21 avril, 21h21…

01/05/2002

 

Un coup de tonnerre. Ces mots, fort justement choisis par Lionel Jospin resteront le symbole de ce premier tour.

Ce soir, j'ai l'impression de m'être fait voler mon droit à la parole , celle que je comptais donner le 5 mai. L'espoir  - fou – que j'avais d'un changement s'est envolé.

Il ne s'agit pas de s'étendre sur l'identité des fautifs, car ils sont nombreux : c'est bien sûr la gauche, qui, incapable de s'unir dans son intérêt et dans le nôtre, n'a su empêcher l'émiettement des intérêts et l'hémorragie d'électeurs; c'est aussi celle des instituts de sondage, qui – même si nous savons qu'ils ne sont pas fiables - ne cessent de nous rappeler que les candidats naturels, presque fatals du second tour sont Jospin et Chirac; c'est la mienne, moi qui aie voulu protester en choisissant un "petit candidat", avec la certitude que cela ne changerait rien; c'est celle enfin de ces citoyennes et de ces citoyens – que l'on ne peut en aucun cas blâmer -, qui ont dispersé leurs voix, par dépit ou par colère; alors que les électeurs disciplinés d'extrême-droite ont su unir les leurs. 

Ainsi le succès de M. Le Pen est le résultat d'une habile exploitation du désarroi et de l'incertitude des citoyens, qui ne savent plus à qui faire confiance. L'émiettement des voix et le grand nombre de candidats au 1er tour l'ont parfaitement servi.

 Il ne faut pas s'attarder sur cette erreur. Désormais, je suis profondément convaincue qu'aucun citoyen responsable et conscient  n'a plus le choix: il faut absolument voter au second tour, et voter Chirac.

Pourquoi voter pour un homme critiqué à juste titre, qui a trahi les espoirs qui ont été mis en lui il y a sept ans, et qui ne représente pas le renouveau tant attendu ?

Simplement parce qu'il ne s'agit plus de choisir, mais d'éliminer. Le second tour fait place au vote utile: il faut choisir le "moins pire", le moins dangereux, le moins éloigné de nos convictions.

Or, Le Pen ne représente ni un choix tolérable, ni un choix décent:

  Le Pen, c'est avant tout l'héritier du fascisme, du nazisme, aussi édulcoré que soit son discours. Il ne faut pas se laisser aveugler par une nouvelle image "politiquement correcte", mais bien voir les lacunes, les flous que comportent ses interventions: le vrai programme, nous ne le connaissons pas alors que l'Histoire l'a déjà trop vécu.

J'admets que Le Pen n'est pas Hitler[1], mais il est intolérable qu'il accepte cet héritage (tout comme le Robert Hue accepte celui du communisme). Il est intolérable, qu'un homme puisse s'emparer du pouvoir en effrayant ses compatriotes, en exagérant leurs craintes, en restant à l'affût des erreurs commises par de vrais hommes politiques.

 Au cours de cette campagne, c'est J.M. Le Pen qui a le mieux compris comment utiliser les médias et comment faire une "campagne lisse": n'a-t-il jamais fait allusion à des thèses racistes ? Non, il a préféré focaliser l'attention des électeurs sur d'hypothétiques complots dont il aurait été victime. Pourtant ces thèses existent, elles sont dans sa tête et dans son cœur ! Qu'est ce que la "fraternité française" qu'il promet de rétablir ? Depuis quand le mot "fraternité" tolère-t-il un qualificatif ? Peut-on gouverner un pays en exaltant sa "grandeur éternelle" et en promettant de restaurer un âge d'or illusoire ?

  Le Pen, c'est aussi la ruine de l'idée républicaine, par l'anéantissement de l'esprit fraternel et égalitaire dont la France est tellement fière; par le cloisonnement, l'enfermement des citoyens sur une culture épurée de toutes les polémiques qui font sa richesse et sa vitalité.

  Le Pen, c'est enfin l'acceptation par les citoyens du désespoir, de la peur. Placer un homme tel que lui à la tête de notre pays, c'est arrêter d'avoir de l'ambition, c'est faire notre l'idée que nous vivons dans une France décadente, définitivement en crise et qui n'a plus d'autre solution  que l'étroitesse d'esprit, qui n'a plus d'autre projet que celui du repli sur soi, comme un animal malade qui sent sa fin proche et s'isole pour mourir.

Alors ce soir, il est trop tôt pour avoir honte et trop tôt aussi pour nous décourager. Nous sommes entrés dans un processus qui nous dépasse, mais il est encore de notre pouvoir de rectifier – si nous ne pouvons pas corriger radicalement – le cours qu'ont pris les choses.

Même si je suis amère, même si cela me déplaît de voter Chirac, je le ferai tout de même le 5 mai, parce qu'il est l'ultime rempart de la république, de la démocratie – valeurs qu'il n'a jamais trahies -, et pour moi, l'incarnation d'un immense espoir tout simple: celui de voir les Français s'unir – au moins une fois – contre celui qui représente la régression, le triomphe de l'égoïsme et de l'instinct contre l'ouverture, la raison et la civilisation.

Voter Jacques Chirac c'est accomplir, à mes yeux, son devoir de citoyen responsable.

Votons Chirac pour être sûrs de pouvoir encore voter dans 5 ans, pour élire notre prochain président. Ne cédons pas à la tentation naturelle de l'abstention, gardons au contraire à l'esprit que si nous, électeurs, de gauche, centristes ou de droite - mais en tout cas citoyens républicains -  ne votons pas; l'électorat de Le Pen, lui, répondra présent et effectuera le choix pour nous.

Alors il me semble que nous n'avons plus le choix, si nous voulons pouvoir garder la tête haute, si nous voulons rester fiers de notre pays,  il nous faut faire abstraction  - pour un temps - de nos déceptions, et aussi de nos rêves,  pour simplement  "voter utile"…

Laëtitia Favrie



[1] « Notre National-Socialisme est le futur de l’Allemagne. Bien que ce futur soit économiquement résolument à droite, nos cœurs resteront à gauche. Mais par-dessus tout, jamais nous n’oublierons que nous sommes allemands ». Adolf Hitler, 29/11/1932, discours de clôture du congrès annuel du NSDAP. Troublant, n’est-ce pas ?