Monsieur le
Président,
Monsieur le Premier
ministre,
Madame le Garde des
Sceaux,
Mes chers Collègues,
Le préambule et
l’ensemble des articles de la Constitution forment philosophiquement,
juridiquement et politiquement un tout cohérent. Aussi, vous comprendrez
que l’on puisse s’interroger sur les motivations du Gouvernement de
dissocier l’examen du préambule de la Constitution du texte aujourd’hui
soumis au vote du Parlement, alors qu’une nouvelle rédaction a été
confiée par le Président de la République à une commission présidée par
Simone Veil.
Ce projet de loi
réécrit plusieurs dizaines d’articles de notre Constitution. Il s’agit
là d’une modification en profondeur de notre loi fondamentale.
Je n’ai pas
d’opposition particulière à l’article 2, limitant désormais à deux le
nombre de mandats consécutifs pour un Président de la République. Cette
disposition ne remet pas en cause les fondements de nos Institutions,
mais c’est probablement la seule.
L’article 4,
permettant au Parlement de valider la nomination de personnalités
appelées à exercer de hautes fonctions, est dangereux pour de multiples
raisons.
On
peut imaginer que les partis politiques vont immanquablement reprendre
la main sur les nominations.
On
peut craindre que des personnalités pressenties fassent un travail de
lobbying auprès des élus.
On
peut prévoir de fatales opérations de déstabilisation des candidats.
En ce qui concerne
la nomination des membres du Conseil constitutionnel, appelés à se
prononcer sur la constitutionnalité de l’activité parlementaire, mais
également à trancher les contentieux électoraux des députés et des
sénateurs, cette disposition remet en cause leur indépendance. Je
rappelle que le parlement est déjà largement associé à la composition du
Conseil constitutionnel au travers du pouvoir personnel de nomination du
président de chaque assemblée, ce qui évite les inconvénients que je
viens de soulever.
L’article 7 du
projet de loi prévoyait que le Président de la République puisse prendre
la parole dans cet hémicycle.
Je note avec
satisfaction que la commission des lois en a rejeté l’idée. Cette
disposition ne pouvait être acceptable dans la mesure où notre
Constitution fixe clairement la responsabilité politique du Premier
ministre et de lui seul devant le Parlement qui peut le censurer.
Je n’imagine pas un
seul instant le Président de la République, qui dispose du droit de
dissolution de l’Assemblée nationale, venir devant nous, défendre sa
politique mise en œuvre par le gouvernement (en dehors des périodes de
cohabitation) et ne laisser aux députés d’autre choix que de déposer une
motion de censure contre le Premier ministre.
La solution de repli
à Versailles, en configuration de Congrès du Parlement, ne présente pas
d’inconvénient institutionnel majeur, l’usage nous en dira plus.
L’article 10,
permettant aux ministres de retrouver automatiquement leur siège de
député ou de sénateur dès lors que cesse leur fonction gouvernementale,
laisse augurer de multiples changements dans la composition des
gouvernements ce qui apparaitra très vite comme un retour à
l’instabilité gouvernementale.
Le vote de
résolutions, tel qu’il est prévu à l’article 12, est de nature, dans le
pire des cas à gêner l’action gouvernementale et dans le meilleur des
cas à être sans influence.
L’article 16,
modifiant l’article 42 de la Constitution, prévoyant que les projets de
loi examinés en séance publique sont ceux de la commission et non plus
ceux du Gouvernement, est une disposition en contradiction avec l’esprit
des institutions de la Ve République.
Au-delà de cette
affirmation qui ne s’applique naturellement pas aux propositions de loi,
il convient d’appeler l’attention de chacun sur des aspects qui me
paraissent incontournables pour rejeter cet article. Le Ministre ne sera
plus dans la situation de présenter et de défendre, en séance publique,
le texte du Gouvernement.
Il sera dans une
position défensive. Il devra coûte-que-coûte trouver sur tous les bancs
de l’hémicycle une majorité pour rejeter des dispositions qu’il estimera
contraire à sa politique.
L’importance de
cette modification laisse supposer que le débat, devenu alors essentiel
en commission, se déroulera dans des conditions équivalentes à celles de
l’hémicycle, en particulier avec l’incontournable présence du
Gouvernement.
On peut redouter que
cette importante modification conduise à une confusion préjudiciable au
Gouvernement et au Parlement.
L’article 22 renoue
avec ce que les constitutions antérieures ont connu, un ordre du jour
partiellement partagé.
C’est, soit une
hypocrisie, soit un danger.
Une
hypocrisie, si, comme cela est prévisible, le Gouvernement fournit au
groupe majoritaire, qui ne dispose pas des services de l’Etat pour
expertiser les propositions de loi les plus techniques, un texte clés en
main. Ce texte sera simplement rebaptisé proposition de loi.
Un
danger d’affaiblissement du Gouvernement, si le Parlement présente des
textes mettant en péril la cohérence de l’action gouvernementale.
L’article 23,
limitant l’application du 49-3, est une grave erreur. Cet article a pour
vocation dans l’esprit des Institutions de la Ve République, en cas de
conflit entre le Gouvernement et sa majorité, de donner le dernier mot
au Gouvernement, le Parlement ayant toujours la possibilité de censurer
le Gouvernement.
Ce texte démontre
que l’on est en train de perdre de vu que ce n’est pas le Parlement qui
gouverne mais le Gouvernement.
La vraie liberté du
Parlement, c’est la liberté de sa majorité.
Pour cela, il n’y a
pas besoin d’une révision constitutionnelle dont l’ampleur modifie en
profondeur la philosophie politique et les grands équilibres de la Ve
République.
Cette Constitution,
voulue par le général de Gaulle, méticuleusement conçue par Michel
Debré, est une mécanique d’horlogerie de précision dont les rédacteurs
avaient su tirer toutes les conséquences des faiblesses des
constitutions antérieures.
Pour paraphraser
Churchill sur la démocratie, je dirai que notre Constitution est la pire
à l’exception de toutes les autres.
Ce projet de loi n’a
pas vocation à changer la Constitution, mais à changer de Constitution.
Aujourd’hui, cette
loi constitutionnelle est présentée, par le Président de la République
lui-même, comme « la plus grande réforme de la Ve République depuis
1958 ».
Aussi, on peut se
poser la question, mais seul le Président de la République à la réponse
et la responsabilité de la décision, fallait-il que cette réforme soit
soumise à l’approbation du Parlement ou à l’approbation du peuple
souverain ?
Pour obtenir les
voix nécessaires à son adoption à Versailles, nous assistons à tous les
marchandages et les contorsions les plus politiciens, la presse s’en
faisant jour après jour l’écho.
L’exemple le plus
savoureux étant la disposition que l’on appelle la « règle d’or ».
A vous mes chers
Collègues, sur tous les bancs de cet hémicycle, qui au fond de vous-même
ou publiquement rêvez d’une VIe République, je le vous dis : « Vous
rêvez de la VIe République, vous aurez la IVe République. »
Chacun comprendra que, député gaulliste, en mon âme et conscience,
je ne pourrai voter ce projet de loi constitutionnelle.
Jean-Pierre Grand |