Communiqué du 03 juin 2008

 

Le non irlandais peut encore gagner

 

Susan Philips : «Le non irlandais peut encore gagner»

Professeur de sciences politiques à l'Université de Dublin et militante du "non", Susan Philips constate, à deux semaines du référendum sur le traité de Lisbonne, que rien n'est joué et que les 25% d'indécis feront le scrutin.

 

Marianne2.fr : Comment les Irlandais ont-ils perçu le rejet du traité constitutionnel européen par les Français puis les Hollandais en 2005 ?

Susan Philips : Les Irlandais ont trouvé que les Français avaient été très maltraités et ils ont ressenti une grande solidarité envers eux ainsi qu'envers les Hollandais. Ils considèrent que, pour bien fonctionner, l'Union doit consulter les Européens quand des questions de citoyenneté ou de souveraineté sont en jeu. Comme c'est le cas pour le traité de Lisbonne. L'argument consistant à présenter la consultation parlementaire comme une consultation indirecte n'est pas du tout pris au sérieux.


Comment se déroule la campagne référendaire en Irlande en vue du vote du 12 juin ?

Pour le nouveau Premier ministre, c'est le premier test électoral (NdR : Brian Cowen a été nommé le 7 mai). Il a donc tendance à en faire beaucoup trop et un certain sentiment de lassitude se fait sentir. Tous les grands partis, à part les républicains du Sinn Féin, font campagne pour le « oui » mais le Premier ministre a jugé que l'opposition n'en faisait pas assez et il l'a critiquée très violemment à la télévision, ce qui a suscité une vive émotion.

Mais le parti majoritaire, le Fianna Fail, a des capacités de mobilisation sans commune mesure avec tout ce que j'ai pu voir en Irlande. Quant aux médias, ils relaient très largement le discours sur le « oui » sans trop se soucier des opposants au traité.


Quels arguments pourraient amener les Irlandais à voter non ?

Pour commencer, le traité est incompréhensible : mes étudiants au University College de Dublin étudient la politique et le droit à très haut niveau et ils sont pour la plupart favorables au « non » car ils n'arrivent pas à comprendre le traité de Lisbonne ! Par ailleurs, dans le nouveau système, l'Irlande passe de 7 votes (contre 29 pour les pays comme l'Allemagne ou la France) à 0,8% des voix, ce qui est corrélé à sa population de 4,2 millions d'habitants. Enfin, il y a la charte des droits fondamentaux qui comporte des éléments (comme le droit à l'avortement) qui pourraient inquiéter les Irlandais les plus attachés aux valeurs catholiques traditionnelles.


Pensez-vous que le « non » puisse gagner ?

Habituellement, j'ai la réputation de pouvoir dire bien à l'avance l'issue d'un vote mais là, je suis complètement perdue ! Depuis les dernières semaines, les sondages voient le « non » progresser plus vite que le « oui » : la dernière enquête d'opinion du Irish Times donnait un peu moins de 40% pour le « oui » et un peu moins de 20% pour le « non ». Mais la proportion d'abstention (près de 50%) et d'indécis (environ 25%) est encore considérable ! L'opinion est très fragile en ce moment : un événement dans les deux semaines qui viennent pourrait totalement retourner les d'indécis qui subsistent. Rien n'est joué et rien ne le sera totalement jusqu'au 12 juin.

  • NB : Susan Philips est membre de l'ONG EU Reform, qui soutient les améliorations apportées par l'Union européenne en Irlande tout en défendant une conception de l'Europe centrée sur les Etats.