Nicolas
Sarkozy, désormais revêtu du titre de chanoine honoraire de
Saint-Jean-de-Latran, a profité de son « investiture » pour
ouvrir une séquence de communication sur le thème de la laïcité
en appelant à l’avènement d’une « laïcité positive » qui sache
« veiller à la liberté de pensée », mais qui « assume également
les racines chrétiennes » de la France. Glosons un peu.
Dans son
discours, Nicolas Sarkozy, qui a rappelé qu’il succède dans le
titre à Henri IV, déclare : « Un homme qui croit, c’est un homme
qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait
beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection
progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des
banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres,
n’ont pas rendu les Français plus heureux. C’est une évidence. »
« C’est
pourquoi, poursuit-il, j’appelle de mes vœux l’avènement d’une
laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui, tout en
veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas
croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais
plutôt un atout. Il ne s’agit pas de modifier les grands
équilibres de la loi de 1905. Les Français ne le souhaitent pas
et les religions ne le demandent pas. Il s’agit en revanche de
rechercher le dialogue avec les grandes religions de France et
d’avoir pour principe de faciliter la vie quotidienne des grands
courants spirituels plutôt que de chercher à le leur
compliquer. »
Nicolas
Sarkozy, posant ces principes, les a étayés d’encouragements
appuyés envers l’Église : « Ce que j’ai le plus à cœur à vous
dire, c’est que, dans ce monde obsédé par le confort matériel,
la France a besoin de catholiques convaincus qui ne craignent
pas d’affirmer ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient »,
a-t-il lancé juste après avoir été installé comme « chanoine
d’honneur » du Latran. Il a également établi un parallèle entre
la vocation cléricale et son propre sacerdoce politique : « Je
comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre
vocation parce que je sais ceux que j’ai faits pour réaliser la
mienne », a-t-il déclaré...
Opium du
peuple : TF1 ne suffit plus ?
« Laïcité
positive »... étrange expression qui, dans l’esprit du Président
de la République, doit relever d’une sorte de raccourci se
voulant « pédagogique » : combiner la notion de laïcité à une
allusion évidente à la discrimination positive, c’est créer une
toute sarkozienne contradiction et s’avancer imprudemment sur un
terrain dangereux. Par ses paroles, qui reviennent à situer la
religion sur le terrain de son utilité sociale et politique,
comme facteur d’ordre public et de paix sociale en somme,
Nicolas Sarkozy désigne avec une clarté étonnante la croyance
comme opium du peuple.
Telle est
précisément ce que François Bayrou a relevé quelques jours plus
tard dans Le Figaro : « Quand on a besoin d’un adjectif, c’est
qu’on veut changer le sens du mot. Il y a dans le discours
prononcé à Saint-Jean-de-Latran quelque chose de profond, passé
à peu près inaperçu, une remise en cause de la conception de la
laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération,
la France s’est construite », estime le président du MoDem.
« C’est le retour, qu’on croyait impossible en France, du
mélange des genres entre l’Etat et la religion. Ce mélange des
genres n’a jamais produit de bons fruits, je le dis comme
citoyen, et je le dis aussi comme chrétien de conviction »,
poursuit M. Bayrou. Pour ce dernier, « cette conception
sociologique de la religion, fournissant “l’espérance” qui fait
que les peuples se tiennent tranquilles et respectent les règles
établies, on croyait qu’elle était loin derrière nous ! Ce n’est
pas autre chose que “l’opium du peuple” que dénonçait Marx ».
Avec ce
concept de « laïcité positive », Nicolas Sarkozy, dessine aussi,
à nouveau, les contours d’un espace public de plus en plus
poreux aux représentations communautaires, qu’elles soient
ethniques ou religieuses. Lisons Jean-Pierre Raffarin,
conseiller en laïcité du Président de la République : « Au débat
passéiste entre “la morale laïque” et “la religion civile”,
telle que la définissait Rousseau, je préfère le concept
d’“éthique antérieure” de Paul Ricœur, car les religions sont,
en amont, des sources pour les normes de la morale publique. »
Que les religions aient été, historiquement, les sources de la
morale laïque et républicaine, c’est une réalité qui s’explique
d’ailleurs simplement : les religions ont été, des siècles
durant — et sont encore en bien des territoires dans le monde —,
fondatrices de principes d’organisation et agents de régulation
politique et sociale.
Sur cet
édifice, la République et la notion de laïcité qu’elle a
introduite ont permis d’objectiver et d’universaliser ces
principes et ces régulations en érigeant, par delà les
confessions et les convictions, une morale commune à tous, des
valeurs partagées, un socle sur lequel s’érige la citoyenneté.
« On se constitue comme citoyen indépendamment de ce qu’on est
préalablement, aux plans religieux ou culturel, rappelle
Catherine Kintzler sur
Marianne2.fr. La société politique ne peut garantir la
liberté d’expression que si elle est aveugle sur les croyances
des citoyens et si elle s’abstient de se prononcer sur ce sujet.
C’est ce que garantit d’ailleurs la loi de 1905. » En somme, la
laïcité apporte des garanties pour le bon fonctionnement de
l’espace public et ce d’autant plus qu’elle est clairement posée
face aux affirmations religieuses ou communautaires. C’est
pourquoi il est pour le moins étrange d’assister à cette
nouvelle offensive sarkozienne en faveur d’une laïcité
« rénovée » où la claire intention est de minorer la vocation
unificatrice de la République et de transférer aux religions du
crédit à due proportion.
En posant
ce principe de « laïcité positive », Nicolas Sarkozy prend
encore la tête de Janus. Constante du personnage, l’utilisation
— invention ou réactivation — de concepts à double-face lui
permet de cultiver une ambiguïté dont, en bon mitterrandien, il
a appris à profiter. Elle lui permet aussi de conserver une
longueur d’avance sur le terrain des idées, de maîtriser les
termes du débat pour le mener où il le veut. Entre « laïcité
positive » et, maintenant, « politique de civilisation », le
Président de la République nous stimule-t-il ou nous
embrouille-t-il ?
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