parmi les siens. Issu d'un milieu rural
modeste, Philippe Pétain, instinctivement, se rattache à la
terre, seule réalité sensible pour lui. Par sa lignée, le futur
fondateur de la Ve République a davantage le sens d'une
continuité historique et donc d'une nécessaire diversité.
Pourtant et malgré d'autres divergences de caractère plus
technique dans le domaine militaire, il est de fait qu'entre les
deux hommes exista une forte sympathie cimentée d'abord par un
même anticonformisme. Après la Grande Guerre, en plusieurs
circonstances, de Gaulle trouva un appui appréciable auprès du
Maréchal.
Pétain entendait être obéi
Comme le suggère Lottman, ces
relations, jusque-là sans nuages, se dégradèrent à partir du
moment où celui que ses camarades appelaient « le Connétable »
en raison de son attitude altière, devint le « nègre » du
Maréchal, candidat à l'Académie française. Pétain entendait être
obéi. De Gaulle voulait rester libre et voir son travail
reconnu. Dès lors, une épreuve de force était inéluctable. Elle
survint par étapes, cette querelle d'hommes de lettres aggravant
encore les rapports entre les deux protagonistes engagés à
partir de juin 1940 dans une confrontation sans merci la fameuse
thèse du « bouclier et de l'épée » n'ayant à l'évidence aucune
réalité dans leur esprit.
Le mérite d'Herbert Lottman est
de donner au lecteur les pièces d'un puzzle complexe sans
imposer ses conclusions. On est loin de la légende sulpicienne.
Au fil des pages, on découvre un Pétain très conscient du rôle
de l'aviation dès les années vingt, et un de Gaulle entrant
progressivement dans son nouveau rôle en juin 1940. Au chapitre
des bizarreries de ces relations, Lottman aurait pu ajouter
qu'en 1958 la Maréchale Pétain fit campagne autour d'elle en
faveur de la nouvelle Constitution, n'hésitant pas en la
circonstance à faire parler son mari mort
à l'île d'Yeu en 1951.
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Herbert Lottman analyse la
relation complexe qui lie l'homme du 18 Juin au vainqueur de
Verdun.
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