Susan
Philips : «Le non irlandais peut encore gagner»
Professeur de sciences politiques à l'Université de Dublin et
militante du "non", Susan Philips constate, à deux semaines du
référendum sur le traité de Lisbonne, que rien n'est joué et que
les 25% d'indécis feront le scrutin. |
Marianne2.fr
: Comment les Irlandais ont-ils perçu le rejet du traité constitutionnel
européen par les Français puis les Hollandais en 2005 ?
Susan Philips :
Les Irlandais ont trouvé que les Français avaient été très maltraités et
ils ont ressenti une grande solidarité envers eux ainsi qu'envers les
Hollandais. Ils considèrent que, pour bien fonctionner, l'Union doit
consulter les Européens quand des questions de citoyenneté ou de
souveraineté sont en jeu. Comme c'est le cas pour le traité de Lisbonne.
L'argument consistant à présenter la consultation parlementaire comme
une consultation indirecte n'est pas du tout pris au sérieux.
Comment se déroule
la campagne référendaire en Irlande en vue du vote du 12 juin ?
Pour le nouveau Premier ministre, c'est le premier test électoral (NdR
: Brian Cowen a été nommé le 7 mai). Il
a donc tendance à en faire beaucoup trop et un certain sentiment de
lassitude se fait sentir. Tous les grands partis, à part les
républicains du Sinn Féin, font campagne pour le « oui » mais le Premier
ministre a jugé que l'opposition n'en faisait pas assez et il l'a
critiquée très violemment à la télévision, ce qui a suscité une vive
émotion.
Mais le parti majoritaire, le Fianna Fail, a des capacités de
mobilisation sans commune mesure avec tout ce que j'ai pu voir en
Irlande. Quant aux médias, ils relaient très largement le discours sur
le « oui » sans trop se soucier des opposants au traité.
Quels arguments
pourraient amener les Irlandais à voter non ?
Pour commencer, le traité est incompréhensible : mes étudiants au
University College de Dublin étudient la politique et le droit à très
haut niveau et ils sont pour la plupart favorables au « non » car ils
n'arrivent pas à comprendre le traité de Lisbonne ! Par ailleurs, dans
le nouveau système, l'Irlande passe de 7 votes (contre 29 pour les pays
comme l'Allemagne ou la France) à 0,8% des voix, ce qui est corrélé à sa
population de 4,2 millions d'habitants. Enfin, il y a la charte des
droits fondamentaux qui comporte des éléments (comme le droit à
l'avortement) qui pourraient inquiéter les Irlandais les plus attachés
aux valeurs catholiques traditionnelles.
Pensez-vous que le
« non » puisse gagner ?
Habituellement,
j'ai la réputation de pouvoir dire bien à l'avance l'issue d'un vote
mais là, je suis complètement perdue ! Depuis les dernières semaines,
les sondages voient le « non » progresser plus vite que le « oui » : la
dernière enquête d'opinion du Irish Times donnait un peu moins de
40% pour le « oui » et un peu moins de 20% pour le « non ». Mais la
proportion d'abstention (près de 50%) et d'indécis (environ 25%) est
encore considérable ! L'opinion est très fragile en ce moment : un
événement dans les deux semaines qui viennent pourrait totalement
retourner les d'indécis qui subsistent. Rien n'est joué et rien ne le
sera totalement jusqu'au 12 juin.
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