Communiqué du 25 janvier 2008

 

La suspecte laïcité « positive » de Nicolas Sarkozy

 

Nicolas Sarkozy, désormais revêtu du titre de chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran, a profité de son « investiture » pour ouvrir une séquence de communication sur le thème de la laïcité en appelant à l’avènement d’une « laïcité positive » qui sache « veiller à la liberté de pensée », mais qui « assume également les racines chrétiennes » de la France. Glosons un peu.

Dans son discours, Nicolas Sarkozy, qui a rappelé qu’il succède dans le titre à Henri IV, déclare : « Un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux. C’est une évidence. »

« C’est pourquoi, poursuit-il, j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. Il ne s’agit pas de modifier les grands équilibres de la loi de 1905. Les Français ne le souhaitent pas et les religions ne le demandent pas. Il s’agit en revanche de rechercher le dialogue avec les grandes religions de France et d’avoir pour principe de faciliter la vie quotidienne des grands courants spirituels plutôt que de chercher à le leur compliquer. »

Nicolas Sarkozy, posant ces principes, les a étayés d’encouragements appuyés envers l’Église : « Ce que j’ai le plus à cœur à vous dire, c’est que, dans ce monde obsédé par le confort matériel, la France a besoin de catholiques convaincus qui ne craignent pas d’affirmer ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient », a-t-il lancé juste après avoir été installé comme « chanoine d’honneur » du Latran. Il a également établi un parallèle entre la vocation cléricale et son propre sacerdoce politique : « Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que je sais ceux que j’ai faits pour réaliser la mienne », a-t-il déclaré...

Opium du peuple : TF1 ne suffit plus ?

« Laïcité positive »... étrange expression qui, dans l’esprit du Président de la République, doit relever d’une sorte de raccourci se voulant « pédagogique » : combiner la notion de laïcité à une allusion évidente à la discrimination positive, c’est créer une toute sarkozienne contradiction et s’avancer imprudemment sur un terrain dangereux. Par ses paroles, qui reviennent à situer la religion sur le terrain de son utilité sociale et politique, comme facteur d’ordre public et de paix sociale en somme, Nicolas Sarkozy désigne avec une clarté étonnante la croyance comme opium du peuple.

Telle est précisément ce que François Bayrou a relevé quelques jours plus tard dans Le Figaro : « Quand on a besoin d’un adjectif, c’est qu’on veut changer le sens du mot. Il y a dans le discours prononcé à Saint-Jean-de-Latran quelque chose de profond, passé à peu près inaperçu, une remise en cause de la conception de la laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération, la France s’est construite », estime le président du MoDem. « C’est le retour, qu’on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l’Etat et la religion. Ce mélange des genres n’a jamais produit de bons fruits, je le dis comme citoyen, et je le dis aussi comme chrétien de conviction », poursuit M. Bayrou. Pour ce dernier, « cette conception sociologique de la religion, fournissant “l’espérance” qui fait que les peuples se tiennent tranquilles et respectent les règles établies, on croyait qu’elle était loin derrière nous ! Ce n’est pas autre chose que “l’opium du peuple” que dénonçait Marx ».

Avec ce concept de « laïcité positive », Nicolas Sarkozy, dessine aussi, à nouveau, les contours d’un espace public de plus en plus poreux aux représentations communautaires, qu’elles soient ethniques ou religieuses. Lisons Jean-Pierre Raffarin, conseiller en laïcité du Président de la République : « Au débat passéiste entre “la morale laïque” et “la religion civile”, telle que la définissait Rousseau, je préfère le concept d’“éthique antérieure” de Paul Ricœur, car les religions sont, en amont, des sources pour les normes de la morale publique. » Que les religions aient été, historiquement, les sources de la morale laïque et républicaine, c’est une réalité qui s’explique d’ailleurs simplement : les religions ont été, des siècles durant — et sont encore en bien des territoires dans le monde —, fondatrices de principes d’organisation et agents de régulation politique et sociale.

Sur cet édifice, la République et la notion de laïcité qu’elle a introduite ont permis d’objectiver et d’universaliser ces principes et ces régulations en érigeant, par delà les confessions et les convictions, une morale commune à tous, des valeurs partagées, un socle sur lequel s’érige la citoyenneté. « On se constitue comme citoyen indépendamment de ce qu’on est préalablement, aux plans religieux ou culturel, rappelle Catherine Kintzler sur Marianne2.fr. La société politique ne peut garantir la liberté d’expression que si elle est aveugle sur les croyances des citoyens et si elle s’abstient de se prononcer sur ce sujet. C’est ce que garantit d’ailleurs la loi de 1905. » En somme, la laïcité apporte des garanties pour le bon fonctionnement de l’espace public et ce d’autant plus qu’elle est clairement posée face aux affirmations religieuses ou communautaires. C’est pourquoi il est pour le moins étrange d’assister à cette nouvelle offensive sarkozienne en faveur d’une laïcité « rénovée » où la claire intention est de minorer la vocation unificatrice de la République et de transférer aux religions du crédit à due proportion.

En posant ce principe de « laïcité positive », Nicolas Sarkozy prend encore la tête de Janus. Constante du personnage, l’utilisation — invention ou réactivation — de concepts à double-face lui permet de cultiver une ambiguïté dont, en bon mitterrandien, il a appris à profiter. Elle lui permet aussi de conserver une longueur d’avance sur le terrain des idées, de maîtriser les termes du débat pour le mener où il le veut. Entre « laïcité positive » et, maintenant, « politique de civilisation », le Président de la République nous stimule-t-il ou nous embrouille-t-il ?